Revue française de sociologie Granger Gilles-Gaston, Pensée formelle et science

Revue française de sociologie Granger Gilles-Gaston, Pensée formelle et sciences de l'homme. Pierre Rolle Citer ce document / Cite this document : Rolle Pierre. Granger Gilles-Gaston, Pensée formelle et sciences de l'homme.. In: Revue française de sociologie, 1961, 2-4. pp. 323-324; http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1961_num_2_4_5987 Document généré le 02/05/2016 BIBLIOGRAPHIE Granger, Gilles-Gaston. Pensée formelle et sciences de Vhomme. Paris, Aubier, 1960, 227 p., fig., index. 15 NF {Analyse et Raisons, 2) . Il serait regrettable que les sociologues négligeassent les réflexions de G. Granger sur leur science, sous prétexte que ce sont là réflexions de philosophe. Certes, la méthode de G. Granger est discursive; mais c'est là la forme que prend la pensée lorsqu'elle se retourne sur elle-même et cherche à savoir ce qu'elle exprime réellement. Or, si nous le comprenons bien, la thèse du livre, c'est que ce moment de la science qui s'efforce de se construire elle-même comme corps de connaissance, et non seulement de glaner des résultats, ce mouvement de la science intégré à la démarche des sciences antérieures, est encore absent de la plupart des sciences humaines. Ce qui expliquerait que cette leçon dût nous venir de l'extérieur, et d'un philosophe. Mais la fécondité du point de vue adopté par G. Granger se démontre d'elle-même lorsque, analysant les concepts que nous employons trop facilement, il décèle les naïvetés que cachent les méthodes de quantification, les appels à la qualité, au vécu, la confusion des points de vue micro-sociologique et macro-sociologique, les classifications et les caractérologies, et bien d'autres de nos outils usuels. La thèse de G. Granger, c'est, au fond, que les sciences humaines doivent se trouver un objet. Car l'individu, qui a joué ce rôle jusqu'ici, représente un donné global, un ordre de réalité, qui ne peuvent être conservés par la science. On pourrait presque dire que l'homme doit n'être considéré que comme le lieu, en lui-même indifférent, des problèmes humains comme l'espace est le lieu de la géométrie. Il reste donc à déterminer, dans ce donné, un domaine de recherches propre aux sciences humaines. Cette définition de l'objet de la science ne sera pas posée à son début, ni en tant que telle, mais se précisera à travers les résultats de l'étude; elle prendra donc la forme d'une axioma- tique. Pour y aboutir, il faudra dès lors renoncer aux facilités du vécu, séparer l'événement et le fait, récuser l'immédiat pour le formel. On voit combien les problèmes soulevés par G. Granger nous touchent de près; que l'on songe à ces constructions fondées sur des données immédiates, interprétées avec des concepts naïfs, dont la signification vient tout entière de leur utilisation dans la pratique quotidienne ! De telles recherches demeurent incommunicables entre elles, incomparables ; elles interdisent l'accumulation des connaissances, aussi bien que la confrontation des chercheurs (en même temps que la polémique) dans la mesure où elles ne contiennent pas la perspective d'un cadre commun, d'un système formel qui, mis à l'épreuve dans chaque étude, en constituerait l'objet le plus réel. Nous nous débarrasserions ainsi de toute l'ontologie implicite que nous adoptions en même temps que les concepts du vécu, et nous bâtirions des structures relatives. 323 Revue française de sociologie On voit ainsi la multiplicité des problèmes soulevés ici; par exemple : qu'en est-il de l'idée de cause ? Même aménagée, même relativisée, en reste- t-il quelque chose ? Car la cause n'est plus cause si la relation qui lie l'antécédent et le conséquent devient une des dimensions de leur propre définition. La causalité ne lie en effet que des êtres distingués l'un de l'autre, opposés dans l'immédiateté de leur notion globale. Un phénomène comme l'âge n'apparaît cause par rapport à la présence de telle ou telle attitude que si on accepte l'idée commune que l'on s'en fait, avec tous les déterminants complexes qui lui donnent une réalité vécue sur de multiples plans, et si on ne l'a pas défini précisément comme développement des expériences et des attitudes. L'axiomatisation ne conduit donc pas à un simple formalisme qui masquerait l'hétérogénéité des recherches sous une unité abstraite, mais explicite une unité réelle à la fois découverte et construite à travers elles. Si en effet la définition de l'objet de la science n'est rien d'autre qu'une manière de figurer les transformations et les relations où il peut s'insérer, il faut donc que la science effective de ces relations lui soit contemporaine, sinon antérieure. L'axiomatique ne délimite un domaine que dans la mesure où les recherches, de par leur cohérence, ont montré la finitude relative de ce domaine. Avant de les isoler, on a découvert les axiomes à l'ceuvre groupés autour d'un objet dont la définition dernière ne sera jamais donnée, mais dont l'existence obscure se manifeste à travers eux, garantit leur non- contradiction, et leur pertinence réciproque dans un ordre de réalité qui n'est pas encore précisé. Il faudrait donc dire que la structure est déjà expérimentée dans la vie quotidienne, encore que ce ne soit pas sous la forme de structure. Dès lors, le passage à l'attitude scientifique ne serait pas une conversion de l'esprit — conversion mystérieuse puisqu'elle représenterait l'acte préalable à partir duquel se créerait postérieurement le seul domaine où on puisse lui trouver des raisons — mais une évolution motivée par la forme du réel, et où le pratique jouerait, dès le début, un rôle nécessaire. N'y aurait-il pas au contraire, dans l'expérience sociale d'où partent les sociologues, des problèmes pratiques différents, des domaines à la fois indéfinis, ouvrant sur d'autres domaines, et en même temps relativement fermés, qui interdiraient l'axiomatisation dans la mesure où ils ne recouvrent pas un champ d'étude réellement délimité, un objet commun ? N'est-ce pas une telle hétérogénéité, difficilement reconnue parce qu'elle touche aux racines politiques, religieuses, « existentielles » de certaines théories sociologiques, qui rend difficiles les confrontations entre nous, et en même temps nous conduit plus à des abstractions qu'à des formalisatons, c'est-à-dire nous amène à diversifier notre problématique plutôt qu'à la resserrer ? Si la recherche sociologique refuse l'examen des structures les plus fondamentales de la société, et l'étude de sa propre position à l'intérieur de cette structure, elle s'interdit a priori toute possibilité de confrontation et de sanction, et par là même la perspective d'une convergence avec d'autres recherches. Peut-être les difficultés de la formalisation expriment-elles à leur manière un problème antérieur, celui de l'objectivité qui, en sciences humaines tout au moins, n'est pas une attitude en retrait de la réalité, mais le résultat gagné peu à peu de la science elle-même. P. Rolle. 324 uploads/Science et Technologie/ granger-pensee-formelle-science-de-l-x27-homme.pdf

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