Milieux bibliques M. Thomas römer, professeur enseIgnement et recherche Cours :

Milieux bibliques M. Thomas römer, professeur enseIgnement et recherche Cours : Le dieu Yhwh : ses origines, ses cultes, sa transformation en dieu unique (première partie) Le but de ce cours était de reprendre une question complexe et passionnante, celle de l’histoire du dieu dont parle la bible hébraïque, qui est devenu le dieu auquel se réfèrent, de manières différentes, les trois religions monothéistes. Cette question a été abordée avec les outils de la critique historique, philologique et exégétique. Comment peut-on, dans l’état actuel de nos connaissances retracer l’histoire de ce dieu depuis ses origines jusqu’à sa « victoire » sur les autres dieux et déesses et l’affirmation qu’il est le dieu unique ? La première partie du cours a été consacrée à la question des origines du dieu Yhwh jusqu’à son installation comme dieu national en israël et en Juda. Le nom, sa prononciation et sa signification La bible hébraïque (bH) contient deux textes, de provenance différente, qui parlent de la révélation du nom de Yhwh à Moïse, Exode 3 et Exode 6. Que montrent l’analyse et la comparaison de ces deux textes ? Les deux textes convergent dans l’idée que le nom de Yhwh a été révélé (pour la première fois) à Moïse. ex 3 situe cette révélation à l’Horeb, la « montagne de dieu » (anticipation d’ex 19), ex 6, dans le pays d’égypte. ex 3 cherche à donner une explication au nom divin ou à faire une allusion à ce nom en l’expliquant à l’aide de la racine h-y-h (« être »). ex 6 n’explique pas le nom, mais dit seulement que ce même dieu s’est présenté auparavant comme « el (shadday) ». bien que les deux textes datent au plus tôt du Vie siècle avant notre ère, ils semblent garder le souvenir que Yhwh n’a pas été depuis toujours le dieu d’israël et que sa relation avec israël est liée à la tradition de l’exode dans un sens large (égypte, séjour dans le pays de Madian, etc.). Le fait que, au moins dans un premier 400 THoMas rÖMer temps, Yhwh, en ex 3, ne réponde pas directement à la question de Moïse mais, avec une espèce de pirouette (« je serai qui je serai »), reflète peut-être déjà une sorte d’aversion pour la prononciation du nom du dieu d’israël. Comment le nom de Yhwh s'est-il prononcé ? La reconstitution traditionnelle « Yahvé » se fonde d’abord sur le témoignage de certains Pères de l’église (Clément d’alexandrie, Théodoret et d’autres). origène d’alexandrie (185-253), dans son commentaire sur le Ps 2, discute l’interdiction de prononcer le nom divin chez les Juifs et fait référence au nom divin en parlant simplement du « tétragramme » mais parfois aussi via le nom « Ἰαή » (ce qui semble correspondre à un « Yahwé »). néanmoins il sait aussi que, dans les noms propres, la prononciation du nom divin est « yhw ». et il cite, dans son Contre Celse, la forme de Ἰαώ en la présentant comme la prononciation des gnostiques. Une idée similaire se trouve chez Tertullien. À partir de cela, on a souvent considéré cette prononciation comme étant limitée aux groupes hérétiques, ce qui, pourtant, est faux. À eléphantine, les Juifs appellent leur dieu Yhw, yhh ṣb’t, dans des noms théophores on trouve l’élément : yh qui correspond peut-être à la prononciation yaho. Très intéressant aussi est un texte trouvé à Qumran 4QpapLXXLevb (fragment 20 = Lev 4,26-28) qui contient un fragment du Lévitique en grec où le tétragramme est rendu par ΙΑΩ. Cette prononciation se trouve probablement aussi dans une stèle votive de l’époque romaine du iiie siècle dédiée à Zeus sérapis (dieu créé par Ptolémée ier comme dieu national de grèce et de l’égypte) qui (après coup) a été identifié à iao (musée de Léon, espagne). La forme brève Yahu/o est largement attestée dans les noms propres bibliques et extrabibliques qui comportent cet élément théophore : Yirmeyahu, Yesha‘yahu, Yehonatan... À ces deux prononciations, il faut encore en ajouter une troisième « Yah » qui se trouve notamment dans l’exclamation hallelu-yah, mais aussi dans d’autres textes bibliques. selon le dossier biblique, la plupart des références pour « Yah »se trouvent dans les Psaumes. Quant aux autres attestations, ce sont également des textes hymniques. on peut donc en déduire que Yah est une variante liturgique. on aurait alors deux variantes principales du nom divin : la forme longue yhwh et la forme courte yhw. La question se pose alors de savoir quelle est la relation entre ces deux formes. on devrait peut-être partir de l’idée que les deux variantes du nom coexistaient et que la forme courte était largement utilisée dans les noms propres théophores mais pas de manière exclusive. on pourrait également se poser, à la suite de Weippert1, la question de savoir si le nom divin a été prononcé différemment dans le nord et dans le sud. on pourrait aussi spéculer sur le fait que le tétragramme s’impose dans la rédaction du texte biblique dans le contexte de l’interdiction de prononcer le nom divin. Puisqu’on a dû garder la vocalisation dans les noms propres, on a du coup repris pour le nom divin une forme longue peut-être moins usitée à l’époque perse pour distinguer le nom imprononçable de l’utilisation des noms théophores. 1. M. Weippert, « Jahwe », Jahwe und die anderen Götter. Studien zur Religionsgeschichte des antiken Israel in ihrem syrisch-palästinischen Kontext (FaT 18), Tübingen, Mohr siebeck, 1997, p. 35-44. MiLieUX bibLiQUes 401 Le refus du judaïsme de prononcer le nom divin Ce refus est attesté dans les manuscrits grecs de la bH qui, pour la plupart, attestent un kurios à la place du tétragramme ce qui correspond à l’hébreu ’adonay (« seigneur »). Les raisons pour ce refus sont sans doute multiples : – Yhwh est un nom propre ; dans le cadre d’une conception monothéiste, il ne convient guère que le dieu unique porte un nom qui sert à le distinguer d’autres divinités. – Une certaine interprétation du Décalogue : « tu n’utiliseras pas le nom de ton dieu pour la futilité » et une certaine sacralisation du nom. – L’utilisation du nom dans des contextes magiques. Cette interdiction s’est sans doute faite progressivement. dans la Mishnah, on trouve l’idée que le grand prêtre, le jour du Yom Kippur, peut, dans le saint des saints, prononcer le nom divin (mYom 6,2 ; ce qui peut refléter une pratique durant les dernières décennies de l’existence du temple de Jérusalem). Chez les samaritains existe la tradition selon laquelle le grand prêtre transmet secrètement la prononciation à son successeur. alternativement au substitut adonay/kurios on trouve dans certains manuscrits grecs, au lieu de kurios, théos. Cela peut refléter l’idée de remplacer le tétragramme par élohim (cf. dans la bH des passages où se trouve l’expression yhwh ’lhym). on aurait donc eu, dans un premier temps, plusieurs manières d’indiquer le fait que le tétragramme ne peut se prononcer (voir aussi dans certains manuscrits de Qumran l’écriture du nom divin en caractères paléohébraïques). La signification du nom C’est une question qui donne lieu à de longs débats passionnés. il faut peut-être avec van der Toorn2 relativiser un peu cette question. est-il si important pour nommer/invoquer quelqu’un de savoir l’étymologie de son nom ? Cette étymologie peut être oubliée, elle peut être obscure et ne pas jouer de rôle important au niveau d’un culte qu’on rend à telle ou telle divinité ; et le nom ne définit pas nécessairement la « nature » d’une divinité. Exode 3 présuppose un lien entre le nom divin et la racine h-y-h (« être »). Mais s’agit-il vraiment d’une tentative d’expliquer l’étymologie du nom ou seulement d’un jeu de mots à partir d’une idée théologique selon laquelle le dieu d’israël échappe à la mainmise de l’homme (« je serai qui je serai ») tout en lui promettant assistance et accompagnement (« je serai avec toi »). 1. néanmoins l’explication à partir d’une racine « être » est souvent acceptée. a) À partir des noms propres amorites attestés à Mari, comme Yaḥwi-ilum (« el est ; se manifeste ») ; Yaḥwi-adad, etc. selon W. von soden3, le fait qu’il manque pour le « Yahwé » biblique le nom de la divinité est une preuve que les israélites avaient, dès les origines, une conception plus abstraite de dieu que leurs voisins. 2. K. van der Toorn, « Yahweh », DDD (2e éd.) 1999, p. 910-919. 3. W. von soden, « Jahwe ‘er ist, er erweist sich’ », dans Müller H.-P. (éd.), Bibel und Alter Orient. Altorientalische Beiträge zum Alten Testament von Wolfram von Soden (BZAW 162), berlin, Walter de gruyter, 1985, p. 78-88. 402 THoMas rÖMer b) W. albright4 accepte également l’étymologie biblique ; le « a » sous la préformante est pour lui l’indicatif d’une forme causative : « celui qui fait être », « celui qui crée ». il pense qu’il s’agit à l’origine d’une certaine manifestation d’el, le nom complet aurait été *’ēl yahweh yiśrā’ēl, « el donne la vie/crée israël ». uploads/Religion/ thomas-romer-03-le-dieu-yahve-1-ses-origines-ses-cultes-sa-transformation-en-dieu-unique 1 .pdf

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  • Publié le Dec 26, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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