LACASSE Richard-Marc & LAMBERT Berthe Vol 5 N°1 L’innovation, entre l’ordre et

LACASSE Richard-Marc & LAMBERT Berthe Vol 5 N°1 L’innovation, entre l’ordre et le chaos 1 Richard-Marc Lacasse PhD Directeur Programme MBA UQAR, Campus de Lévis CANADA Richard-marc_lacasse@uqar.ca Berthe Lambert PhD Professeure Programme MBA UQAR, Campus de Lévis CANADA Berthe_lambert@uqar.ca L’INNOVATION, ENTRE L’ORDRE ET LE CHAOS Résumé : L’objet de cet article est une réflexion sur l’univers de l’innovation. En premier lieu, une synthèse historique est tracée. Elle est suivie de diverses définitions et typologies. Par ailleurs, les auteurs notent l’apport original du Santa Fe Institute et de l’École des systèmes complexes adaptatifs. Le processus d’innovation et les ingrédients de la pensée créative sont ensuite décortiqués. L’article se termine par deux pistes de recherche intéressantes : les dimensions éthiques et l’innovation malveillante. Mots clés : Innovation, créativité, ordre, chaos. Abstract : The purpose of this article is to reflect upon the world of innovation. In the first place, a historical synthesis is presented, followed by various definitions and typologies. The authors note the original contribution of the Santa Fe Institute and the School of Complex Adaptive Systems. The process of innovation and the ingredients of creative thinking are dissected. The article ends with two interesting research niches: ethical dimensions of innovation and malevolent innovation. Key Words : Innovation, creativity, order, chaos. LACASSE Richard-Marc & LAMBERT Berthe Vol 5 N°1 L’innovation, entre l’ordre et le chaos 2 INTRODUCTION L’innovation prend souvent sa source dans le chaos, le désordre et la délinquance. Débutons par une remarque de l’économiste et professeur émérite Pierre-André Julien de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) : « L’innovation dans le crime est une des conditions les plus importantes pour ne pas se faire prendre, car les policiers connaissent la plupart sinon toutes les recettes déjà utilisées et peuvent facilement remonter la piste jusqu’aux auteurs qui les emploient. » Comme on le constate, le délinquant se doit d’abord et avant tout d’être innovant s’il désire agir en toute impunité ; notons par ailleurs que certains succès dans le secteur des technologies financières (FinTech) frôlent de près la délinquance. Nous tenterons donc de démystifier ce monde de l’innovation, et de tisser des liens entre le chaos et l’innovation, pour aborder ensuite un sujet de recherche négligé : celui de la créativité malveillante. 1 ÉTYMOLOGIE ET DÉFINITION Le mot « innovation » tire ses origines du latin « novare », qui signifie « changer, nouveau » ; le préfixe « in » qui s’y ajoute, et qui implique un « mouvement vers l’intérieur », lui donne le sens de « revenir à, renouveler ». Le concept d’« innovation » suppose donc une idée de changement, de renouveau, plutôt qu’une notion de véritable nouveauté. Les définitions académiques du terme, quant à elles, varient selon les objectifs poursuivis par les chercheurs (recherche fondamentale ou appliquée, développement commercial, politique gouvernementale, etc.). Depuis le dix-neuvième siècle, les économistes J. B. Say, P. Leroy-Beaulieu, G. Tarde et J. Schumpeter ont tous tenté de définir le terme « innovation ». Theodore Levitt (1966) observe que les innovations les plus profitables ne sont souvent que des transpositions. Pour Robertson (1967), est considéré comme une innovation tout élément qui contribue à un changement, quel que soit son degré de nouveauté. De leur côté, Knight (1967) et Barreyre (1980) soulignent la connotation de valeur de l’innovation, dans le cas où elle représente une mise en place originale et porteuse de progrès, de découverte, d’invention ou de nouveaux concepts ; cette innovation peut être radicale (de rupture) ou incrémentale. Selon Prager et Omenn (1980), l’innovation englobe un éventail d’activités qui vont de la recherche fondamentale à la mise en marché d’un produit ou d’un service ; cette nouvelle génération de savoir n’atteint son but que si ce nouveau savoir se traduit par un succès commercial. L’innovation constitue un long cheminement qui provient à la fois de la demande du marché, ou market pull, et des percées technologiques, ou technology push (Utterback, 1971). Le Manuel d'Oslo de l'OCDE (2005) énonce une définition de l’innovation qui se veut universelle : « [U]ne innovation est la mise en œuvre (en anglais « implementation ») LACASSE Richard-Marc & LAMBERT Berthe Vol 5 N°1 L’innovation, entre l’ordre et le chaos 3 d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques d’une entreprise, de l’organisation du lieu de travail ou des relations extérieures. » Pour bien comprendre l’essence des innovations, il est utile de s’inspirer de la typologie établie par Barreyre (1980), qui en identifie quatre classes : les innovations technologiques (matériaux, procédés, conditionnement, ingrédients) ; les innovations commerciales (distribution, présentation, logistique, services) ; les innovations organisationnelles (procédures, politiques, structure, impartition) ; les innovations institutionnelles (nouvelles lois, système de santé, filet social). 2 THÉORIE DE LA COMPLEXITÉ ET DU CHAOS La Théorie des systèmes adaptatifs complexes développée par le Santa Fe Institute (SFI) et la matrice de la Complexité/Chaos de Ralph Stacey supportent très bien notre réflexion. La Théorie des systèmes adaptifs complexes (Complex Adaptive Systems) est relativement récente. Dans les années 1985-1995, une équipe multidisciplinaire du Santa Fe Institute effectue, sous le leadership du lauréat du prix Nobel Murray Gell- Mann, plusieurs travaux sur la complexité des systèmes et sur l’émergence de l’innovation. Selon Gell-Mann (1995), la complexité résulte de l'interdépendance, de l'interaction et de l'interconnexion des éléments d'un système qui est lui-même en interaction avec son environnement. L’éventail des recherches du SFI s’étend des sciences pures aux sciences sociales (technologie, biologie, systèmes sociaux). Parmi les systèmes complexes étudiés, citons la colonie de fourmis et sa fourmilière, le cerveau et son ensemble de neurones, la fluctuation des marchés boursiers, les turbulences atmosphériques, ainsi que la firme et ses parties prenantes. Pour le SFI, l’habileté à innover demeure la caractéristique déterminante des systèmes complexes. L’Institut considère que l'émergence et la survie de la nouveauté dans les domaines technologiques, sociaux et biologiques suivent un processus évolutif darwinien. Selon Ralph Stacey, professeur de management à l’Université de Hertfordshire, les organisations innovantes sont souvent associées à une intrication complexe ou à une interconnexion d’éléments de divers systèmes situés à la frontière du chaos et de la stabilité. Les premiers liens entre la théorie du chaos et les technologies financières (FinTech) nous proviennent de Dee Hock, fondateur du service de paiement bancaire VISA. Hock (1995) explique son succès par le mot-valise chaordique, qui fait référence à la saine coexistence du chaos et de l’ordre. Le modèle suivant s’inspire des travaux de Dee Hock. LACASSE Richard-Marc & LAMBERT Berthe Vol 5 N°1 L’innovation, entre l’ordre et le chaos 4 « Chaord » Émergence Innova on Créa vité Organisa ons chaordiques* *Inspiré des concepts de Dee Hock, fondateur du service de paiement VISA Schéma 1 L’innovation émerge de la rencontre de l’ordre et du chaos Selon Hock, c’est la rencontre du chaos et de l’ordre (chaord) qui favorise la créativité, l’innovation et l’émergence de solutions dans les services financiers. 3 PROCESSUS D’INNOVATION Il existe différents modèles du processus de créativité et d’innovation. Dans le cadre de nos recherches, nous avons retenu les cinq phases de Wallas (1926) : la préparation, la réflexion, l’incubation, l’illumination (ou l’éclair de génie), et la vérification. Les quatre premières phases concernent la créativité (production d’une nouveauté), alors que la dernière phase s’applique à la genèse de l’innovation elle-même (la mise en œuvre apportant une valeur). L’un des premiers modèles stratégiques à décrire le processus ou l’élaboration de l’innovation nous provient de Barreyre (1975), professeur émérite de Grenoble, dont le modèle simple est basé sur l’adéquation de trois composantes : - Un besoin à satisfaire ; - Un concept ou une idée nouvelle propre à satisfaire ce besoin ; - Des ingrédients tels que le savoir, la technologie et les matériaux. Le deuxième élément, c’est-à-dire le « concept » ou l’« idée », survient dans un environnement de créativité et d’invention. Selon Robin (1972), la créativité se définit comme la « [f]aculté particulière de l’esprit de réorganiser les éléments pris dans le monde extérieur (éléments culturels ou techniques) pour les présenter sous un aspect nouveau en réalisant ainsi une idée créatrice ». Les principaux éléments de la pensée créative (Amabile, 1997) sont résumés par le Schéma 2. LACASSE Richard-Marc & LAMBERT Berthe Vol 5 N°1 L’innovation, entre l’ordre et le chaos 5 Il ne faudrait pas confondre innovation et invention ! Silvère Seurat (1987) formule clairement la différence qui les sépare : « [L]’innovation se distingue de l’invention en cela que la seconde peut être une idée brillante, mais que la première n’existe que si elle s’incarne. Si l’innovation naît d’un rêve, elle ne peut vivre que dans la réalité. » 4 L’ENVIRONNEMENT FAVORABLE Selon Amabile (1997), le processus créatif doit s’élaborer dans un environnement favorable, c’est-à-dire en présence des catalyseurs de la créativité individuelle et collective. LACASSE Richard-Marc & LAMBERT Berthe Vol 5 N°1 L’innovation, entre l’ordre et le chaos 6 Les principaux ingrédients de la créativité individuelle sont la maîtrise de la tâche, les aptitudes à la créativité, et la motivation uploads/Science et Technologie/ 9176-22008-1-pb-pdf.pdf

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