Bibliothèque des Sciences humaines GEORGES DUMÉZIL Mythe "0' et Epopée • L'idéo
Bibliothèque des Sciences humaines GEORGES DUMÉZIL Mythe "0' et Epopée • L'idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens CINQUIÈME ÉDITION mf GALLIMARD © Éditions Gallimard, 1968. © Éditions Gallimard, 1986, pour la présente édition. Au général d'armée Pierre BRISAC, en souvenir desjournées du g et du 10juin igi8 où, sous-lieutenant, devenupar les lois et hasards de la balistique l'officier le plus ancien dans le grade le plus élevé, couvrant Monchy-Humières et le passage de l'Aronde, entre les arbres de la route nationale, il commanda la 23e batterie du 226e R.A.C.P. et sauva une pièce de la 27 e; et des autres fêtes bruyantes de nos vingt ans. G. D. La toujours jeune étude comparative des langues indo-euro- péennes fêtera bientôt son troisième demi-siècle cent cin- quante années d'évolution, coupées de mutations, qui ont bien transformé son premier visage. Les pionniers n'avaient pas entièrement renoncé à rêver sur l'origine du langage, sur la « langue primordiale », et même ceux qui insistaient avec le plus de force sur le fait que le sanscrit, parmi les membres de la famille, n'était pas la mère, mais une sœur, restaient comme envoûtés par une langue qui se présentait à eux non pas dans la fraîcheur d'une matière première, mais déjà analysée, autopsiée presque par des grammairiens plus perspicaces que ceux de la Grèce et de Rome deux générations de linguistes ont donc attri- bué à l'indo-européen, contre le témoignage de la plupart des autres langues, le vocalisme simplifié du sanscrit. L'objet même de la nouvelle science ne s'est pas facilement défini longtemps on voulut atteindre, recréer l'indo-européen, un indo-européen académique, celui qui se parlait, pensait-on, « au moment de la dispersion », et ce n'est que petit à petit que l'on comprit qu'il fallait, dès la préhistoire commune, admettre des différences dialectales; que les mouvements de peuples dont nous ne cons- tatons que les aboutissements avaient été séparés par des inter- valles de temps parfois considérables; et surtout que l'important n'était pas de reconstituer un prototype, ni de s'attarder sur la partie invérifiable des évolutions, mais d'en expliquer compara- PRÉFACE Mythe et Épopée I tivement les parties connues. Du moins, à travers ces change- ments de perspective et de méthode qui étaient tous d'évidents progrès, la « grammaire comparée» n'a-t-elle jamais douté de sa légitimité ni de sa continuité. Tel n'a pas été le destin d'un autre ordre de recherches qui, né presque en même temps qu'elle, avait reçu le nom jumeau de « mythologie comparée ». Dès le début de leur enquête, en effet, mesurant l'étendue et la précision des correspondances qu'ils découvraient entre les langues indo-européennes, les grammairiens et les philologues firent la réflexion très juste qu'une telle concordance témoignait de plus que d'elle-même. La communauté de langage pouvait certes se concevoir, dès ces temps très anciens, sans unité de race et sans unité politique, mais non pas sans un minimum de civilisation commune, et de civilisation intellectuelle, spirituelle, c'est-à-dire essentiellement de religion, autant que de civilisa- tion matérielle. Des vestiges plus ou moins considérables d'une même conception du monde, de l'invisible comme du visible, devaient donc se laisser reconnaître d'un bout à l'autre de l'immense territoire conquis, dans les deux derniers millénaires avant notre ère, par des hommes qui donnaient le même nom au cheval, les mêmes noms au roi, à la nuée, aux dieux. Avec confiance, enthousiasme même, on se mit donc à la besogne. « On », c'est-à-dire les linguistes et les indianistes qui pouvait l'entreprendre avec plus de moyens ? La sociologie, l'ethnogra- phie n'existaient pas et la religion appartenait aux philosophes. Il se trouva malheureusement que les moyens mêmes qui parais- saient les qualifier les condamnaient d'emblée à trois graves erreurs d'appréciation. Sur la matière de l'étude, d'abord. On fit vraiment de la « mythologie comparée ». Certes, dans ces sociétés archaïques, la mythologie était fort importante et c'est surtout de textes mythologiques que l'on dispose. Mais les mythes ne se laissent pas comprendre si on les coupe de la vie des hommes qui les racontent. Bien qu'appelés tôt ou tard très tôt, parfois, comme en Grèce à une carrière littéraire propre, ils ne sont pas des inventions dramatiques ou lyriques gratuites, sans rapport avec l'organisation sociale ou politique, avec le rituel, avec la loi ou la coutume; leur rôle est au contraire de justifier tout cela, d'expri- mer en images les grandes idées qui organisent et soutiennent tout cela. Sur la méthode aussi. Cette mythologie isolée de la vie, Préface dépouillée de ses assises naturelles, on l'interpréta selon des systèmes a priori. Les origines de la « mythologie solaire » et de la « mythologie d'orage » sont complexes, mais l'influence du plus grand exégète indien des hymnes védiques a été certaine- ment dominante. Nourris de Sâyana, des hommes comme Max Müller n'ont fait d'abord qu'étendre à l'ensemble des mythes et à toutes les mythologies de la famille quelques thèses hardies d'une école indigène. On sait aujourd'hui que, devant un corpus mythologique, il faut être plus humble, le servir et non le faire servir, l'interroger et non l'annexer à des dossiers avides de matière, en respecter surtout la richesse, la variété, voire les contradictions. Sur les rapports, enfin, de la mythologie et de la linguistique. Je ne parle pas de la formule qui faisait du mythe une maladie du langage, mais de quelque chose de plus sérieux. Les premiers comparatistes se sont donné pour tâche principale d'établir une nomenclature divine indo-européenne. La consonance d'un nom indien et d'un nom grec ou scandinave leur paraissait être à la fois la garantie qu'ils comparaient des choses comparables, et le signe qu'une conception déjà indo-européenne était accessible. Or, les années passant, très peu de ces équations ont résisté à un examen phonétique plus exigeant l'Erinys grecque n'a pu continuer à faire couple avec l'indienne Saranyu, ni le chien Orthros avec le démon Vrtra. La plus incontestable s'est révélée décevante dans le Dyau védique, le « ciel est tout autrement orienté que dans le Zeus grec ou le Juppiter de Rome, et le rap- prochement n'enseigne presque rien. Ces trois faiblesses natives firent que des trésors d'ingéniosité, de science, et même de jugement, se dépensèrent en pure perte et que la désillusion, quand elle vint, fut brutale. Abandonnée par les linguistes, de plus en plus conscients des règles et des limites de leur discipline, la mythologie comparée se vit rayer du catalogue des études sérieuses. La tentative faite par de bons esprits pour substituer la libation au soleil et à la foudre comme moyen d'exégèse ne pouvait la réhabiliter. Et pourtant la réflexion initiale gardait toute sa force. Si distantes dans le temps qu'on suppose les migrations, si diver- sifiée que l'on conçoive au départ la langue indo-européenne commune, elle a cependant fait son office de langue, elle a été un conservatoire et un. véhicule d'idées, et il reste improbable Mythe et Épopée I que les peuples qui ont parlé ensuite les langues qui en sont issues n'aient rien conservé, rien enregistré de ces idées dans leurs plus anciens documents. C'est pourquoi, depuis bientôt cin- quante ans, un petit nombre d'hommes ont entrepris d'explorer à nouveau ce champ d'études théoriquement incontestable mais, semblait-il, pratiquement inabordable. Les tâtonnements furent longs il était plus facile de soup- çonner les erreurs de base de la « mythologie comparée que de les définir précisément et surtout d'y remédier, et chacun des nouveaux pionniers apportait aussi son lot d'illusions. Person- nellement, entre 1920 et 1935, j'ai continué à penser que quel- ques-unes des équations onomastiques de jadis, les moins malai- sées à défendre, pouvaient, à condition de recevoir un éclairage rajeuni (et je donnais, parmi les lumières, la première place au Rameau d'Or), mettre sur la piste de faits importants. C'est pour- quoi mes premières tentatives ont été consacrées à quatre anciens problèmes, ceux que signalaient depuis cent ans les couples de mots ambroisie-amrta (1924), Centaure-Gandharva (1929), Ouranos-Varuna (1934), flamen-brahman (1935). Une autre espérance, non moins traditionnelle et solidaire de la première, me faisait attendre beaucoup de la confronta- tion des deux plus riches mythologies de la famille, la grecque et l'indienne sauf dans le cas deflamen, c'était toujours un nom grec qui s'associait dans mes sujets à un nom védique. En outre, si j'avais conscience que les mythes ne sont pas un domaine autonome et expriment des réalités plus profondes, sociales et culturelles, je ne voyais pas clairement, dans le cas des Indo-Européens, quelles pouvaient être ces réalités ni comment les atteindre, et je continuais à essayer sur les mythes des uniformes de confection plus fortement marqué par le Rameau d'Or que par les sociologues français, j'orientais l'ambroi- sie vers la fête du printemps, les Centaures vers les déguisements de changement d'année, Ouranos vers la royauté fécondante et, avec une particulière violence, le flamine et le brahmane vers le bouc émissaire, le scapegoat cher au vieux maître. Enfin, comme avait fait le xixe siècle, je pensais toujours que la matière de la mythologie comparée se réduisait à une série de problèmes uploads/Science et Technologie/ dumezil-georges-mythe-et-epopee-1-gallimard-1986-pdf.pdf
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- Publié le Nov 21, 2022
- Catégorie Science & technolo...
- Langue French
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