— — 1 Textes spirituels d’Ibn Taymiyya. Nouvelle série IX. « Lumière sur lumièr
— — 1 Textes spirituels d’Ibn Taymiyya. Nouvelle série IX. « Lumière sur lumière… » La valeur de l’inspiration « Lumière sur lumière… »1 « Certains pressentiments sont du péché », lit-on dans le Coran2. Qu’en est-il par contre des pressentiments que Dieu Lui-même pro- jette dans les cœurs de Ses Amis, les croyants qui Le craignent ? Contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser, Ibn Taymiyya reconnaît une certaine valeur à de telles inspirations (ilhām). Il aborde notamment ce thème au cours de son commentaire du Futūḥ al-ghayb du grand maître soufi de Baghdād, ‘Abd al-Qādir al-Jīlānī (m. 561/ 1166). Ces pages d’un intérêt particulier pour l’exploration de la spi- ritualité du Shaykh de l’Islam damascain ont déjà fait l’objet de diverses études3 mais, à notre connaissance, n’étaient jusqu’à présent accessibles qu’en arabe. La traduction qui en est ici proposée (texte A) est accompagnée de celle d’un autre texte taymiyyen relatif au même sujet (texte B). Il convient de s’arrêter un instant sur les questions de critique textuelle soulevées par la présence de plusieurs passages communs dans ces deux textes (rendus en bleu dans les traductions). On savait le caractère non scientifique de l’édition séoudienne du Recueil de fetwas (MF) d’Ibn Taymiyya. Ce que la comparaison des deux textes ici traduits met particulièrement en lumière est encore plus grave : l’ignorance totale dans laquelle cette édition nous laisse souvent concernant la nature même et l’authenticité des écrits supposément 1. Calligraphie de Muthannā al-‘Ubaydī (1422/2001) ; voir http:// www.rnon.com/vb/showthread.php?t=5269. 2. Coran, al-Ḥujurāt - XLIX, 12. 3. Voir notamment Th. F. MICHEL, Ibn Taymiyya’s Sharḥ on the Futūḥ al-Ghayb of ‘Abd al-Qādir al-Jīlānī, in Hamdard Islamicus, Karachi, t. IV/2, 1981, p. 3-12 ; p. 8-9. Voir aussi Sh. G. F. HADDAD, Ibn Taymiyya on “Futooh al-Ghayb” and Sufism, site web Living Islam - Islamic tradition, 1996, http://www.livingislam.org/n/itaysf_ e.html (Sh. Haddad plagie sans vergogne une partie de l’article de Th. Michel) ; H. M. KABBANI, Ibn Taymiyya the Sufi Shaikh, sur internet, http://www.naqshbandi.org/naqshbandi.net/www/haqqani/Islam/Haqq iqa/tasawwuf_taymiyya.html. Voir aussi A. H. I. AL-MATROUDI, The Îanbalī School of Law and Ibn Taymiyyah: Conflict or conciliation, Londres - New York, Routledge, « Culture and Civilization in the Middle East », 2006, p. 46. « taymiyyens » qui y sont réunis. En l’occurrence, nous trouvons-nous devant un brouillon et un propre, ou une ébauche et un texte fini, ou devant deux écrits conçus en des contextes différents ? Deux écrits également issus de la main d’Ibn Taymiyya ou dictés par lui à un de ses disciples ? De plus, dans un de ces deux textes ou dans les deux, y eut-il mise au propre, édition ou quelque autre forme d’intervention rédactionnelle par quelqu’un d’autre qu’Ibn Taymiyya, un auteur plus tardif ou un disciple direct, Ibn Rushayyiq (m. 749/1348) par exemple, dont le rôle dans la conservation et la mise en circulation des œuvres du Shaykh de l’Islam est aujourd’hui mieux perçu4 ? Autre hypo- thèse : un de ces textes, ou tous les deux, seraient-ils des notes de cours de disciples ? De telles interrogations se justifient pour la cen- taine de pages du commentaire taymiyyen du Futūḥ al-ghayb5 dont le texte A est extrait comme pour les six pages de « propos » d’Ibn Taymiyya constituant le texte B. Dans l’état présent de l’étude du corpus du Shaykh de l’Islam, il est impossible d’y apporter des réponses. À vrai dire, seule une chose semble claire: du thème de l’inspiration le texte B offre un traitement plus rapide, ou moins scolastiquement détaillé que le texte A ; il inclut cependant plusieurs éléments sans équivalents dans le texte A – notamment des ḥadīths et des vers – et constitue ainsi, lui aussi, une œuvre sui generis. Autre conclusion qui s’impose, plus générale et sans surprise: l’édition critique des fatwas d’Ibn Taymiyya reste une œuvre à accomplir. Il y a controverse entre les experts modernes sur la nature et le nombre exacts des sources de la Loi, ou des principes de la jurispru- dence, reconnus par Ibn Taymiyya en sus du Coran, de la Tradition prophétique (sunna) et du consensus (ijmā‘)6. Quid de l’inspiration ? Comme il en a l’habitude à tout propos, la réponse du Shaykh de l’Islam se veut via media entre deux extrêmes ; en l’occurrence, une négation et une affirmation absolues que l’inspiration soit une voie de la connaissance religieuse. Il est des situations d’incapacité de déter- miner ce que, de deux choses ou actions, la religion prescrit exacte- ment. Si un cœur « habité par la crainte de Dieu » choisit alors une voie plutôt qu’une autre, ce jugement de prépondérance est valide au regard de la Sharī‘a. Ce ne serait pas le cas s’il naissait simplement d’un choix ou d’une volonté de l’ego. Mais justement, il s’agit d’un cœur à l’intention pure et en quête de la vérité, largement indemne du péché, dont la prime nature (fiṭra) non seulement ne s’est pas « dissoute » mais est « affermie par la réalité de la foi » et « éclairée de la lumière du Coran ». Bref, le serviteur croyant n’est pas laissé seul mais, inspiré par Dieu, a un pressentiment (ẓann), une intuition (wārid), ou une certitude (yaqīn) conformes à la réalité – les faits ontologiques ou les valeurs éthiques –, sans que d’autres aient alors ce savoir en partage. Et Ibn Taymiyya de fonder sa réflexion sur une série de textes coraniques ou prophétiques, qu’il s’agisse de ces individus muḥaddathūn, à qui il était parlé d’En-Haut avant l’Islam, du savoir d’al-Khaḍir incompris de Moïse, ou du merveilleux ḥadīth qudsī des actions surérogatoires dans lequel Dieu déclare Se faire l’ouïe et la vue de Son bien-aimé, « quand Il est en son cœur », etc. Alors même que de telles vues devraient immanquablement avoir un impact sur les uṣūl al-fiqh, il est clair que le propos d’Ibn Taymiyya n’est pas confiné à cette discipline mais vise plus largement à comprendre et à baliser le cheminement des itinérants sur la Voie de l’Islam. Tout en constituant aussi un fiqh al-sharī‘a, ceci invite bien entendu à comparer ses idées avec celles de maîtres soufis. À cet 4. Voir C. BORI, The Collection and Edition of Ibn Taymīya’s Works: Concerns of a Disciple, in Mamlūk Studies Review, Chicago, XIII/2, 2009, p. 47-67; Ibn Taymiyya wa-Jamā‘atu-hu: Authority, Conflict and Consensus in Ibn Taymiyya’s Circle, in Y. RAPOPORT & Sh. AHMED (éds.), Ibn Taymiyya and his Times, Karachi, Oxford University Press, « Studies in Islamic Philosophy, IV », 2010, p. 23- 52; p. 29-30. 5. IBN TAYMIYYA, MF, éd. IBN QĀSIM, t. X, p. 455-548. 6. Voir A. H. AL-MATROUDI, School, p. 39-40. — — 2 égard, le contraste entre son interprétation du Verset de la Lumière (al-Nūr - XXIV, 35) et celle d’al-Ghazālī dans le Mishkāt al-anwār se révèle des plus instructifs. Pour al-Ghazālī, la séquence niche, verre, olivier, lampe, lumière évoquée par le Coran est une allégorie de la hiérarchie des facultés de l’âme : l’esprit sensible, l’imagination, la cogitative et l’intellect, faculté potentiellement « sainte, prophétique », « dont la lumière brille presque d’elle-même, au point que [les saints] pourraient presque se dispenser de l’assistance des Prophètes […] Et puisque toutes ces lumières se situent les unes au-dessus des autres, l’expression « lumière sur lumière » leur est exactement appropriée1. » Cette interprétation est empruntée à Avicenne2. Ibn Taymiyya, quant à lui, ne soumet l’expression « Lumière sur lumière » à aucun concor- disme philosophique mais y voit une évocation de la correspondance entre la lumière de la foi et la lumière du Coran ou, en d’autres termes, entre les commandements et prohibitions se présentant au cœur du croyant et ceux du Coran, les uns se renforçant par les autres… TRADUCTIONS 3 A. La guidance d’une lumière Il se peut que, lorsque les preuves [justifiant de faire ceci ou cela] s’équivalent pour lui, un [individu] donne la prépondé- rance [à une des deux choses] sur la base de ses simples volonté (irāda) et choix (ikhtiyār). Donner la prépondérance (tarjīḥ) [à quelque chose] sur la base d’un simple choix, cela n’est proposé par aucun des imāms de l’Islam mais seulement par un groupe de théologiens du Kalām. Un groupe de juristes l’a néanmoins aussi proposé en ce qui concerne l’homme du commun (‘āmmī) demandant un fetwa : il [lui appartient de] choisir entre deux muftis différents ; et cela, tout comme un groupe des itinérants (sālik) [de la voie spirituelle], quand deux affaires sont selon eux égales dans la Loi, donnent la prépon- dérance [à l’une] sur la base de leurs simples gustation (dhawq) et volonté ! Donner la prépondérance [à quelque chose] sur la base d’une simple volonté qui ne s’appuie sur aucune affaire de savoir, ni intérieur (bāṭin) ni apparent (ẓāhir)4, cela n’est [pour- tant] proposé par aucun des imāms du savoir et de l’ascèse. Les imāms des juristes et des soufis ne proposent pas cela non plus. En fait, quiconque permet à celui qui fait un effort d’initiative canonique (mujtahid), ou à celui qui uploads/Religion/ textes-spirituels-d-x27-ibn-taymiyya-nouvelle-serie-ix-lumiere-sur-lumiere-la-valeur-de-l-x27-inspiration.pdf
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- Publié le Sep 17, 2021
- Catégorie Religion
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