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Full Terms & Conditions of access and use can be found at https://www.tandfonline.com/action/journalInformation?journalCode=cirs20 International Review of Sociology Revue Internationale de Sociologie ISSN: 0390-6701 (Print) 1469-9273 (Online) Journal homepage: https://www.tandfonline.com/loi/cirs20 «Se tenir au plus près ou reculer pour mieux voir?» Le réglage de la focale dans les sciences sociales Bastien Bosa To cite this article: Bastien Bosa (2013) «Se tenir au plus près ou reculer pour mieux voir?» Le réglage de la focale dans les sciences sociales, International Review of Sociology, 23:3, 647-670, DOI: 10.1080/03906701.2013.856165 To link to this article: https://doi.org/10.1080/03906701.2013.856165 Published online: 17 Dec 2013. Submit your article to this journal Article views: 131 View related articles Citing articles: 1 View citing articles «Se tenir au plus près ou reculer pour mieux voir?» Le réglage de la focale dans les sciences sociales Bastien Bosa* Escuela de Ciencias Humanas (Grupo ESI), Universidad del Rosario, Bogotá, Colombie (Received 12 October 2012; accepted 21 February 2013) Cet article s’intéresse à la question des instruments et procédures d’observation auxquels peuvent avoir recours les chercheurs pour « saisir » le monde social. Il s’agira de réfléchir au problème de la distance que permettent, ou non, d’établir divers modes de recueil des données entre le chercheur et son objet d’étude. Dans ce contexte, il semble important de distinguer les méthodes qui permettent à l’observateur de se mettre à distance de ce qu’il regarde (reculer pour mieux voir), et celles qui le conduisent, au contraire, à s’en rapprocher (se tenir au plus près). Nous montrerons que si ces deux regards sur le monde social peuvent être considérés comme irréductibles, rien n’oblige pour autant à les considérer comme incompatibles. La relation entre les diverses méthodes peut se caractériser par une complémentarité et un éclairage mutuel. Mots clés: Épistémologie; sciences sociales; méthodologie; échelles Le problème qui nous intéresse ici est celui des instruments et procédures d’observation, auxquels peuvent avoir recours les chercheurs pour « saisir » le monde social. Le premier postulat qui orientera notre réflexion est qu’il n’existe pas de technique d’enquête spécifique à l’une ou l’autre des disciplines sociales (sociologie, anthropologie, histoire, etc.), mais que toutes appartiennent (ou devraient appartenir) au bagage commun de l’ensemble des chercheurs en sciences sociales.1 Cette reconnaissance d’un outillage partagé ne doit pas conduire pour autant à porter un regard indifférencié sur les techniques. Il est évident en effet qu’il existe des lignes de partage entre les formes d’appréhension du social et que les chercheurs doivent faire des choix entre des méthodes alternatives : toutes ne permettent pas d’obtenir les mêmes résultats et toutes ne sont pas également utiles selon l’objet d’étude. Une question fondamentale pour toute recherche est donc celle de l’adéquation entre les questions que se pose le chercheur et les outils dont il dispose pour les résoudre. L’usage d’une technique ne se justifie en effet que par les résultats qu’elle permet d’obtenir. Dans cette logique, l’un des axes qui orientera notre réflexion est celui de la distance que permettent, ou non, d’établir divers modes de recueil des données entre le chercheur et son objet d’étude. Il nous paraît en effet utile de distinguer les méthodes de recherche qui permettent à l’observateur de se mettre à distance de ce qu’il regarde (reculer pour mieux voir), et celles qui le conduisent, au contraire, à s’en rapprocher (se tenir au plus près).2 Il s’agira donc de nous interroger dans cet article sur le problème des niveaux *Email: bastien.bosa@urosario.edu.co International Review of Sociology—Revue Internationale de Sociologie, 2013 Vol. 23, No. 3, 647–670, http://dx.doi.org/10.1080/03906701.2013.856165 © 2013 University of Rome ‘La Sapienza’ d’observation et, plus précisément, sur celui du réglage de la focale qui, dans la photographie comme dans la recherche sociale, définit grandement le type d’objet dont on veut ou peut rendre compte. Dans cette logique, il nous faudra insister sur le fait que la discussion sur les techniques n’est jamais simplement une discussion technique et qu’aucune méthode n’est neutre ou innocente. I- Le « regard éloignant » : les instruments qui mettent à distance On peut regarder une pièce d’un puzzle pendant trois jours et croire tout savoir de sa configuration et de sa couleur sans avoir le moins du monde avancé. Seule compte la possibilité de relier cette pièce à d’autres pièces. G. Perec 1978 La science sociale ne peut commencer qu’en affirmant que le monde social n’est pas ce qu’on croit. R. Lenoir 2005, p. 200 Les premiers instruments à disposition des chercheurs en sciences sociales qui nous intéressent ici sont ceux qui permettent de « prendre de la hauteur » par rapport aux mondes étudiés. Cette insistance sur la nécessité d’une distanciation vis-à-vis des objets d’étude vient notamment de ce que l’un des principaux postulats sur lesquelles s’est construite l’idée d’une science du monde social est celui de la non-transparence de ce dernier. Reprenant la distinction copernicienne entre « l’intelligible » et « l’immédiate- ment visible », les chercheurs du social ont souvent mis en avant la nécessité d’aller au- delà de l’expérience et des perceptions immédiates, dénoncées comme autant de mystifications. L’établissement d’une distance avec les objets d’étude apparaissait dans cette logique comme le moyen de forger une compréhension beaucoup plus profonde des réalités, voire comme la condition pour découper et constituer des faits maniables en toute rigueur (cf. Veyne 1969). Par exemple, pour Durkheim il était clair que l’une des tâches premières de la sociologie consistait à ébranler les évidences de première vue et à rompre avec ce qu’il appelait les « prénotions du sens commun ».3 Plus tard, le concept de « rupture », mis en évidence par les travaux de Gaston Bachelard – lequel affirmait dans un mot célèbre qu’il n’y avait « de science que de ce qui est caché » – a eu un impact fondamental sur les chercheurs en sciences sociales et en particulier sur le développement de la sociologie de Pierre Bourdieu.4 Dans cette conception, produire de l’intelligible – de manière à percevoir, par exemple, les effets des déterminations sociales – impliquait de prendre délibérément ses distances avec les enseignements de la perception immédiate ainsi qu’avec les « opinions déclarées » des agents ordinaires au sujet de leurs propres pratiques.5 Mais la tradition durkheimienne n’est pas la seule à avoir insisté sur cette nécessité d’une mise à distance. L’anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss reposait, elle aussi, sur une conception de la recherche qui se devait certes de respecter le réel (et qui restait, par la même, attachée au concret) mais dont l’objectif principal était malgré tout de découvrir son sens caché et ses structures inconscientes. Cela impliquait en particulier de regarder les réalités de très haut, de déplacer le regard vers l’arrière-plan (ou les arrières-mondes) et vers les formes inconscientes du social (ce qui, d’une certaine façon, passe par-dessus la tête des « indigènes »). Dans ces différentes logiques, si le chercheur veut comprendre le monde qu’il se propose d’étudier, il doit paradoxalement être capable de s’en détacher ou de se décentrer. 648 B. Bosa Et, au final, son autorité vient précisément de sa capacité à « dévoiler » des réalités présentes et latentes, mais auxquelles les « personnes du commun » n’ont pas ou peu accès.6 Il existe divers instruments et outils qui permettent, pour parler comme Krzysztof Pomian (1984), de produire une connaissance médiate plutôt qu’une connaissance immédiate. A- Le rôle de la quantification dans les sciences sociales L’utilisation de procédés d’abstraction chiffrés constitue une première manière de tenir à distance ou d’objectiver le monde étudié.7 Nous insisterons sur quatre vertus principales des approches quantifiées : la possibilité de corriger des perceptions spontanées, celle de donner une vision globale d’un univers donné, celle d’assurer une base sociale à nos études et, finalement, celle de proposer des modèles d’intelligibilité. Corriger les perceptions spontanées La première vertu des procédés quantitatifs est, me semble-t-il, qu’ils permettent de découvrir des objets, de mettre au jour des relations ou de saisir des logiques qui, si l’on s’en tient aux évidences intuitives, ne sont généralement pas perçus, ou seulement de façon confuse. Le fait d’insister sur les caractéristiques des phénomènes sociaux qui se laissent mesurer (et non pas seulement sur celles qui se laissent percevoir) contribue en effet à une forme d’étrangement (ou de décentrement). Celle-ci nous dépouille, au moins en partie, de notre naïveté et nous aide à dépasser à la fois les perceptions spontanées et les représentations dominantes dans notre compréhension du fonctionnement de l’univers étudié. Voici quelques exemples permettant d’illustrer cette vertu « contre-intuitive » de la statistique : Lorsque l’on travaille sur un monde éloigné du nôtre, on est amené en permanence à recourir à des formes implicites d’anachronisme ou d’ethnocentrisme. On préjuge le plus souvent, et sans même nous en rendre compte, que ce que l’on ne connaît pas du monde en question fonctionne de la même manière que dans notre univers d’origine, ou l’on s’en remet à des visions qui caractérisent « l’imaginaire » dominant sur cet univers. Un exemple, parmi mille possibles : travaillant sur l’amour et le mariage à Florence pendant la Renaissance, Gene Brucker faisait régulièrement appel uploads/Science et Technologie/ bastien-bosa-le-re-glage-de-la-focale-dans-les-sciences-sociales.pdf

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