1 Le mémoire d’ Évariste Galois sur les conditions de résolubilité des équation

1 Le mémoire d’ Évariste Galois sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux (1831) par Caroline Ehrhardt (Docteur en histoire, Service d’histoire de l’éducation, INRP Institut national de la recherche pédagogique) Le Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux a été déposé par Évariste Galois à l’Académie des sciences en janvier 1831, soit un an avant sa mort à l’âge de vingt-et-un ans. Il s’agit de la troisième version des recherches de Galois à ce sujet : les deux premiers manuscrits, précédemment communiqués à l’Académie, avaient été perdus. Ce dernier travail n’a pas reçu l’approbation de l’Académie, malgré un rapport plutôt encourageant où Poisson et Lacroix invitaient le jeune mathématicien à poursuivre ses recherches en vue de parfaire ses résultats. C’est néanmoins à un autre thème de recherches, les fonctions elliptiques, que Galois a consacré les derniers mois de sa vie. Il est mort en duel en 1832, sans avoir complété son mémoire sur les équations. Celui- ci ne sera finalement publié qu’en 1846 dans le Journal de Liouville. Figure 1 : Portrait d’Évariste Galois, dessiné par son frère. Dans ce Mémoire, Évariste Galois a cherché une condition nécessaire et suffisante pour qu’une équation soit résoluble par radicaux, c’est-à-dire pour qu’il 2 soit possible d’en exprimer les racines à l’aide d’opérations algébriques portant sur les coefficients. Au début du XIXe siècle, on savait résoudre les équations de degré 4 ou moins, en calculant explicitement leurs racines. En 1826, le mathématicien norvégien Abel était parvenu à démontrer un théorème dont on pressentait l’exactitude depuis les travaux de Lagrange : la résolution algébrique est impossible pour les équations de degré 5 ou plus 1. Dans ce contexte, Galois ne cherche pas à obtenir une formule permettant de calculer les racines, mais un critère pour savoir si ce calcul est possible ou non. Équations du second degré Par exemple, toutes les équations du second degré (de la forme ax2 + bx + c = 0) sont résolubles algébriquement dans le corps des nombres complexes. Il faut pour cela calculer leur discriminant : ∆ = b2 — 4ac. Les deux racines sont ensuite données par la formule : -b ± ∆ -b ±i ∆ si ∆> 0 ou si ∆< 0 2a 2a On voit ici que les racines se calculent à l’aide d’opérations algébriques portant sur les coefficients a, b et c de l’équation. Le critère donné par Galois dans son article ne permet pas d’obtenir ces formules ; il assure seulement que toutes les équations de degré deux sont résolubles dans le corps des nombres complexes. @@@@@@@ 1) Les « principes » Le Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux débute par l’exposition des principes sur lesquels repose l’exposé : la notion d’adjonction et les substitutions. Selon la définition qu’en donne Galois, adjoindre une quantité à une équation signifie qu’on la considère comme connue pour la résolution (cf. encadré ci-dessous) ; les fonctions rationnelles alors utilisées pour exprimer les racines sont des fonctions des coefficients de l’équation et de cette quantité. Cette notion, dont on trouve la trace dans les travaux antérieurs 1 Niels Henrik Abel, « Démonstration de l’impossibilité de la résolution algébrique des équations générales qui passent le quatrième degré », Journal de Crelle, t. 1, 1826. Joseph-Louis Lagrange, « Réflexions sur la théorie algébrique des équations », Mémoire de l’Académie royale des sciences et belles-lettres de Berlin, 1770, p. 134-215, 1771, p. 238-253. 3 d’Abel, constitue une nouveauté par rapport aux recherches menées au XVIIIe siècle : Lagrange et Ruffini 2 raisonnaient uniquement avec les nombres que l’on pouvait former à partir des coefficients de l’équation. Chez Galois, l’irréductibilité d’une équation est relative aux quantités que l’on y adjoint, ce qui implique que : « Lorsque nous conviendrons de regarder ainsi comme connues de [sic] certaines quantités, nous dirons que nous les adjoignons à l’équation qu’il s’agit de résoudre (…) L’adjonction d’une quantité peut rendre réductible une équation irréductible. » Adjoindre une quantité Donnons un exemple pour éclaircir cette notion d’adjonction. Une équation de degré 2 de discriminant négatif n’admet pas de racine réelle (voir encadré précédent). On dit qu’elle est irréductible dans le corps des nombres réels. Par contre l’équation devient réductible si l’on se place dans le corps des nombres complexes, c’est-à-dire si l’on adjoint la quantité i, définie par i2 = -1. Les racines s’expriment alors en fonctions des coefficients de l’équation et de la quantité i. La deuxième notion préliminaire introduite par Galois est celle de substitution, comme « passage d’une permutation à l’autre ». L’idée de lier l’étude des équations à celle des permutations de leurs racines remonte aux travaux de Lagrange et de Vandermonde 3 publiés à la fin du XVIIIe siècle 4. Il suffit de penser à un des rapports rédigé en 1813 par l’académicien Poinsot pour se convaincre que ce principe était encore considéré au début du XIXe siècle comme une piste féconde pour les recherches en théorie des équations : « Les principes qui regardent ce problème [la résolution algébrique] résident essentiellement dans la théorie des combinaisons et celle des nombres. C’est ce que l’on peut démontrer par la nature des choses et, […] s’il est possible de l’avancer encore, ce n’est que par des idées du même genre et par quelques éléments nouveaux qui manquent encore à la théorie des permutations. » 5 2 Paolo Ruffini (1765-1822) est un mathématicien italien qui a publié en 1799 un ouvrage où il démontrait que les équations du cinquième degré ne sont pas résolubles par radicaux. L’exactitude de la preuve qu’il proposait a fait l’objet d’une controverse parmi les mathématiciens contemporains. 3 Alexandre Vandermonde (1735-1796) est un mathématicien français proche de Gaspard Monge, élu à l’Académie des sciences en 1771. 4 Lagrange, op. cit.; A. Vandermonde, « Mémoire sur la résolution des équations », Histoire de l’Académie royale des sciences, avec les mémoires de mathématiques et de physique tirés des registres de cette Académie, Paris, 1774, p. 365-416. 5 Procès-verbaux des séances de l’Académie des sciences, t. 5, séance du 27 décembre 1813, p. 294. 4 Les recherches de Galois s’inscrivent donc parfaitement dans les problématiques de son époque quant aux moyens à mettre en œuvre. Les définitions qu’il donne des termes « substitution » et « permutation » sont empruntées aux articles publiés par Cauchy en 1815 6. Il faut préciser ici que la théorie des permutations était encore bien peu défrichée, puisque Abel et Galois étaient les deux seuls mathématiciens à avoir exploité les résultats obtenus par Cauchy. De plus, les articles de 1815 ne font qu’esquisser les contours d’une théorie à laquelle Cauchy ne donnera une forme plus aboutie qu’en 1844 7. Ceci explique que Galois n’ait pas une parfaite maîtrise de ces notions : il semble bien connaître ces travaux, comme le montre l’allusion qu’il y fait ensuite dans la proposition VII, mais de nombreuses confusions entre les termes de « groupes de permutations » et de « groupes de substitutions » demeurent dans son mémoire. Ainsi, Galois définit le groupe d’une équation comme « groupe de permutations » des racines, tout en précisant ensuite que : « dans le groupe de permutations dont il s’agit ici, la disposition des lettres n’est point à considérer, mais seulement les substitutions de lettres par lesquelles on passe d’une permutation à l’autre ». Permutations et substitutions –exemple d’un groupe de substitutions - Une permutation de n lettres distinctes est une liste ordonnée de ces lettres. Exemple : (1,2,3,4,5) et (2,5,3,1,4) sont des permutations de 5 lettres. - Les substitutions sont les opérations qui consistent à passer d’une permutation à une autre. En 1844, Cauchy a introduit pour cela une notation en deux lignes. Exemple : la substitution 1,2,3,4,5 2,5,3,1,4       transforme 1 en 2, 2 en 5, 4 en 1 et 5 en 4. 6 Augustin-Louis, Cauchy, « Sur le nombre de valeurs qu’une fonction peut acquérir lorsqu’on y permute de toutes les manières possibles les quantités qu’elles renferment », Journal de l’École polytechnique, n° 10, 1815, p. 1-28 ; Augustin-Louis Cauchy, « Sur les fonctions qui ne peuvent obtenir que deux valeurs égales et de signes contraires par suite des transpositions opérées entre les variables qu’elles renferment », Journal de l’École polytechnique, n° 10, 1815, p. 29-112. 7 Augustin-Louis Cauchy, « Mémoire sur les arrangements que l’on peut former avec des lettres données, et sur les permutations ou substitutions à l’aide desquelles on passe d’un arrangement à un autre », Exercices d’analyse et de physique mathématique, t. 3, 1844, p. 151-252. 5 Si l’on s’en tient à la définition moderne d’un groupe, ce sont les substitutions de n lettres et non les permutations qui forment un groupe. Ce que Galois appelle un « groupe de permutations », c’est l’ensemble qu’il note sous forme « matricielle » p. 422, qui n’est pas un groupe au sens moderne. La citation atteste en revanche qu’il s’intéresse également au (« vrai ») groupe que l’on peut construire à partir de ces uploads/Science et Technologie/ galois-memoire-sur-la-resolubiblite-ehrhardt.pdf

  • 17
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager