Pôle de Recherche 1/ Assistante : Françoise Amirou – francoise.amirou@collegede

Pôle de Recherche 1/ Assistante : Françoise Amirou – francoise.amirou@collegedesbernardins.fr – 01.53.10.74.30 L’expérience mystique à la lumière de la psychologie des religions et du savoir contemporain Stéphane Gumpper Psychanalyste, chercheur associé au laboratoire Subjectivité, lien social et modernité (Université de Strasbourg) En France, au lendemain de la loi sur la séparation des Églises et de l’État (1905), la revue d’avant-garde le Mercure de France lance opportunément, courant 1907, une vaste « enquête internationale » sur la question religieuse qui s’étale sur plusieurs mois. Le journaliste, Frédéric Charpin justifie ce choix en formulant d’emblée le constat suivant : « jamais peut-être, depuis la Réforme, on n’avait montré une telle curiosité pour tout ce qui concerne la religion, un tel travail d’érudition, de critique et de propagande » (Charpin, 15 avril, p. 577), se déployant dans des ouvrages, revues, conférences et cours réguliers : « au Musée Guimet, à l’Ecole pratique des Hautes Etudes, au Collège de France, à l’Ecole d’Anthropologie, au Collège Libre des Sciences Sociales, à l’Ecole des Hautes Etudes Sociales, dans les écoles confessionnelles… » (ibid., p. 577), mais aussi à l’Institut général psychologique, à l’asile de Sainte-Anne, à la Salpêtrière, à l’Institut catholique de Paris, à l’Ecole de psychologie, et bien sûr à la Sorbonne ainsi que dans les diverses facultés de l’hexagone. Au même titre, il constate que divers bouleversements sont à l’œuvre sur un plan international, rendant saillant de multiples « luttes engagées contre les doctrines religieuses, contre une religion ou au nom d’une religion » (ibid., p. 578). Fort de cet état des lieux, Charpin sollicite une diversité de contemporains positionnés dans des champs disciplinaires variés, afin qu’ils lui soumettent leurs réponses à la question suivante : « Assistons-nous à une dissolution ou à une évolution de l’idée religieuse et du sentiment religieux » ? Les réponses formulées, convenues pour certaines, originales pour nombre d’autres, mais toujours relativement brèves, ont le mérite non seulement d’engager partiellement ceux qui les énoncent, mais surtout d’être dépourvues de commentaires subsidiaires ; ce qui génère dès lors une mosaïque de points de vue méritant rétrospectivement d’être succinctement présentés. Car de fait, bien que cette « enquête internationale » soit passée depuis fort longtemps aux oubliettes de l’histoire, force est de constater que sur un plan historique, elle situe un moment clé, susceptible d’éclairer, partiellement au moins, la thématique que je suis invité à traiter ce soir : « L’expérience mystique à la lumière de la psychologie des religions et du savoir contemporain ». Toujours dans mon introduction, je souhaiterai maintenant citer quelques signataires parmi les 141 qui ont répondu à cette enquête : Théodule Ribot, Alfred Fouillée, Maxime Gorki, Salomon Reinach, Jules Soury, Max Nordau, Auguste Strindberg, Havelock Ellis, Lucien Lévy-Bruhl, Emile Durkheim, Jules Grasset, Camille Flammarion, Marcel Hébert, Léon Bloy, Cesare Lombroso, George Tyrell, Henri Bremond, Maurice Blondel, Jules Sageret, Henri Bergson, M. Péladan, le R. P. Laberthonnière, H. G. Wells… Arrêtons-nous un instant sur les réponses apportées par certains d’entre eux. Ribot note l’accroissement des préoccupations religieuses dans la génération contemporaine. Etant très critique, il évoque l’invariant du mysticisme, c’est-à-dire d’une « religiosité rêveuse », marquée par l’imprécision, venant caractériser le moment historique actuel, et participant derechef à la transformation du sentiment religieux. Fouillée plaide pour une dissolution des religions positives en même temps qu’une évolution de l’idée religieuse elle-même qui, « en s’épurant, devient idée philosophique ; conception de l’infini et du parfait, de la vie idéale et de l’idéale destinée » (ibid., p. 583). Pour Reinach, « la religion est, à l’origine, l’ensemble des scrupules qui font obstacle au libre exercice des facultés humaines, c’est-à-dire un système de tabous. Ces tabous se transforment, se rationalisent, mais ne disparaissent pas » (ibid., p. 605) : l’animisme ne faisant qu’évoluer en se transformant, même et surtout dans les milieux les plus civilisés, ce Département Judaïsme et Christianisme Séminaire 2012-2013 « Séminaire mystique juive, mystique chrétienne : regards croisés » Séance du 28 février 2013 Intervenant : Stéphane GUMPPER Pôle de Recherche 1/ Assistante : Françoise Amirou – francoise.amirou@collegedesbernardins.fr – 01.53.10.74.30 qui ne préjuge pas d’une dissolution du sentiment religieux. Nordau distingue confessionnalisme, relevant d’une attitude sociale et politique, caractéristique de l’adhésion à une Église constituée, globalement « stationnaire » ; et religiosité englobant l’idée présente dans la vie psychique humaine religieuse, soit un « sentiment effrayant de la faiblesse physique et intellectuelle de l’homme en face de l’immensité écrasante de l’Univers » (ibid., p. 612). Pour Nordau, le confessionnalisme se dissoudra quand les masses auront développé une intelligence plus aiguë à même de percevoir « comme une offense personnelle l’enseignement d’un dogme » (ibid., p. 612) ; alors que la religiosité durera aussi longtemps que l’humanité en évoluant avec elle ! Strindberg, sensible à la résurgence de l’« antique sagesse » en Europe, via la théosophie et l’occultisme venant participer à l’importation de conceptions issues du bouddhisme et du védantisme, dira ceci : « un sourire divin rayonna sur le monde, lorsque le matérialiste Charcot eut la mission divine de déclarer les miracles tout naturels, et il fut contraint de prophétiser « le retour des procès de sorcellerie pour dans 50 ans ». Ses élèves allèrent jusqu’à confirmer les guérisons miraculeuses de Lourdes, - et quoique les faits fussent dénommés des phénomènes hypnotiques, le nom ne changea pas la chose » (ibid., p. 616). Adepte d’un syncrétisme, Strindberg appelle dans sa réponse à une évolution par la dissolution, autrement dit à l’érection d’une confession moniste, « sans dogme ni théologie ». Pour être en mesure de trancher clairement sur la question posée, Lévy-Bruhl suppose nécessaire une « faculté spéciale de divination, infiniment rare » (1er mai, 1907, p. 46) dont il se dit dépourvu. Toutefois, il postule l’existence d’un mysticisme latent, car « l’effet de croyances qui ont profondément pénétré la mentalité et la vie morale d’une civilisation persiste après que les croyances ont presque disparues. Des esprits qui cessent d’être chrétiens peuvent demeurer christianisés pour des siècles » (ibid., p. 47). Par ailleurs, il constate que des éléments irrationnels sont intimement mêlés aux idées humaines de progrès… Durkheim plaide quant à lui pour la dissolution d’une forme religieuse, celle même qui se serait constituée dans les sociétés européennes au cours du Moyen-Age, dissolution qui serait à l’œuvre depuis la Réforme du XVIe siècle ; quant à la pensée religieuse, elle sera d’après lui traversée par la rationalité et le sens social. D’après Grasset, l’idée et le sentiment religieux inhérent à l’homme se rapportent à des phénomènes psychiques qui ne sont ni pathologiques, ni accidentels : « il y a des maladies de l’émotion religieuse, comme de toutes les émotions. Mais l’idée religieuse est un élément physiologique de notre esprit » (15 juin 1907, p. 227). Pour Lombroso, les religions prennent appui sur une série d’erreurs émanant du besoin humain « d’être protégé contre des forces, vis-à-vis desquelles nous nous sentons impuissants […], et s’il se peut qu’une institution sortie d’une erreur puisse évoluer, elle finit toujours par tomber dans une autre erreur » (1er juin 1907, p. 434). Non réductible à un sentiment accidentel ni privilège de quelques rares mystiques, l’expérience religieuse serait, selon Tyrrell, une « impulsion permanente » qui tendrait vers une Fin non percevable, en conflit avec le moi individuel, soit « quelque chose de Spirituel » assurément extérieur à la subjectivité du moi. Quant à Bremond, il suppose que le sentiment religieux, sans évoluer car il serait toujours le même de tout temps, peut néanmoins diminuer ou augmenter d’intensité. Réduit jadis par la médecine à des phénomènes plus ou moins morbides, Bremond formule l’idée d’un réveil du sentiment religieux, qu’il croit principalement orienté par le mouvement catholique. Enfin, pour Maurice Blondel, ni évolution ni dissolution mais bien plutôt « purification du sentiment religieux et (une) intégration de la vérité catholique » (15 juin 1907, p. 637). Ces longs prémices me permettront maintenant de mieux situer ma thématique de ce soir, notamment l’expérience mystique, que j’inscrirai sur une trame historique bien particulière, le XVIe siècle et le contexte de la Contre-Réforme. Ce socle aura vocation à expliciter quelques- unes des déclinaisons plurielles à venir, que l’on parle de psychologie des religions, ou de savoirs contemporains, qui tentèrent diversement, surtout à la fin du XIXe siècle et courant du XXe siècle, à traiter et se saisir de l’objet « mystique » par essence évanescent, car rétif à une emprise discursive. Le « Discours mystique » et son échec Jean de la Croix et quelques autres auteurs spirituels peuvent être désignés comme les instaurateurs d’un nouveau discours s’inscrivant dans une historicité. Plus précisément, le jésuite Michel de Certeau (1971/1982), philosophe et historien de la spiritualité, situa vers la fin du XVIe siècle/début du XVIIe siècle un mouvement de bascule épistémologique autour du signifiant « mystique » (c.a. 1380), d’adjectif (« qui a un sens caché, relatif aux mystères de la foi ») il devient substantif, « la mystique » (c.a. 1601), et acquiert une autonomie nouvelle. Ce « symptôme linguistique » révèle un entre-deux, la uploads/Religion/ stephane-gumpper-l-x27-experience-mystique 2 .pdf

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  • Publié le Oct 16, 2022
  • Catégorie Religion
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