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Tous droits réservés © Les Éditions La Liberté, Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 9 avr. 2019 14:54 Les Cahiers des Dix Voix des esclaves autochtones et des esclavagistes : un cas d’histoire intersectionnelle dans les archivesjudiciaires de la juridiction de Montréal Dominique Deslandres Explorer la mémoire et l'histoire Numéro 72, 2018 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1056415ar DOI : https://doi.org/10.7202/1056415ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Éditions La Liberté ISSN 0575-089X (imprimé) 1920-437X (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Deslandres, D. (2018). Voix des esclaves autochtones et des esclavagistes : un cas d’histoire intersectionnelle dans les archivesjudiciaires de la juridiction de Montréal. Les Cahiers des dix, (72), 145–175. https://doi.org/10.7202/1056415ar Résumé de l'article L’affaire Constant se prête à merveille à l’analyse intersectionnelle qui invite à penser la pluralité des formes et des logiques de domination (en particulier sexe, race et classe) et la complexité de leurs articulations. En effet, elle révèle les dynamiques de pouvoir qui régissent la maison entièrement féminine dans laquelle est perpétré le crime d’un esclave panis en 1757. Mais surtout, au-delà de la vérité pérenne et tragique – et pourtant si souvent invisibilisée – qu’elle révèle de l’esclavage autochtone à Montréal et en Nouvelle-France, elle permet « d’entendre » les voix des esclaves autochtones et de prendre la mesure de leur agentivité (ou horizon d’action pensé et vécu). Les cahiers des dix, no 72 (2018) Voix des esclaves autochtones et des esclavagistes Un cas d’histoire intersectionnelle dans les archives judiciaires de la juridiction de Montréal1 DOMINIQUE DESLANDRES C onstant est complètement saoul quand, « sur les huit heures du soir » du dernier dimanche de novembre 1756, il abandonne Joseph, son copain de beuverie, et pénètre par effraction dans le grenier de Madame de Saint Pierre, rue Notre-Dame, pour, prétend-il, « caresser les filles ». Il est pris sur le fait et conduit en prison dans des circonstances qui nous paraissent dignes d’un vaudeville. Tout y est en effet. Les filles qui sont « toutes epeurées d’avoir entendu du bruit ». Leur maîtresse qui refuse de s’alarmer. « Eh bien » leur dit-elle « quand j’auray souppé je voiray »; et elle s’attable pour souper tranquillement avec sa vieille tante Guillemin qui fait office de gouvernante. Deux heures plus tard, comme elle s’apprête à monter 1. Je remercie chaleureusement Denys Delâge et Catherine Desbarats pour leur prompte relecture et leurs judicieux commentaires de même qu’Allan Greer pour la révision de la traduction anglaise du résumé de cet article dont la recherche a été financée par le Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada. 146 CAHIERS DES DIX, No 72 (2018) au grenier pour vérifier ce qui s’y passe, arrive pour la veillée le jeune cadet Ignace Dandeneau du Sablé. Et c’est sabre au clair, qu’il monte, accompagné de la maîtresse de maison et « dune servante qui portoit un flambeau ». C’est là que le groupe découvre ledit Constant – enfin, il voit d’abord ses jambes derrière la porte. Du Sablé « ayant demandé a la Dame de Sr pierre si elle vouloit quil le tuat et lad dame de st pierre ayant recommandé de n’en rien faire il y entra lepee nüe a la main et courut à cet homme quil saisit au collet et conduisit en bas ». L’intrus, toujours éméché, n’oppose aucune résistance au jeune de dix-huit ans, qui joue ainsi des mécaniques à peu de frais. En redescendant l’escalier, la veuve Saint Pierre fait un faux pas, tombe et se casse le bras. Dans le chaos qui s’en suit, ce qu’il y a de surprenant, c’est que le premier mouvement de Du Sablé est de laisser tout ce beau monde dans la cuisine (Madame qui se fait panser le bras, Constant toujours aussi saoul, les filles qui l’ignorent, la domestique qui le reconnaît) pour chercher le maître de Constant, Raimbault de Saint-Blin « demeurant rue Saint Paul ». Visiblement, il n’y a ni urgence ni danger. Pourtant, le maître de Constant refuse de se déplacer et dit plutôt à Du Sablé « de prendre deux soldats au corps de garde et de le mener en prison ». Ce qu’il fait. Comme la prison est littéralement la porte à côté de la maison de Madame de Saint Pierre, Du Sablé et ses soldats y transportent Constant qui est pieds nus car ce dernier a « laissé ses souliers et ses jarretoires » là-haut dans le grenier2. Mais ce n’est pas pour cuver son vin, comme le ferait un valet dans une farce de Molière. Aucun des protagonistes ne trouve comique la situation. 2. Toute cette histoire se déroule dans un petit quadrilatère de la Ville de Montréal. La maison des Saint Pierre est sise sur la parcelle n.244. Adhémar, http://www. remparts.info/adhemar_php/bio18.php?I_NUMERO=GUI0015 et bien qu’il n’évoque pas l’affaire Constant, Joseph L. Peyser, Jacques Le Gardeur de Saint-Pierre. Officer, Gentleman, Entrepreneur, East Lansing, Michigan State University Press, 1996, p. 137, fournit une carte très utile de Montréal qui permet de situer la prison, les maisons Saint Pierre et Saint-Blin. VOIX DES ESCLAVES AUTOCHTONES ET DES ESCLAVAGISTES 147 De fait, la situation se situe aux antipodes d’une bouffonnerie de la Comedia del arte. En effet, le procès de Constant, dont l’issue sera pour lui dévastatrice, expose la vérité pérenne et tragique – et pourtant si souvent invisibilisée – de l’esclavage autochtone en Nouvelle-France car Constant est « l’esclave panis du Sr de St Blin officier », les filles à qui il veut conter fleurette sont toutes les trois « filles panises de la Dame de st pierre » et son compagnon Joseph, le « Panis du sr Deriviere3 ». Tous et toutes sont les proies de la société esclavagiste et tricotée serrée de Montréal4. C’est en poursuivant mon enquête sur les femmes de Montréal devant la justice du roi que j’ai découvert ce cas troublant. Il se produit dans l’anxiété exacerbée des débuts d’une guerre, dont on ne connaît encore ni la durée, ni les aboutissements. La Ville de Montréal qui a vu partir et revenir les troupes lors de campagnes militaires plus ou moins 3. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, ci-après [BAnQ] TL4,S1,D6131 Procès contre Constant, esclave panis de Raimbault de Saint-Blin, fils, accusé d’entrée par effraction, 24 novembre 1756 - 22 janvier 1757; TL5, D1906; Procès criminel contre Constant, esclave Panis, avec les Français depuis cinq ans, appartenant au sieur de Saint- Blin, officier, et demeurant avec lui rue Saint-Paul, accusé de vol, 24 novembre 1756 - 26 mars 1757; TP1, S28, P17367 Appel mis au néant de la sentence rendue, le 22 janvier 1757, contre Constant, esclave panis du sieur de Saint-Blin, … accusé de s’être introduit pendant la nuit dans le grenier de la veuve Saint-Pierre - 26 mars 1757. 4. Tous les propriétaires d’esclaves en cause dans le cas Constant sont apparentés par les liens du sang et les liens commerciaux des Pays d’en Haut: Paul François Raimbaut de Saint-Blin (1696-1764), officier et seigneur, est le troisième fils de Pierre Raimbaut le notaire, procureur du roi, seigneur [Programme de Recherche en Démographie Historique [ci-après PRDH] Famille # 6760 (Pierre Raimbault et Jeanne François Sim- blin)]. Sa sœur Marie Louise Raimbault épouse, en 1718, Julien Trottier Desruisseaux Desrivières (1687-1737) (PRDH Mariage #48227) qui a déjà un fils illégitime, Julien Trottier Desrivières (1716-1761), époux en 1721 de la métisse Josèphe Marier [PRDH Individu #14215] et qui fera sa carrière de marchand dans les Pays d’en Haut. Enfin le demi-frère de ce Julien, Joseph Amable [1732-1771] épousera Marie Charlotte Guil- lemin en 1763: c’est la nièce de Mme de Saint Pierre! Laquelle Mme de Saint Pierre se remariera en 1757 avec un autre « spécialiste des autochtones » et esclavagiste notoire, Luc Dechapt Delacorne St-Luc qui a guerroyé sous les ordres de son premier mari. Voir Marcel Trudel, Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français, Montréal, Hurtubise HMH, 1990, p. 8, 354, 404. Pierre Tousignant et Madeleine Dionne-Tousignant, « La Corne, Luc de », Dictionnaire biographique du Canada, [ci-après DBC] vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003, consulté le 13 nov. 2018, http://www.biographi.ca/fr/bio/la_corne_luc_de_4F.html. 148 CAHIERS DES DIX, No 72 (2018) réussies, vit une disette sévère. Les vivres sont rationnés à cause de la guerre, de la mauvaise gestion locale et des mauvaises conditions météorologiques. Et les tensions sociales sont vives5. Le perpétrant qui ne voulait, dans son ébriété, que « faire l’amour aux filles panises de la Dame de St Pierre », cause ainsi, nuitamment, dans la demeure, une grande frayeur et un accident. Ce qui lui vaut d’être puni de carcan, de bannissement perpétuel et, après son appel uploads/Religion/ voix-des-esclaves-autochtones-et-des-esc.pdf

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  • Publié le Jul 01, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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