CLASSIFICATION DES DISCIPLINES ET CONNEXIONS INTERDISCIPLINAIRES Il s’agira dan
CLASSIFICATION DES DISCIPLINES ET CONNEXIONS INTERDISCIPLINAIRES Il s’agira dans ce qui suit d’une interprétation particulière du projet en question[*], interprétation tendant à assurer le plus grand parallélisme possible avec la réalisation de M. Auger[**] dans le domaine des sciences exactes et naturelles. D’autres concep- tions sont possibles, mais il y a avantage, croyons- nous, à en développer une en toutes ses conséquences, en laissant au Département des sciences sociales de l’Unesco ou à un comité d’experts le soin de la com- parer à d’autres et de choisir, plutôt que de décrire nous-même les diverses possibilités sans parvenir au même degré de conviction pour chacune d’entre elles. En un mot, nous croyons que le projet présente une signification précise et une utilité certaine tant qu’il s’agit de « science » au sens strict, tandis qu’il perdrait son efficacité en embrassant toutes les disciplines. [*Note FJP : le projet auquel il est fait référence —à savoir une étude globale sur les tendances principales de la recherche dans les sciences sociales— a été initié en 1962 lors d’une Conférence générale de l’Unesco. Un comité d’experts, dont Piaget faisait partie, s’est réuni à Paris en juin 1964 pour en préciser l’objet, la portée et la méthodologie. Le présent texte a été soumis par Piaget lors de cette réunion.] [**Note FJP : l’étude de P. Auger à laquelle il est fait référence est : Tendances actuelles de la recherche scientifique. Étude sur les tendances principales de la recherche dans le domaine des sciences exactes et naturelles, la diffusion des connaissances scientifiques et leur application à des fins pacifiques. Paris, New York, ONU-Unesco, 1961, 262 pages. Texte publié dans Revue internationale des sciences sociales, vol. 16 Paris, 1964, reproduit dans Psychologie et épistémologie (Paris : Denoël-‐Gonthier, 1970, pp. 149-‐187) La pagination du présent document correspond à la version de 1970 Version électronique réalisée par les soins de la Fondation Jean Piaget pour recherches psychologiques et épistémologiques. Fondation Jean Piaget 150 PSYCHOLOGIE ET ÉPISTÉMOLOGIE Objet de la recherche. Le but de la recherche ne saurait être de fournir une sorte de vulgarisation schématique et encore moins une synthèse rapide des résultats de chaque discipline particulière : il y aurait, sans cela, double emploi complet avec les « traités » ou les « initia- tions », ouvrages d’enseignement, etc., dont chacune des branches du savoir a pu provoquer la publication en son propre domaine. L’intérêt d’une tentative parallèle à celle de Pierre Auger pourrait par contre tenir à la perspective évo- lutive et constructiviste dans laquelle elle se place- rait : décrire la science en devenir ou la science qui se fait plutôt que les résultats acquis. Mais, s’il s’agit de renseigner le public, les « traités » modernes rem- plissent déjà cet office : les consignes que nous avons données, P. Fraisse et moi-même, à nos colla- borateurs du Traité de psychologie expérimentale en voie de parution, sont précisément d’insister sur les problèmes ouverts et sur les directions de recherche autant — et, à l’occasion, plus encore — que sur les acquisitions définitives. Quant à se borner aux très grandes lignes, on retombe dans la vulgarisation. Et s’il s’agit d’exercer une action sur les chercheurs eux-mêmes, le rôle des congrès internationaux est justement de marquer d’étape en étape les orien- tations nouvelles et chacun peut décider, d’un congrès au suivant, s’il y a stagnation ou si de nou- velles voies sont à exploiter ou à espérer. CLASSIFICATION DES DISCIPLINES 151 Par contre, deux objectifs 1 peuvent raisonnable- ment être assignés à la recherche prévue, mais en se plaçant à un point de vue résolument comparatif. Du point de vue des chercheurs, il peut être utile de disposer d’éléments de comparaison d’une disci- pline à une autre, car si chacun est renseigné sur la sienne propre, le cloisonnement des domaines dans les sciences humaines présente quelque chose de sai- sissant et même de très inquiétant. Dans un sympo- sium récent de psychologie du langage, les psycho- logues de langue française ont tenu à s’entourer des conseils de linguistes qui assisteraient aux débats et répondraient aux questions qu’on aurait à leur poser. Or, d’une part, ils ont eu beaucoup de peine à trouver des linguistes se prêtant à cet office, sous le prétexte que la linguistique n’a point d’attaches avec la psy- chologie. D’autre part, ceux qui ont accepté et ont participé aux discussions ont exprimé après coup (et cela en un sens favorable) leur étonnement à l’égard des travaux entendus, par rapport à ce qu’ils imagi- naient. D’une manière générale, chacun répète que l’avenir appartient aux recherches interdisciplinai- res, mais, en fait, elles sont souvent très difficiles à organiser à cause d’ignorances réciproques parfois systématiques. Le premier but de la recherche serait donc de dégager les éléments de comparaison possibles entre 1. Nous ne parlons ici que des objectifs relatifs à la recherche dite « fondamentale ». Quant aux recherches « appliquées », il en sera question dans la section « Recherches fondamentales et appli- cations », ci-après. 152 PSYCHOLOGIE ET ÉPISTÉMOLOGIE les tendances et les courants des sciences humaines en leur développement contemporain et en leur deve- nir actuel, de manière à favoriser les échanges et les collaborations interdisciplinaires, ou simplement à renforcer les recherches de chaque discipline sous l’influence des comparaisons fournies. Or il ne faut pas se dissimuler que le problème est bien plus délicat sur le terrain des sciences humaines que sur celui des sciences exactes et naturelles. Un biologiste sait bien qu’il a besoin de chimie et de physique, un chimiste sait bien que sa science repose sur la physique, un physicien sait bien qu’il ne peut rien sans les mathématiciens, etc. (les réciproques seules n’étant pas, ou pas encore, générales). Par contre, dans les sciences humaines, les interactions sont infiniment plus faibles, faute de hiérarchie et pour bien d’autres raisons. Par exemple, entre la linguistique structuraliste, l’économétrie, la psycho- logie expérimentale, la logistique, etc., il n’y a pas de filiation ou d’ordre hiérarchique et l’absence de tout échange empêche peut-être de dégager des liaisons éclairantes qui relèveraient par ailleurs de la cyber- nétique ou de la théorie de l’information. D’autre part, fort peu de disciplines recourent aux travaux spécialisés des psychologues, parce que chacun se croit suffisamment psychologue pour subvenir à ses propres besoins, etc. Du point de vue de l’organisation de la recherche, les fondations, les centres nationaux de recherche scientifique, les pouvoirs universitaires, etc., tra- vaillent bien souvent en fonction de ce même cloi- CLASSIFICATION DES DISCIPLINES 153 sonnement, tandis qu’un aperçu d’ensemble permet- tant la comparaison des tendances nouvelles dans les différentes disciplines favoriserait peut-être les colla- borations et les recherches interdisciplinaires. Pour ne donner qu’un exemple, il m’a fallu plusieurs années pour convaincre la Fondation Rockefeller de l’utilité d’un « centre international d’épistémologie génétique » faisant collaborer des logiciens, des psy- chologues et des spécialistes des sciences considé- rées, parce que les directeurs des départements de la fondation, malgré toute leur bienveillance, croyaient cette collaboration chimérique. Le Fonds national suisse de la recherche scientifique a repris depuis la chose en main au vu des résultats obtenus, tandis qu’un simple projet préalable eût rencontré sans doute un très grand scepticisme. On peut donc attendre d’une étude comparative sur les tendances actuelles des différentes sciences humaines un renforcement de l’intérêt et de l’aide matérielle pour les recherches interdisciplinaires à tous les degrés : entre deux disciplines seulement, voisines ou éloignées, ou entre plusieurs disciplines considérées d’un point de vue commun (comme celui de la recherche des modèles, de la mathéma- tisation, etc.). 154 PSYCHOLOGIE ET ÉPISTÉMOLOGIE Etendue (disciplines à considérer). Mais pour atteindre ces objectifs, il semble indis- pensable de restreindre le champ des disciplines à envisager ; c’est-à-dire qu’il conviendrait de s’en tenir à celles des sciences humaines et sociales qui comportent des techniques proprement scientifiques au sens strict du terme : recherche des « lois » par observation systématique, expérimentation, mathé- matisation ou déduction qualitative mais réglée par des algorithmes symboliques rigoureux (comme en logique moderne). I Sans doute plusieurs documents récents de l’Unesco parlent-ils d’un besoin qu’éprouverait l’Organisation de pouvoir dégager sa philosophie, sous la forme par exemple d’une philosophie des valeurs qui pourrait être invoquée dans certaines de ses grandes tâches (comme dans les questions d’aide aux pays sous-développés, ou lorsqu’il s’agit de situer l’éducation dans l’ensemble des préoccupa- tions humaines). Mais, d’une part, il n’est pas certain qu’un examen des tendances dominantes actuelles de la philosophie serait d’un grand secours à cet égard, car il mettrait surtout en évidence l’irréductibilité des courants principaux (qu’y a-t-il en effet de com- mun entre la phénoménologie d’inspiration husser- CLASSIFICATION DES DISCIPLINES 155 tienne et la dialectique marxiste ?) ; d’autre part, si l’on veut atteindre, sous les idéologies et les méta- physiques, les communs dénominateurs des valeurs humaines, c’est sans doute beaucoup plus à une sociologie comparée qu’il convient de s’adresser qu’à une philosophie forcément entachée d’un coef- ficient subjectif plus ou moins important. Quant aux études juridiques, elles constituent un monde à part, dominé par des problèmes, uploads/Science et Technologie/ classification-des-disciplines-et-connexions.pdf
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- Publié le Oct 11, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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