Monsieur John Scheid Comment identifier un lieu de culte ? In: Cahiers du Centr

Monsieur John Scheid Comment identifier un lieu de culte ? In: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 8, 1997. pp. 51-59. Citer ce document / Cite this document : Scheid John. Comment identifier un lieu de culte ?. In: Cahiers du Centre Gustave Glotz, 8, 1997. pp. 51-59. doi : 10.3406/ccgg.1997.1432 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccgg_1016-9008_1997_num_8_1_1432 Pour un inventaire des lieux de culte de l'Italie antique John Scheid COMMENT IDENTIFIER UN LIEU DE CULTE ? 1 . Un inventaire des lieux de culte et des sources qui les concernent ne sau rait être une simple liste des toutes les sources qui, dans un cadre géogra phique donné, appartiennent au religieux. Une telle enumeration comportera un double risque. D'abord il est à peu près certain que les futurs utilisateurs emprunteront sans trop s'interroger la plupart des données, comme ils le font avec les rubriques des dictionnaires ou les catalogues. Et ainsi une collection inorganisée, qui serait structurée sim plement par l'ordre alphabétique des sources, des lieux de découverte ou des divinités attestées, risque de se transformer dans les mains des utilisateurs non spécialistes en un bilan des activités religieuses dans telle ou telle région d'Italie. Cette manière d'organiser les données, ou plutôt de ne pas les struc turer, impliquerait de toute façon une position théorique : la présomption que la collecte et la présentation ne posent aucun problème, c'est-à-dire que le religieux se comprend intuitivement. L'image de la pratique religieuse qui résulterait de cette approche ne serait sans doute pas celle des Anciens et ri squerait de négliger des questions importantes. Ainsi, que nous le voulions ou non, notre collecte sera toujours prise pour une représentation de la vie rel igieuse d'une région à une époque donnée. Il faudra par conséquent veiller à ce que l'image de la vie religieuse, telle que le futur Corpus la transmettra aux « non-spécialistes » soit pertinente et utilisable par eux. De même que dans les recueils des sources topographiques, les documents sont organisés en fonction des cités, des régions urbaines et des édifices, les sources relatives aux pratiques religieuses doivent être décrites dans leur contexte précis. La première obligation, et d'ailleurs toute la difficulté, réside dans le souci de recueillir et de présenter les sources dans leur contexte préc is. Car il faut éviter de raisonner comme dans les religions universelles du monde occidental contemporain. Dans ce contexte, une messe célébrée dans tel ou tel quartier, devant et pour telle ou telle communauté, sera toujours une messe, placée sous la même autorité. Un rite romain, au contraire, ne sera jamais le même selon le lieu, l'époque, la communauté concernés. Les rites romains n'étaient pas universels, et n'étaient pas, à Rome, en Italie ou dans l'Empire, soumis à une même autorité religieuse. 2. La première ambiguïté est celle de la définition du lieu de culte, du sanc tuaire. Le terme sanctuaire désigne, par exemple d'après le dictionnaire Robert, un « édifice consacré aux cérémonies d'une religion » — on notera en passant que cette définition implique que l'on doit savoir ce que l'on Cahiers Glotz,Vlll, 1997, p. 51-59 52 John Scheid appelle « religion » pour comprendre ce qu'est un sanctuaire. Même si les sources antiques désignent généralement les lieux de culte par des noms préc is, dont les uns renvoient à la résidence d'une divinité {cedes, templum, sacra- rium,fanum, delubrum, ìncus, ara, Ιερόν, oraculum), les autres à des lieux où sont célébrés des rites déterminés (templum, auguratorium), le terme sanctuaire est couramment employé par les antiquisants pour désigner tout lieu de culte. Or ce terme n'est pas courant dans les sources antiques et son sens est spécifique. Les témoignages littéraires romains emploient sanctuarium au sens de « lieu pour la conservation de documents privés ou confidentiels » 1 , mais quelques inscriptions l'attestent également dans un sens religieux pour désigner des emplacements destinés à conserver des objets sacrés ou les restes d'un défunt2. Conformément à l'étymologie du terme sanctus0, il s'agit d'un endroit dont l'intégrité est garantie à l'égal d'un lieu sacré, c'est-à-dire propriété d'une divinité. L'emploi du terme sanctuaire apparaît donc comme très ambigu, d'autant plus que les antiquisants donnent généralement au terme une signi fication plus large : pour eux, sanctuaire désigne tout lieu de culte, qu'il comp orte un ou plusieurs édifices. Ils appellent sanctuaire tout lieu consacré où l'on célèbre des actes cultuels. Mais ce n'est pas ce genre de définition qui nous permettra d'aller loin. Car il faut se demander ce que nous entendons par actes cultuels et même par lieu consacré. En effet, dans le monde romain, les relations entre « la » religion, les rites et les lieux de culte ne sont jamais dépourvues d'ambiguïtés. 3. D'abord, s'agit-il toujours d'une seule et même activité, constituant « la » religion des Romains ? Je ne pense pas que l'on puisse résumer par un seul terme toute la pratique religieuse qui s'exerce dans le cadre d'une région, d'une cité et même d'un sanctuaire. Indépendamment du fait que nous sommes rarement capables d'en saisir tous les aspects, nous devons en outre considérer dans un premier temps les cultes attestés comme différents de ceux des cités voisines. Certes, il existe des styles religieux ou une culture religieu se régionaux, et toutes ces pratiques sont, dans leur contexte propre, complém entaires. On ne se trompera pas en considérant que les rites sacrificiels sont en gros analogues d'une région d'Italie à l'autre, du moins à partir de l'époque impériale quand la romanisation devient générale. On peut tirer cette conclu sion du fait que les auteurs de l'époque impériale n'évoquent jamais ni cl ivages ni conflits. Certes, une lettre du jeune Marc Aurèle à son maître Fronton4 montre que la recherche et la description des traditions locales par ticulières étaient une occupation courante de l'homme cultivé, tout comme l'était la visite curieuse des lieux de culte5. Mais à lire de près ce témoignage, 1 Plin., NH 23, 149 ; Sic. Flacc, p. 118 suiv. Lachmann. 2 CIL VIII, 12014 (ciuitas Vrsitana templum cum sanctuari[o Iojuis fecit) ;VIII, 796 (de 338 ap. J.-C.) où dans un contexte religieux [necjnon et silicem omne sanctuarium strauit ; pour une tombe C/LVI, 9036.Voir aussi CGLV, 42, 6 (Sanctuarium locus uel cubiculum, ubi sanctae resgeruntur) où il s'agit manifestement déjà d'une acception différente du terme. 3 Voir Y. Thomas, Sanctio. Les défenses de la loi, dans L'écrit du temps, 10, 1988, Négations, 61-84, notamment 72-79. 4 Front. 4, 4, 1. 5 Voir p. ex. la description du sanctuaire des sources du Clitumne par Pline le Jeune, Ep. 8, 8. Comment identifier un lieu de culte ? 53 on constate qu'il se réfère à des souvenirs du passé révolu : désormais, peut- on conclure, les rites sont les mêmes partout. Quoi qu'il en soit, il en allait différemment auparavant. Mais que savons- nous des temps plus anciens ? Que savons-nous par exemple du sacrifice en pays étrusque sous la République, dans telle ou telle cité étrusque ? Il ne suff it pas de se référer à quelques données générales et vagues, tirées de Cicéron ou des antiquaires, ou bien de commenter un objet comme le foie de Plaisance pour répondre de manière satisfaisante à cette question. Le fait est que nous ne disposons pas d'un savoir suffisant à propos des rites proprement dits, sans même parler des traditions étrusques locales, qui devaient être aussi nombreuses que variées, pour être capables d'apprécier des documents frag mentaires qui se rapporteraient à des sacrifices. Entre les rites sacrificiels et divinatoires tels que les Tables Eugubines les reflètent, et les rites romains contemporains que l'on recueille chezTite Live, Caton ou Plaute, existent des analogies indubitables, mais également des différences significatives. Alors que les Romains constataient l'agrément de la victime par la divinité grâce au rite de l'extispicine, les célébrants d'Iguvium le faisaient par l'observation du vol des oiseaux. À propos des auspices, les Romains, qui n'ignoraient pas la divi nation par le vol des oiseaux, recouraient en fait à la même époque presque exclusivement aux signes donnés par des pulii, du moins dans les rites publics. La même difficulté est signalée par la structure archéologique, sauvée par M. Torelli, que nous appelons auguraculum ou templum augurale de Bantia6. Malgré les travaux de M. Torelli (qui a bien décrit dans son deuxième article les dif ficultés de l'interprétation) et d'A. Magdelain7, la destination de ce « lieu cul tuel » demeure mystérieuse. La chronologie des cippes a pu être précisée en 19838, mais leur signification demeure toujours problématique. Indépendamment de l'interprétation de cet ensemble archéologique, on doit notamment se demander si le modèle romain de Y auguraculum et de l'obser vation du vol des oiseaux est pertinent, car à cette date les Romains n'utili saient plus cette technique. Ce n'est donc qu'à titre comparatif que l'on peut invoquer les maigres sources romaines sur Vauspicium. Les Tables Eugubines offrent un autre témoignage de notre ignorance : il suffit de comparer les dif férentes traductions de ces documents pour se rendre compte que la connais sance de la phonétique et de la uploads/Religion/ scheid-comment-identifier-un-lieu-de-culte.pdf

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  • Publié le Jui 23, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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