1 Du consentement éclairé au consentement négocié : Une approche de la recherch
1 Du consentement éclairé au consentement négocié : Une approche de la recherche entre pays au développement inégal Note conjointe du Comité d'éthique de l'INSERM 1, et du Comité consultatif de déontologie et d’éthique de l’IRD Par Mylène Botbol-Baum, Marc Brodin, Solveig Fenet, François Hirsch, Christophe Longuet, Anne-Marie Moulin et Isabelle Remy-Jouet Avec la contribution de Jean-Godefroy Bidima, Ogobara Doumbo Phimpha Paboriboune et Jean William Pape, Et la relecture d’Oumou Younoussa Bah-Sow, Serge Eholié, Pierre-Blaise Matsiegui, Francine Ntoumi, La recherche médicale et scientifique, devenue résolument internationale, nécessite une approche multiculturelle avec une perspective de justice sociale. Dans le cadre de collaborations entre pays au développement inégal, les modalités du consentement, conçues par les pays industrialisés, soulèvent un certain nombre de défis. Il apparait important de mener une réflexion en profondeur sur l’éthique du recueil du consentement et de penser la capacité des sujets à faire des choix, localement, lors de leur participation à la recherche biomédicale, quand elle est conduite par des partenaires de pays à la culture et au développement économique différents. Introduction Les objectifs de la recherche biomédicale peuvent être considérés comme universels : promouvoir le développement des connaissances et permettre un partage équitable de ses avancées. Cependant, dans nombre de cas, la recherche n’apporte pas de bénéfices directs pour les participants et les communautés dont ils sont issus. Elle comporte même fréquemment des risques qui peuvent être mal compris par les personnes qui participent aux études. Afin de protéger les droits et les intérêts des personnes participant à la recherche, l'Association médicale mondiale (AMM) a adopté en 1964 la Déclaration d'Helsinki, « Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains », qu’elle a ultérieurement remaniée à plusieurs reprises (dernière révision en 2013), pour tenir compte de l’internationalisation croissante de la recherche. Le Conseil des 1 C. Longuet a coordonné la rédaction de cette note 2 Article 25 de la Déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale « La participation de personnes capables de donner un consentement éclairé à une recherche médicale doit être un acte volontaire. Bien qu’il puisse être opportun de consulter les membres de la famille ou les responsables de la communauté, aucune personne capable de donner un consentement éclairé ne peut être impliquée dans une recherche sans avoir donné son consentement libre et éclairé ». organisations internationales des sciences médicales (CIOMS) et l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) ont élaboré en 1982 des lignes directrices internationales, afin d’«indiquer comment les principes éthiques applicables à la recherche biomédicale sur des sujets humains, tels que définis dans la Déclaration d'Helsinki, pouvaient être suivis d'effets, notamment dans les pays en développement, compte tenu de leurs cultures ainsi que des conditions socio-économiques, des législations nationales et des modalités d'administration et de gestion de ces pays ». Ces lignes directrices ont été révisées en 20162 pour mieux intégrer l’essor de la recherche translationnelle dans les pays en développement et le phénomène des « big data ». Selon la Déclaration d'Helsinki, le dispositif au cœur de la protection des personnes impliquées dans une recherche est le consentement libre et éclairé. Les personnes s’engageant dans un protocole de recherche clinique espèrent que leur participation sera associée ou suivie de soins non disponibles autrement. Mais les études montrent qu’elles surestiment souvent cette possibilité. Plus d’études sont nécessaires pour comprendre pourquoi cette surestimation est courante et en quoi elle peut être un obstacle au consentement éclairé3. Dans les zones de pauvreté, sans culture de la recherche scientifique bien établie, les règles sont généralement appliquées sans délibération alors que le consentement éclairé relève d’un modèle de décision participative et délibérative. La mise en œuvre de projets de recherche en partenariat entre pays au développement inégal exige de redéfinir le consentement éclairé en contexte et de renforcer le processus délibératif où le chercheur et le sujet participant à l’étude se mettent d’accord sur un but partagé qui fait sens pour chacun des acteurs. On peut alors parler d’un « consentement négocié ». « La trajectoire des consentements est à la fois linguistique (il y va d’un certain type de message), politique (les milieux et les intérêts cohabitent), anthropologique (il y est question de revoir la relation à l’autre dans un contexte de recherche et de fragilité), et économique (la recherche engage beaucoup de moyens matériels et indique parfois des disparités des niveaux de revenus et de vie) »4. 2 CIOMS, International Ethical Guidelines for Health-related Research involving Humans, 2016 3 Lynn A. Jansen “Mindsets, informed consent and research “ Hastings Center Report 44, 2014 4 Jean G. Bidima, Du consentement éclairé au « consentement négocié en Afrique : points de suspension, ouvrons les guillemets, communication orale lors de la 4 journée annuelle du comité d’Ethique, voir texte complet en annexe1 3 Dans son approche par « capabilities »5, traduit en français par « capabilités »6, l’économiste et lauréat du prix Nobel, Amartya Sen propose d’améliorer la vie des gens en développant leurs capacités à satisfaire leurs besoins de base. La capabilité est la possibilité concrète pour une personne, au-delà de ses déterminismes socio-économiques, de choisir différentes combinaisons de fonctionnement. Cette approche nous servira de cadre de référence dans notre réflexion sur le consentement dans des zones du monde où le choix et l’autonomie demeurent des options valides, même si une étape d’approbation communautaire est parfois un préalable au consentement individuel7. Admis par tous, le principe d’autonomie exige que quiconque capable de discernement quant à ses choix personnels, soit traité dans le respect de sa faculté d'autodétermination. Pourtant son application n’est pas toujours simple. La complexité scientifique grandissante des projets de recherche et la variété des contextes peuvent être sources de vulnérabilités. La capacité à consentir peut ainsi être entravée par l’incompréhension des méthodes scientifiques et par l’asymétrie des savoirs et des pouvoirs entre chercheurs et participants à la recherche. Le consentement écrit, s’il formalise la situation en termes de procédure, est parfois artificiel, voire inapproprié. Il ne garantit pas une « sécurité éthique » pour les individus s’ils n’ont pas la capacité de délibérer sur les règles et de les adapter à leurs besoins et à leurs croyances. Les dispositions sur les modalités d’application du consentement sont donc appelées à évoluer, afin de mieux tenir compte à la fois des enjeux scientifiques actuels et du souci d’autonomie des personnes. Face à la pluralité des cultures et des contextes socio- économiques, il y a nécessité d’aller au-delà du débat entre universalisme de l’éthique et relativisme culturel, pour construire des projets de recherche combinant les exigences locales et internationales. Le défi est d’instaurer une norme d’universel inclusif, qui s’élabore dans la discussion, afin de respecter la pluralité des valeurs. Cette note a pour objet l’étude des principaux défis auxquels sont confrontées les équipes de recherche lors du recueil du consentement libre et éclairé à la recherche biomédicale. La note explore les dispositions pouvant améliorer la validité de son obtention dans les projets de recherche menés en partenariat entre pays au développement inégal, en proposant une évolution vers un « consentement négocié ». Les questions du devenir des données et des échantillons collectés, ainsi que du partage des bénéfices de la recherche, seront abordées. Il s’agira d’approcher la capabilité des sujets, dans une réflexion commune entre le Comité d'éthique de l'INSERM, le Comité consultatif de déontologie et d’éthique (CCDE) de l’IRD et 5 Amartya Sen, Development as freedom, Oxford University Press, Oxford, 1999 6 Mylène Botbol-Baum, Pour sortir de la réification de la vulnérabilité, Penser la vulnérabilité du sujet comme capabilité, dans Travail et care comme expériences politiques, UCL Presses Universitaires de Louvain, 23 octobre 2017, p51-63 https://www.academia.edu/34955175 7 Diallo DA, Doumbo OK et al., Permission communautaire et consentement éclairé individuel en Afrique, CID, 2005 (référence exacte ?) 4 des chercheurs « des Suds », en s’appuyant sur un dialogue entre les sciences biomédicales et les sciences sociales8. I – Favoriser les capabilités à donner son consentement Le recueil du consentement n’est rien sans l’information partagée qui permet à ce consentement d’être libre et éclairé. La communication orale doit primer sur la seule obtention d’un accord écrit. C’est le temps passé avec le sujet volontaire pour participer à un projet de recherche, et la qualité des échanges, qui vont favoriser sa capacité à donner un consentement véritablement éclairé. La transparence de l’information et la disponibilité de la documentation auprès de tous les partenaires de la recherche biomédicale sont essentielles. La prise en charge de sa destinée économique et sociale représente un défi au quotidien pour chacun d’entre nous, compte tenu de la variabilité des informations disponibles et des différences individuelles de perception et de compréhension de ces informations. Qu’en est- il pour celui qui s’engage dans une participation à une étude biomédicale ? Dans son approche par capabilités, basée sur le développement humain comme liberté concrète, Amartya Sen propose d’institutionnaliser deux principes intimement liés : i) la capacité de décision libre avant le consentement, et ii) le principe de développement démocratique, inspiré par la description des injustices qui indiquent une solution négociée de justice. Sen se uploads/Science et Technologie/ du-consentement-eclaire-au-consentement.pdf
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- Publié le Fev 03, 2021
- Catégorie Science & technolo...
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