Marcel KUNTZ L’AFFAIRE SÉRALINI L’IMPASSE D’UNE SCIENCE MILITANTE Juin 2019 fon

Marcel KUNTZ L’AFFAIRE SÉRALINI L’IMPASSE D’UNE SCIENCE MILITANTE Juin 2019 fondapol.org 2 3 L’AFFAIRE SÉRALINI L’IMPASSE D’UNE SCIENCE MILITANTE Marcel KUNTZ 4 La Fondation pour l’innovation politique est un think tank libéral, progressiste et européen. Président : Nicolas Bazire Vice Président : Grégoire Chertok Directeur général : Dominique Reynié Président du Conseil scientifique et d’évaluation : Christophe de Voogd 5 La Fondation pour l’innovation politique offre un espace indépendant d’expertise, de réflexion et d’échange tourné vers la production et la diffusion d’idées et de propositions. Elle contribue au pluralisme de la pensée et au renouvellement du débat public dans une perspective libérale, progressiste et européenne. Dans ses travaux, la Fondation privilégie quatre enjeux : la croissance économique, l’écologie, les valeurs et le numérique. Le site fondapol.org met à disposition du public la totalité de ses travaux. La plateforme « Data.fondapol » rend accessibles et utilisables par tous les données collectées lors de ses différentes enquêtes et en plusieurs langues, lorsqu’il s’agit d’enquêtes internationales. De même, dans la ligne éditoriale de la Fondation, le média « Anthropotechnie » entend explorer les nouveaux territoires ouverts par l’amélioration humaine, le clonage reproductif, l’hybridation homme/ machine, l’ingénierie génétique et les manipulations germinales. Il contribue à la réflexion et au débat sur le transhumanisme. « Anthropotechnie » propose des articles traitant des enjeux éthiques, philosophiques et politiques que pose l’expansion des innovations technologiques dans le domaine de l’amélioration du corps et des capacités humaines. Par ailleurs, le média « Trop Libre » offre un regard quotidien critique sur l’actualité et la vie des idées. « Trop Libre » propose également une importante veille dédiée aux effets de la révolution numérique sur les pratiques politiques, économiques et sociales dans sa rubrique « Renaissance numérique ». La Fondation pour l’innovation politique est reconnue d’utilité publique. Elle est indépendante et n’est subventionnée par aucun parti politique. Ses ressources sont publiques et privées. Le soutien des entreprises et des particuliers est essentiel au développement de ses activités. FONDATION POUR L’INNOVATION POLITIQUE Un think tank libéral, progressiste et européen 6 INTRODUCTION..................................................................................................................................................................................................9 I. LA PRESSE, LES POUVOIRS PUBLICS ET LES SCIENTIFIQUES FACE À LA MISE EN SCÈNE MÉDIATIQUE D’UNE SCIENCE MILITANTE..........................10 1. Emballement et critiques médiatiques...................................................................................10 2.  L’écologie politique et les contre-feux de ses alliés médiatiques.............................................................................................................................12 3. Le Criigen et son réseau..................................................................................................................................14 4. La complaisance des pouvoirs publics...................................................................................15 5. La recherche publique pointée du doigt. ................................................................................18 6. Une opération de communication réussie.........................................................................20 II. LE TEMPS DES RÉFUTATIONS SCIENTIFIQUES...........................................................................20 1.  Les évaluations scientifiques des agences officielles françaises.................................................................................................20 2. Le gouvernement surenchérit...............................................................................................................22 3.  Les évaluations scientifiques des agences officielles étrangères...............................................................................................22 4. Une vague de réfutations de scientifiques........................................................................24 5. L’étude est retirée par Food and Chemical Toxicology....................................25 6. Le monde de l’écologie politique dénonce un complot..................................26 7 . Considérations sur la republication de l’article...........................................................27 8. Des études publiques : la « vraie fin de l’affaire Séralini » ?..............28 CONCLUSION....................................................................................................................................................................................................31 SOMMAIRE 7 RÉSUMÉ En septembre 2012, la publication alarmiste sur la consommation d’un maïs de type OGM, par Gilles-Éric Séralini et ses collaborateurs dans le journal scientifique Food and Chemical Toxicology, illustrée de tumeurs monstrueuses chez des rats, déclencha une vague médiatique, des réactions politiques et un immense choc parmi les scientifiques. Bien que progressivement discréditée, retirée du journal, et finalement réfutée par des études scientifiques financées par des subventions publiques françaises et européennes, cette publication et son mode de médiatisation (notamment, avant parution, les conditions inhabituelles imposées aux journalistes qui ne purent soumettre la publication à avis critiques) marqueront l’histoire des conflits qui peuvent apparaître entre les processus de recherche scientifique et leur réception médiatique, politique ou sociale. 8 L’auteur n’exprime pas une position officielle de ses employeurs. Il n’a aucun revenu lié à la commercialisation de produits agricoles, biotechnologiques ou agrochimiques. Cette étude constitue le premier volet d'une série de la Fondation pour l'innovation politique sur les biotechnologies, sous la direction scientifique de Madame Catherine Regnault-Roger, professeur des universités émérite à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, membre de l'Académie d'agriculture de France et membre correspondant de l'Académie nationale de Pharmacie. 9 INTRODUCTION NK603 est le nom d’un caractère génétique* (tolérance à l’herbicide glyphosate) introduit dans le maïs par transgénèse*. Les lignées qui le portent étaient, par exemple, cultivées aux États-Unis et autorisées à l’importation en Europe. Une publication consacrée à la consommation de ce maïs de type OGM*, par Gilles-Éric Séralini et ses collaborateurs, parue en septembre 2012 dans un journal scientifique de qualité 1, illustrée de tumeurs monstrueuses chez des rats, accompagnée d’une opération de communication de grande ampleur, incluant deux livres (l’un de Gilles-Éric Séralini, l’autre de Corinne Lepage), un documentaire diffusé par France 5 et un film de Jean-Paul Jaud, déclencha un emballement médiatique et politique, ainsi que des critiques scientifiques. Cette note se propose de résumer ces événements de manière factuelle et référencée. * À la fin de cette note (p. 33-35), un glossaire explicite un certain nombre de termes, signalés par un astérisque à leur première occurrence. 1. Gilles-Éric Séralini, Émille Clair, Robin Mesnage, Steeve Gress, Nicolas Defarge, Manuela Malatesta, Didier Hennequin et Joël Spiroux de Vendômois, « RETRACTED: Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize », Food and Chemical Toxicology, vol. 50, n° 11, novembre 2012, p. 4221-4231 (www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0278691512005637). L’AFFAIRE SÉRALINI L’IMPASSE D’UNE SCIENCE MILITANTE* Marcel KUNTZ Directeur de recherche au CNRS, enseignant à l’université Grenoble-Alpes, médaille d’or 2017 de l’Académie d’agriculture de France. 10 fondapol | l’innovation politique I. LA PRESSE, LES POUVOIRS PUBLICS ET LES SCIENTIFIQUES FACE À LA MISE EN SCÈNE MÉDIATIQUE D’UNE SCIENCE MILITANTE 1. Emballement et critiques médiatiques Le Nouvel Observateur lança la campagne médiatique dans son numéro du 19 septembre 2012, anticipant la conférence de presse donnée le 20 septembre par Gille-Éric Séralini (professeur à l’université de Caen) avec Corinne Lepage (eurodéputée en 2012) au Parlement européen à Bruxelles. Le dossier du magazine, exclusivement à charge, sous la responsabilité du journaliste Guillaume Malaurie, présentait un scénario digne d’un roman d’espionnage (étude utilisant un nom de code, importation rocambolesque des graines de ce maïs du Canada, laboratoire secret en raison de menaces alléguées…). La couverture du Nouvel Observateur généralisait à tous les OGM ce qui concernait éventuellement une seule lignée de maïs en titrant : « Oui, les OGM sont des poisons ! ». La presse française généraliste s’aligna presque unanimement sur cette vision alarmiste. À notre connaissance, seuls firent exception à cet emballement Le Figaro (en particulier les journalistes Cyrille Vanlerberghe et Marc Mennessier 2) et Le Monde. Dans ce dernier journal, on a pu lire les propos critiques du toxicologue Gérard Pascal 3, un expert ayant exercé de nombreuses fonctions institutionnelles 4, ainsi que deux articles factuels, l’un modérément sceptique de Stéphane Foucart 5, l’autre d’Hervé Kempf 6, empathique avec Séralini. Le magazine Valeurs actuelles, lui, fit part de son scepticisme dans un court entrefilet. L’étude, disponible publiquement le 20 septembre, put ensuite être analysée en détail, et les jours suivants d’autres commentaires critiques émergèrent. Ainsi le toxicologue Jean-François Narbonne (qui a aussi exercé de nombreuses fonctions institutionnelles 7) affirme-t-il, le 21 septembre, que « cette étude 2. Cyrille Vanlerberghe et Marc Mennessier, « L'étude sur les OGM fortement contestée », lefigaro.fr, 20 septembre 2012 (http://sante.lefigaro.fr/actualite/2012/09/20/19097-letude-sur-ogm-fortement-contestee). Cet article faisait suite à un autre de Marc Mennessier qui avait été rédigé sans avoir pu recueillir des avis scientifiques (« Les OGM à nouveau sur le banc des accusés », lefigaro.fr, 19 septembre 2012, http://sante. lefigaro.fr/actualite/2012/09/19/19073-ogm-nouveau-sur-banc-accuses). 3. « OGM : “Le protocole d’étude de M. Séralini présente des lacunes rédhibitoires” », interview de Gérard Pascal, propos recueillis par Audrey Garric, lemonde.fr, 20 septembre 2012 (www.lemonde.fr/planete/article/2012/09/20/ogm-le-protocole-d-etude-de-m-seralini-presente-des-lacunes- redhibitoires_1762772_3244.html). 4. Biographie consultable sur https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rard_Pascal. 5. Stéphane Foucart, « L’étude qui relance la polémique sur les OGM », lemonde.fr, 20 septembre 2012 (www. lemonde.fr/planete/article/2012/09/20/l-etude-qui-relance-la-polemique-sur-les-ogm_1762704_3244.html). 6. Hervé Kempf, « OGM : Gilles-Éric Séralini, un scientifique engagé et critiqué », lemonde.fr, 20 septembre 2012 (www.lemonde.fr/planete/article/2012/09/20/gilles-eric-seralini-un-scientifique-engage_1762706_3244.html). 7 . Biographie consultable sur www.atctoxicologie.fr/association/nos-membres/31-narbonne-jean-francois1.html. L’affaire Séralini. L’impasse d’une science militante 11 donne des résultats surprenants, inexplicables et comporte quelques lacunes évidentes. Les résultats doivent donc être sérieusement étudiés […]. En revanche, toutes les extrapolations relèvent de la désinformation caractérisée 8 ». Le 24 septembre, Sciences et Avenir publie un décryptage de qualité, rédigé par Rachel Mulot, Hervé Ratel, Olivier Hertel et Loïc Chauveau 9 (ce magazine avait déjà publié le 20 septembre une réaction à chaud de Gérard Pascal 10). Michel de Pracontal, lui, publie le 22 septembre un article sur Médiapart 11 et poursuit sa réflexion avec lucidité le 6 octobre sur le blog du même site 12. Dans un autre article, ce même journaliste identifiera également « le labo secret » où l’étude a été réalisée et s’interrogera sur l’absence de transparence qui, contrairement aux usages, entoure ce laboratoire, avant et après la publication de l’étude 13. Une autre thématique va émerger, concernant les conditions inhabituelles d’embargo imposées aux journalistes. Ces derniers devaient s’engager à ne pas transmettre la publication pour avis critiques avant parution, comme cela est pourtant habituellement le cas. Dès le 21 septembre, le uploads/Science et Technologie/ 158-laffaireseralini-2019-06-07-w.pdf

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