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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/36734747 L'histoire des sciences et la philosophie des sciences Article in Le Débat · January 1998 DOI: 10.3917/deba.102.0082 · Source: OAI CITATIONS 0 READS 4,763 1 author: Pierre Jacob École des Hautes Études en Sciences Sociales 76 PUBLICATIONS 1,480 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Pierre Jacob on 06 March 2019. The user has requested enhancement of the downloaded file. - 1 - L'histoire des sciences et la philosophie des sciences Le Débat, n°102, nov-déc. 1998, pp. 82-90. Pierre Jacob L'histoire des sciences et la philosophie des sciences sont aujourd'hui deux disciplines à part entière. Globalement, elles offrent de l'activité scientifique deux images contrastées - une image "régionaliste" et une image "fédéraliste" - qu'on peut résumer par deux différences majeures. L'histoire des sciences souligne la pluralité des sciences et leur enracinement dans le reste de la culture. La philosophie des sciences met en relief leur unité et ce qui les sépare du reste de la culture. Premièrement, parce que la démarche historique favorise la recherche des particularités régionales, l'histoire des sciences présente les différentes sciences et les différentes époques d'une même science comme autant d'ilots séparés les uns des autres. Parce que la logique favorise la recherche de l'unité, la philosophie des sciences souligne au contraire les traits généraux de la démarche scientifique. Deuxièmement, parce qu'au cours du dernier quart de ce siècle, elle a sollicité de plus en plus le concours des sciences sociales - la sociologie des sciences et l'anthropologie -, l'histoire des sciences tient la démarche scientifique pour un fait anthropologique parmi d'autres et elle tend à gommer les différences entre la vie culturelle en général et la vie scientifique en particulier. Parce qu'elle tient l'activité scientifique pour une voie d'accès austère mais inégalée à la connaissance d'aspects de l'univers inaccessibles aux seules ressources du sens commun, la philosophie des sciences met en évidence ce qui sépare la démarche scientifique des autres activités humaines. C'est parce qu'elle est animée par l'idée de l'unité de la démarche scientifique que la philosophie des sciences accentue ce qui sépare les sciences des autres activités humaines. Réciproquement, parce qu'elle - 2 - a le souci d'enraciner les sciences dans le reste de la culture, l'histoire des sciences souligne la singularité des différents domaines de la science. Les historiens des sciences reprochent - non sans raison - aux philosophes des sciences de recourir à l'histoire non pas tant pour découvrir la vérité historique que pour illustrer leurs thèses. En témoignent les premiers mots de l'introduction au célèbre manifeste dans lequel Thomas Kuhn réclamait le droit pour l'histoire des sciences d'être plus qu'un simple "catalogue chronologique ou anecdotique". Prise au sérieux, l'"histoire", annonçait-il, pourrait provoquer "une transformation décisive dans l'image de la science"1. De surcroît, les grands programmes de recherche en histoire des sciences ont été périodiquement définis par opposition à certaines thèses centrales de la philosophie des sciences qui leur était contemporaine2. En 1962, lorsque Kuhn publie The Structure of Scientific Revolutions, la philosophie des sciences est dominée par la controverse entre Rudolf Carnap et Karl Popper sur la nature de la rationalité scientifique : entre deux hypothèses rivales, faut-il, comme le fait valoir Carnap, préférer celle à laquelle les observations ou les données expérimentales confèrent la plus haute probabilité ? Ou faut-il, comme le soutient Popper, préférer celle qui détient le contenu informatif le plus élevé ? Pour significatif que fût leur désaccord sur la rationalité, Carnap et Popper n'en partageaient pas moins plusieurs prémisses3. Et c'est sur ces prémisses partagées que Kuhn concentra sa critique. Contrairement à Carnap et Popper, Kuhn soutient en effet que le développement scientifique n'est pas cumulatif ; que les changements de 1 T.S. Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions, The University of Chicago Press, 1970 (2eme édition), p. 1. 2 Le programme de Gaston Bachelard, par exemple, est défini par opposition à la philosophie kantienne des sciences de Léon Brunschvicg. Cf. G. Bachelard, Le Rationalisme appliqué, Presses Universitaires de France, 1949. 3 Cf. K.R. Popper, "The Demarcation Between Science and Metaphysics", in P.A. Schilpp (ed.) The Philosophy of Rudolf Carnap, Open Court, 1963 (réimprimé in K.R. Popper, Conjectures and Refutations, Harper Torchbook, 1963 (trad. franç. in P. Jacob (dir.) De Vienne à Cambridge, Gallimard Tel, 1996 et K.R. Popper, Conjectures et réfutations, Payot, 1973). Consulter les réponses de Carnap, in P.A. Schilpp (ed.) The Philosophy of Rudolf Carnap, op. cit. Pour une analyse détaillée, cf. P. Jacob "Qu'est-ce que l'autoritarisme épistémologique?", in L'Age de la science, II, "Epistémologie", O. Jacob, 1989. - 3 - paradigme ne sont pas guidés par des choix rationnels ; que des théories successives dans l'histoire d'une même science peuvent être "incommensurables" l'une par rapport à l'autre (c'est-à-dire intraduisibles l'une dans l'autre) ; et enfin que la signification du vocabulaire observationnel dépend de la signification du vocabulaire théorique et non l'inverse. Quiconque lira la contribution de Dominique Pestre au présent numéro du Débat se convaincra, je crois, de deux choses. Premièrement, deux des thèmes autour desquels D. Pestre a choisi d'organiser son intéressant panorama de l'histoire "sociale" des sciences des vingt-cinq dernières années attestent clairement la prééminence des sciences sociales dans l'histoire des sciences d'aujourd'hui - trente-six ans après la publication de l'ouvrage de Kuhn - : je veux parler de son analyse des différents facteurs sur lesquels repose l'autorité dans les institutions scientifiques et de son examen des rapports entre ce qu'il nomme respectivement la "science pure" et les "sciences pratiques". Deuxièmement, son intéressante discussion du programme de réplication d'expériences scientifiques du passé atteste la persistance de la querelle entre l'histoire des sciences et la philosophie des sciences. Or, il existe un lien entre la prééminence des sciences sociales en histoire des sciences et la volonté des historiens des sciences de poursuivre la polémique avec la philosophie des sciences. Comme je voudrais le faire valoir à présent, cette polémique repose sur certains malentendus. D. Pestre place sa présentation du programme de réplication d'expériences scientifiques du passé sous le signe du contraste entre une "idée" (qu'il réprouve) et une "question" (qu'il juge féconde) : l'idée "du caractère contraignant des démonstrations" et la question "de ce qui emporte la conviction, des critères d'intelligibillité et de ce qui fait preuve"4. Au "monde unidimensionnel de la preuve logique", il oppose l'idée que "le sens" serait "fabriqué" et l'idée que "le sens" et "les preuves" seraient "socialement négociés" entre savants. Avec la grande majorité des philosophes des sciences, je concéderai volontiers que dans les sciences expérimentales (comme la physique, la 4 Incidemment, j'avoue ma perplexité devant l'usage de l'expression "faire preuve". On peut faire "la preuve de quelque chose". On peut "faire preuve de courage". Mais ici "faire preuve" est employé dans le sens de ce qui passe pour une preuve. - 4 - chimie ou la biologie moléculaire) et dans les sciences d'observation (comme l'astronomie ou la zoologie), aucune solution "ne s'impose au sens absolu du terme". Autrement dit, dans les sciences empiriques, aucune théorie n'est une conséquence déductive des données ou des preuves. Comme le disent les philosophes des sciences, toute théorie est "sous-déterminée" par les preuves qui lui sont favorables. En un mot, les inférences qui conduisent des preuves ou des données empiriques à une théorie ne sont pas déductives ; elles sont inductives. Mais je n'en conclurai pas que les preuves empiriques font l'objet d'une "négociation sociale". Je n'en conclurai pas davantage à l'inanité de toute distinction entre une preuve expérimentale et "ce qui emporte la conviction". En logique et en mathématiques, il existe une différence entre le fait qu'une démonstration soit valide et le fait qu'un logicien ou un mathématicien tienne une démonstration pour valide. Dans les sciences expérimentales, il existe incontestablement une différence entre le fait que des preuves soient favorables à une théorie et le fait qu'un savant croit qu'une théorie est étayée par des preuves. Quiconque nie la distinction entre une preuve ou une démonstration et ce qui peut passer pour tel s'engage sur la pente savonneuse du relativisme épistémologique. Je voudrais brièvement expliquer pourquoi j'éprouve de l'antipathie à l'égard de cette doctrine qui peut revêtir trois versions. Un relativiste épistémologique peut affirmer qu'en matière scientifique, la vérité n'existe pas. J'appellerai cette version "la conception éliminativiste de la vérité". Il peut soutenir que la vérité est relative à une communauté, à une époque ou à un paradigme. J'appellerai cette version "la conception relationnelle de la vérité". Enfin, il peut soutenir qu'il y a autant de vérités scientifiques que de mondes. J'appellerai cette conception "la thèse de la pluralité des mondes". Comme de nombreux autres philosophes, je tiens les deux premières versions du relativisme épistémologique pour auto-réfutantes. L'affirmation éliminativiste selon laquelle la vérité n'existe pas ne peut pas elle-même prétendre être vraie. La conception relationnelle de la vérité affirme qu'une théorie n'est pas vraie tout court mais qu'elle est vraie pour X ou qu'elle est vraie dans une perspective particulière. Selon cette théorie, si je crois que la proposition p est vraie et uploads/Science et Technologie/ dbat.pdf

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