QUAND LES HOMMES PARLENT A DIEU: un parcours comparatiste sur la signification

QUAND LES HOMMES PARLENT A DIEU: un parcours comparatiste sur la signification de la prière dans les trois religions abrahamiques PROF CLAUDIO MONGE Uni. Fri. - Faculté de Théologie AA. 2012-2013 – SP La Prière de Jésus dans la spiritualité hésychaste1 Par Archimandrite Placide Deseille Depuis une trentaine d’années, de nombreuses publications2 ont révélé aux Occidentaux une méthode de vie spirituelle familière aux chrétiens d’Orient, et dont la pièce maîtresse est l’invocation sans cesse répétée : " Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ! " C’est à dessein que nous parlons de méthode de vie spirituelle : car la Prière de Jésus ne peut être considérée comme une simple oraison jaculatoire comparable à celles que la piété catholique recommande, encore que la méthode occidentale des " aspirations " puisse se rattacher au même filon traditionnel remontant aux Pères du désert. Mais la Prière de Jésus est inséparable d’une doctrine de la vie spirituelle que les chrétiens byzantins et slaves considèrent volontiers comme le coeur de l’orthodoxie : l’hésychasme3. Aussi est-il indispensable de connaître les grandes lignes de cette doctrine, si l’on veut saisir la signification et la portée de l’invocation du Nom de Jésus dans la spiritualité orthodoxe. 1. LES ORIGINES DE LA MÉTHODE La voie hésychaste repose sur un double fondement : la doctrine de la déification de l’homme dans le Christ telle que les Pères de l’Église grecque l’ont formulée, et l’enseignement pratique des Pères du désert sur la garde du coeur et la prière continuelle. Affrontés aux hérésies trinitaires et christologiques, les grands évêques et les théologiens de l’Orient élaborèrent une doctrine qui n’était pas purement spéculative, mais qui engageait profondément une conception du destin spirituel de l’homme. Comme ils le répéteront inlassablement face aux négateurs de la consubstantialité du Verbe ou des deux natures du Christ, si le Verbe n’est pas Dieu, l’homme ne peut être divinisé ; si une nature 1 Source online : http://www.pagesorthodoxes.net/coeur/hesychaste.htm 2 La meilleure initiation en langue française à la Prière de Jésus est sans doute l’article d’Élisabeth BEHR-SIGEL, " La Prière de Jésus, ou le mystère de la spiritualité monastique orthodoxe ", dans La douloureuse joie (Spiritualité orientale, no, 14), Bellefontaine, 1974, p. 81-129. - L’article du P. Boris BOBRINSKOI, Prière et vie intérieure dans la tradition orthodoxe, Ibid., p. 33-70, est précieux pour situer la Prière de Jésus parmi les différentes formes de la piété orthodoxe. - L’anthologie de J. GOUILLARD, Petite Philocalie de la prière du coeur, Paris, 1953, rend accessibles les textes essentiels. - Les attachants Récits d’un pèlerin russe, trad. J . LALOY, Paris 1953, pleins de sève traditionnelle, illustrent la pratique de la Prière de Jésus dans les milieux slaves du XIXe siècle. La plaquette d’UN MOINE DE L’ÉGLISE D’ORIENT, La Prière de Jésus, Chèvetogne-Seuil, 1963, constitue une initiation suggestive, sans introduire cependant le lecteur au coeur de la méthode. 3 L’hésychia consiste en un genre de vie, caractérisé par la retraite dans la solitude, et en l’attitude intérieure d’une âme établie dans la paix et le silence des pensées, appliquée à la contemplation divine. L’hésychasme est la doctrine spirituelle correspondante, telle qu’elle a été professée dans le monachisme oriental. Les écrits des principaux maîtres de cette école, qui s’échelonnent du IVe au XIVe siècle, ont été rassemblés à la fin du XVIIIe par Macaire de Corinthe et Nicodème l’Hagiorite dans la Philocalie, qui connaîtra dans la suite des adaptations slavonne, russe et roumaine. QUAND LES HOMMES PARLENT A DIEU: un parcours comparatiste sur la signification de la prière dans les trois religions abrahamiques PROF CLAUDIO MONGE Uni. Fri. - Faculté de Théologie AA. 2012-2013 – SP humaine intégrale n’a pas été unie " sans séparation ni confusion " à la nature divine dans le Christ, l’homme ne peut pas davantage être sauvé et divinisé. Divinisation que l’on concevait d’une façon extrêmement réaliste, non pas sans doute comme une union hypostatique de chaque personne humaine avec l’essence divine, mais comme une compénétration vitale de l’agir humain par l’agir incréé de Dieu, à l’instar et dans le prolongement de la déification de la nature humaine du Christ. Les controverses christologiques, en amenant les Pères à mettre en lumière le rôle sotériologique de la chair du Christ, eurent encore deux conséquences, d’ailleurs connexes. D’une part, la pensée byzantine prit de plus en plus conscience, à l’encontre des tendances spiritualistes que le christianisme alexandrin avait héritées de l’hellénisme, que c’est tout l’homme qui est sauvé : la déification n’est pas réservée à l’âme seule, mais elle s’étend au corps lui-même, comme le manifestait la splendeur corporelle du Christ au Thabor. D’autre part, l’importance des signes sacramentels et liturgiques, qui prolongent jusqu’à nous l’action déificatrice de la chair du Christ, fut plus vivement perçue. Les catéchèses baptismales des Pères nous transmettent les premiers échos de cette mystique sacramentaire, qui demeurera une des constantes de la spiritualité orientale. Dans les milieux monastiques primitifs, la doctrine de la déification de l’homme était présente également, mais elle y apparaissait sous un éclairage un peu différent. On mettait l’accent moins sur les fondements christologiques et sacramentaires que sur son aspect expérimental. Le saint moine, l’abba du désert, était un homme déifié, pneumatophore, à travers lequel la présence de l’Esprit dans la créature se manifestait visiblement ; dans le secret de la prière, il faisait l’expérience de cette Présence qui transfigurait son être. Mais cette expérience déifiante requérait au préalable les longs combats de l’ascèse, la garde du coeur, l’assiduité à la prière. La tentation était aisée de confondre la divinisation du chrétien par la grâce avec l’expérience mystique, voire avec ses contrefaçons subtiles ou grossières ; de méconnaître aussi la valeur irremplaçable des sacrements, dont les effets ne sont pas immédiatement perceptibles, pour ne reconnaître d’efficacité qu’à l’effort ascétique, ou à des techniques de prière favorisant une exaltation mystique de mauvais aloi. Le pas fut franchi dans les cercles monastiques touchés par l’hérésie messalienne, où l’authentique expérience de la douceur de Dieu côtoyait les plus dangereuses aberrations. Ce fut l’oeuvre des maîtres spirituels du Ve siècle - un Marc l’Ermite et un Diadoque de Photicé notamment - de trier le bon grain parmi l’ivraie et de formuler une doctrine où l’expérience mystique authentique, discernée de ses contrefaçons imaginatives, serait reconnue comme l’épanouissement normal de la grâce baptismale, mais où la vie sacramentelle et liturgique serait placée à la base de toute l’oeuvre du salut. Marc l’Ermite écrit : " Ceux qui ont été baptisés dans le Christ ont reçu la grâce mystiquement, mais elle opère en eux dans la mesure où ils accomplissent les commandements... Quiconque a été baptisé dans la foi orthodoxe a reçu mystiquement toute la grâce. Mais il n’en obtient la certitude qu’ensuite, en exerçant les commandements4 ". 4 Trad. J. GOUILLARD, Petite Philocalie, p. 90-91. QUAND LES HOMMES PARLENT A DIEU: un parcours comparatiste sur la signification de la prière dans les trois religions abrahamiques PROF CLAUDIO MONGE Uni. Fri. - Faculté de Théologie AA. 2012-2013 – SP La " certitude " (plérophoria), l’" opération " de la grâce désignent ici l’aspect expérimental de la divinisation, le goût de Dieu et des choses de Dieu ; la " pratique des commandements " est depuis Évagre le Pontique le terme technique pour désigner l’ensemble de l’effort ascétique de l’homme, la coopération de sa liberté à l’oeuvre de la grâce. Diadoque de Photicé, utilisant la distinction fréquente chez les Pères entre l’" image " et la " ressemblance " de Dieu dans l’homme, décrit ainsi les deux temps de la divinisation : " Par le baptême de la régénération, la sainte grâce nous confère deux biens, dont l’un surpasse infiniment l’autre. Elle nous octroie immédiatement le premier ; car elle nous renouvelle dans l’eau même et fait briller tous les traits de l’âme, c’est-à-dire l’image de Dieu, en effaçant en nous toute ride du péché. Quant à l’autre, elle attend notre concours pour le produire, c’est la ressemblance. Quand donc l’intellect a commencé de goûter, dans un sentiment profond, la bonté de l’Esprit-Saint, alors nous devons savoir que la grâce commence à peindre, pour ainsi dire, la ressemblance par-dessus l’image... ainsi donc, de jour en jour, notre homme intérieur se renouvelle dans le goût de la charité, et il trouve dans la perfection de celle-ci sa plénitude5. " C’est dans le cadre de cette doctrine que la Prière de Jésus va prendre place : elle sera, pour toute la tradition hésychaste, le moyen privilégié de prendre conscience de la présence du Christ qui habite dans nos coeurs depuis le baptême ; c’est par elle que s’accomplira la " pratique des commandements ". Chez les Pères du désert, la méthode préconisée pour " faire son salut ", c’est-à-dire pour atteindre au plein développement de la vie spirituelle, comportait deux éléments : d’une part, les " travaux corporels " - jeûnes, veilles, austérités de toutes sortes, travail manuel - et d’autre part la garde du coeur, qui impliquait à la fois un combat spirituel incessant contre les " pensées uploads/Religion/ la-priere-de-jesus-dans-la-spiritualite-hesychaste-pdf.pdf

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  • Publié le Sep 28, 2021
  • Catégorie Religion
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