CHE c UGUS 1 VOLUME XXVII Institut d'Études Augustiniennes PARIS 1994 ES s La g
CHE c UGUS 1 VOLUME XXVII Institut d'Études Augustiniennes PARIS 1994 ES s La grâce faite à Isaac. Gn 22, 1-19 à l'époque paléochrétienne Y aurait-il d'un côté une interprétation biblique populaire, dont les repré- sentations figurées seraient l'écho, et de l'autre l'exégèse savante, celle qu'on trouve dans les livres? C'est l'idée qu'on garde souvent d'une lecture parallèle des études concernant un thème biblique donné dans l'iconographie et chez les Pères. Cette impression est particulièrement vive dans le cas de Gn 22, 1-19. En effet, sur critères iconographiques, on parle de l'épisode comme d'une «figure de salut» (Rettungsbild). Mais le seul texte qu'on invoque généralement à l'appui de cette façon de voir est la prière de la Commendatio animael. En revanche, les études consacrées à l'interprétation patristique font surtout ressortir l'idée que Gn 22 est un type du sacrifice du Christ. Le titre même qu'on donne couramment à la péricope ("sacrifice d'Isaac") est éloquent à cet égard ; or, il ne s'impose pas, puisque Isaac, en fin de compte, n'est pas sacrifié. D'ailleurs, la tradition juive ne préfère+elle pas parler de «ligature» (Aqeda) d'Isaac2? Si nous revenons à notre tour sur un thème déjà beaucoup étudié, c'est qu'il nous semble qu'on insiste trop sur le lien qui existe entre Gn 22 et le sacrifice du Christ dans l'Église des premiers siècles, et que cela n'épuise pas, et de très loin, le sens que l'image revêtait pour les Anciens3. La multiplication des 1. Voir plus bas notes 167 et 129. 2. Sur ce thème dans le judaïsme, voir R. LE DEAUT, La nuit pascale, p.153-200; M. HARL, «La ligature d'Isaac», dans La langue de Japhet, Quinze études sur la LXX et le grec des chrétiens, Paris, 1992. Les textes juifs sur l 'Aqeda sont regroupés et traduits dans S. SPIEGEL, The Last Trial, New York, 1967. 3. DThC, S. V. Abraham, c. 100-106 (E. MANGENOT); J. DANIELOU, Sacramentum Futuri, Paris, 1950, p. 97-128; ID. «Abraham dans la tradition chrétienne», Cahiers Sioniens 5, 1951, p. 160-179; RLAC, s. v. Abraham, c. 18-27 (Th. KLAUSER); DSp, s. v. lsaac (le patriarche), c. 1987-2005 (J. GRIBOMONT); D. LERCH, Isaaks Opferung christlich gedeutet, Tübingen, 1950, s'efforce de suivre l'interprétation de Gn 22 des origines à l'époque moderne; son 4 MARTINE DULAEY instruments de travail, comme Biblia Patristica, la Vetus Latina de Beuron, pour ne rien dire de La Bible d'Alexandrie et de nombre d'éditions critiques nouvelles, permet de verser au dossier d'autres textes qui élargissent le débat. Nous commencerons donc par revenir sur l'interprétation la plus courante pour montrer que le lien qu'on établit spontanément entre le sacrifice d'Isaac et celui du Christ n'a jamais évacué une autre interprétation, qui souligne qu'Isaac a échappé à la mort. Nous mettrons ensuite en relief une autre vision de la péricope, pour laquelle Gn 22 est une figure de la Résurrection. Ayant alors en tête une interprétation de l'épisode plus proche de celle que véhi- culaient la catéchèse et la prédication antiques, nous pourrons jeter sur les images un regard moins influencé par des conceptions ultérieures. l. - GN 22 ET LE SACRIFICE DU CHRIST A. -Isaac sur l' autel,figure de la Passion ? Influence des interprétations juives Dans l'exégèse juive ancienne, le sacrifice d'Abraham avait pris une valeur paradigmatique. Les textes exaltent l'obéissance pleine de foi du patriarche, qui accepte sans discussion d'immoler son fils, mais aussi le consentement d'Isaac, la victime ; ainsi le Targum de Jonathan : «Les anges d'en-haut disaient : "Venez, voyez deux personnes uniques qui sont dans l'univers : celui qui sacrifie n'hésite pas, et celui qui est sacrifié tend la gorge"4». Certes, le sacrifice sanglant n'avait pas eu lieu, mais, dans le cœur des intéressés, il avait été consommé, sacrifice parfait, si bien que le Pseudo-Philon et certains midrashim n'hésitent pas à parler du sang versé d'Isaac ou de ses cendres5. De plus, le verset «Dieu pourvoira à l'agneau pour l'holocauste, mon fils» (Gn 22, 8) pouvait, ponctué autrement, être lu ainsi : «Dieu verra ; l'agneau pour l'holocauste, c'est mon fils», ce qui entraîna une assimilation entre Isaac et l'agneau pascal, au grand dam du pauvre bélier, qui, dans la tradition juive d'abord, puis chrétienne, a souvent été rétrogradé au rang de simple mouton. Isaac devint le modèle des agneaux de sacrifice, et il semble bien qu'on n'ait pas attendu le christianisme pour faire le rapprochement entre Isaac et le Serviteur de Dieu (Is 57, 3 ), qui va à l'abattoir comme un agneau muet6. Bref, dossier patristique est donc moins complet que celui de Fr. NIKOLASCH, Das Lamm ais Christus symbol in den Schriften der Viiter, Vienne, 1963, dont le titre marque bien que l'investigation concerne les figures de la Passion. 4. Tg Gn 22, 10, SC 245, p. 219; sur tout ceci, voir R. LE DEAUT, La nuit pascale, p. 133- 212. 5. Ibid. p. 160, n. 97. 6. Ibid. p. 158-160 ; 173 ; 199-200. LA GRÂCE FAITE À ISAAC (GN 22, I-19) 5 le sacrifice d'Abraham était devenu le sacrifice par excellence, au point que la Pâque elle-même apparaissait parfois comme le mémorial de ce sacrifice 7. On comprend alors que, dès le Nouveau Testament, les premiers chrétiens aient vu là une figure prophétique du sacrifice du Christ. Il en va ainsi dans la théologie de Paul, qui affirme dans l'Épître aux Romains (8, 32), que «Dieu n'a pas épargné son propre Fils» (Gn 22, 16), mais l'a livré pour nous tous. De même, dans l'Évangile de Jean, Jésus est le véritable agneau pascal (Jn 19, 36), le Fils unique donné par le Père dans son amour des hommes (Jn 3, 16)8. Isaac conduit au sacrifice,figure du Christ livré pour les hommes Le don du fils d'Abraham devient dans la littérature patristique le type du don du Fils unique par le Père. L'idée se trouve dès l'époque ancienne, chez Irénée : Abraham, dit-il, «céda avec empressement son fils unique et bien-aimé en sacrifice à Dieu, afin que Dieu aussi consente, en faveur de toute sa postérité, à livrer son Fils bien-aimé et unique en sacrifice pour notre rédemption9». Isaac est figure du Christ en tant que livré au sacrifice par son père, tout fils unique et bien-aimé qu'il est. Plusieurs auteurs soulignent comme Irénée ce parallèle, qui certainement a fondé la figure (cf Hé 11, 17)10. L'insistance porte sur le thème du don, de l'offrande consentie par Abraham, et non de la mort d'Isaac! 1. Le Pseudo-Barnabé mentionne «la préfiguration manifestée en Isaac offert sur l'autel12. Plusieurs auteurs préfèrent d'ailleurs parler d'Isaac comme étant seulement conduit à l'immolation par son père B. D'autres n'évoqueront l'offrande d'Isaac qu'en ajoutant immédiatement que ce n'est pas lui, mais le bélier, qui est mis à mortl4. Quant à la liturgie, elle mettait également l'accent sur l'offrande. Voici la prière après la consécration que disait Saint Ambroise à Milan dans la seconde 7. Ibid. p. 179-183 (Jubilés). 8. Ibid. p. 202. 9. IREN. haer. 4, 5, 4 (SC 100, p. 434, 70-73). 10. Pères Latins : Avo. en. Ps. 30, 2 (ser. 2, 9), CC 38, p. 209, 17 ; QUODVULTD. uirtut. 6, 15(CC 60, p. 372, 37); CAES. ser. 84, 1 (CC 103, p. 345); Ism. quaest. Gen. 18, 6 (PL 83, 250). Chez les Grecs: JOH. CHRY. hom. Gen. 47, 3 (PG 54, 432); CYR. A. Lettre Festale 5, 6 (SC 372, p. 314, 28-32); glaphyr. Gen. (PG 69, 140 B); THEOD. CYR. in Gen. (PG 83, 252 B). 11. Par exemple TERT. iud. 10, 6 (CC 2, p. 1376, 36): «in uictimam concessus»; marc. 3, 18, 2 (CC 1, p. 531, 12): «a patre in hostiam deditus». Voir aussi HESYCH. hom. 19. pro!. (PO 42, p. 473, 17-18). 12. Ps. BARN. epist. 7, 3 (SC 172, p. 130). 13. MEL.fr. 9 (SC 123, p. 234, 6); HIL. myst. 1, 7 (SC 19b, p. 106): «a patre in hostiam uocatur» ; Avo. c. Maxim. 2, 9 (PL 42, 810); diu. quaest. 83, 58, 2 (BA 10, p. 170); HELPID. RvsT. carm. (PL 62, 545); Scripta Arriana Latina 1, Coll. Veran. 7, 2 (CC 87, p. 103) etc. 14. AMBR. in Ps. 39, 12 (PL 14, 1061); exc. Sat. 2, 98 (PL 16, 1343); AMPHIL. orat. 7, 4 (CCG 3, p. 158, 93); APPON. in Cant. 5, 4, 3 (CC 19, p. 136, 651-656). 6 MARTINE DULAEY moitié du ive siècle : «Nous te demandons et te supplions d'accepter cette oblation par les mains de tes anges sur ton autel d'en-haut, comme tu as daigné accepter les dons de ton serviteur Abel le juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t'offrit le grand-prêtre Melchisédecl5». Le Canon romain comportait également une allusion au sacrifice d'Abraham (sans qu'on puisse exactement savoir à quelle époque cela remontait), et de même plusieurs liturgies orientalesI6. À en juger par l'apparition tardive du thème (pourtant déjà présent dans le judaïsme) d'Abraham prêtre dans nos commentaires, cela ne serait pas antérieur au renouveau liturgique du ive sièclel7. Gn 22 évoque donc bien pour les uploads/Religion/ recherches-augustiniennes-volume-xxvii-1994-pdf.pdf
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- Publié le Sep 23, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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