Alexandre Grothendieck Allons-nous continuer la recherche scientifique ? 1972 A
Alexandre Grothendieck Allons-nous continuer la recherche scientifique ? 1972 A lire sur le même sujet : Réédition de la revue Survivre et vivre Numéros 1 à 12, 14 à 16, 19. (on recherche les numéros 13, 18 et 17) 1970-1975 Édition à part de Roger Godement Science, technologie, armement Une brève histoire du sujet 1997 Pour toute correspondance : Bertrand Louart Radio Zinzine 04 300 Limans <b.louart{at}no-log.org> - 1 - Introduction Alexandre Grothendieck a certainement été un des plus grand mathématicien du XXe siècle. Mais si son nom est aujourd’hui encore connu dans le cercle très restreint des chercheurs en mathématiques et de leurs étudiants, il l’est certainement moins du public peu ou pas scientifique. En effet, à l’heure où les chercheurs défilent dans les rues en scandant “Sauvons la recherche !” afin d’obtenir des crédits supplémentaires et des conditions de travail moins humiliantes sans vouloir un seul instant se poser la question de la finalité de leur travaux et de leur responsabilité dans la dégradation continue des conditions de la vie - y compris la leur -, les écrits autres que mathématiques de Grothendieck mériteraient d’être mieux connus. Dans les années 1970, non seulement ce brillant chercheur démissionna pour ne pas mettre ses talents au service d’une institution financée en (petite) partie par l’Armée, mais il prit publiquement position - à travers ses cours de mathématiques, des conférences données dans plusieurs pays et une revue “écologiste” qu’il fondera avec d’autres scientifiques - contre la poursuite de la recherche scientifique au prétexte qu’elle est « un des facteurs, parmi bien d’autres, menaçant la survie de l’espèce humaine » en étant le principal vecteur de l’innovation technologique qui permet au capitalisme industriel de tirer le meilleur parti des hommes et de la nature. Nous voici loin des revendications corporatistes des rats de laboratoire… Cette brochure reproduit donc trois textes où Grothendieck expose les raisons de son désengagement de la recherche scientifique et de son engagement militant en faveur du mouvement “écologique”. On trouvera dans ces textes un certain optimisme propre à l’ambiance contestataire des années 1970 et aussi un peu de naïveté, notamment sur la nature du régime maoïste en Chine Populaire. Il semblerait que dans les milieux scientifiques “de gauche” à cette époque, les illusions sur ce régime soient assez partagées 1, malgré le caractère extrêmement grossier de la propagande chinoise qui faisait alors écho à la contestation occidentale sur certains points. Si l’on veut bien mettre cela de côté, on verra que plus de trente ans après, les motivations de Grothendieck restent toujours autant d’actualité. Bertrand Louart - juin 2005 1 Voir, par exemple, (Auto)critique de la science (1973) ou L’idéologie de/dans la science (1977) dans la collection “science ouverte” dirigée par Jean-Marc Lévy-Leblond aux éditions du Seuil. - 2 - Avertissement Au début de l'année 2010, A. Grothendieck a diffusé la déclaration suivante 2 : Déclaration d’intention de non-publication Je n’ai pas l’intention de publier, ou de republier, aucune œuvre ou texte dont je suis l’auteur, sous quelque forme que ce soit, imprimée ou électronique, que ce soit sous forme intégrale ou par extraits, textes de nature scientifique, personnelle ou autres, ou lettres adressées à quiconque – ainsi que toute traduction de textes dont je suis l’auteur. Toute édition ou diffusion de tels textes qui aurait été faite par le passé sans mon accord, ou qui serait faite à l’avenir et de mon vivant, à l’encontre de ma volonté expresse précisée ici, est illicite à mes yeux. Dans la mesure où j’en aurai connaissance, je demanderai aux responsables de telles éditions pirates, ou de toute autre publication contenant sans mon accord des textes de ma main (au-delà de citations éventuelles de quelques lignes chacune), de retirer du commerce ces ouvrages ; et aux responsables des bibliothèques en possession de tels ouvrages, de retirer ces ouvrages desdites bibliothèques. Si mes intentions d’auteur, clairement exprimées ici, devaient rester lettre morte, que la honte de ce mépris retombe sur les responsables des éditions illicites et sur les responsables des bibliothèques concernées (dès lors que les uns et les autres ont été informés de mes intentions). Fait à mon domicile le 3 janvier 2010 Alexandre Grothendieck L'effet de cette déclaration, si on la suit à la lettre, serait de rendre inaccessible les textes critiques sur la recherche scientifique d'A. Grothendieck, dont la présente brochure. Si l'on peut comprendre que l'auteur ne souhaite pas que des éléments de sa vie privée et de son passé soient rendus publics, en revanche cela est moins compréhensible concernant les textes de critique sociale et ceux où l'auteur explicite ses prises de position politiques, d'autant que rien, dans cette déclaration, ne vient justifier leur retrait. J'ai réalisé cette brochure il y a plusieurs années, pensant qu'il était utile et nécessaire de faire connaître cette critique. Et depuis, la création en 2006 du Groupe Oblomoff 3 a permis d'actualiser cette dernière quelque peu. Il serait vraiment dommage de rendre inaccessible de tels documents historiques à une époque où la survie de l'humanité est toujours autant, sinon plus, menacée et où la responsabilité de la science dans la dégradation des conditions de la vie est encore plus rarement dénoncée. J'assume donc pleinement la « honte » qu'il y aurait à persister à faire connaître ces textes en ces temps où règne l'obscurantisme scientiste. Bertrand Louart – décembre 2010 2 Paru notamment dans La Recherche n° 440, avril 2010. 3 Voir le livre publié par le groupe Oblomoff, Un futur sans avenir, pourquoi il ne faut pas sauver la recherche scientifique, éd. L’Echappée, 2009. - 3 - Biographie Alexandre Grothendieck est né le 28 mars 1928 à Berlin, de parents d’origine russe, Juifs et anarchistes. En exil, son père est photographe et sa mère travaille de temps à autre comme journaliste. En 1933, ils fuient l'Allemagne nazie vers Paris, puis participent à la guerre civile espagnole, avant de s’installer dans le sud-ouest de la France. Entre 1940 et 1942, Alexandre et sa mère son internés dans le camp de concentration de Rieucros, non loin de Mende, comme “indésirables” du fait de leur nationalité allemande. Alexandre va à l’école à l’extérieur du camp, et c’est à cette époque que naît sa passion pour les mathématiques. Son père est interné dans le camp de Le Vernet, il sera envoyé ensuite à Auschwitz où il mourra en 1942. Après la Libération, Alexandre et sa mère s'installent à Montpellier. En 1948, il décide de poursuivre des études en mathématiques à Paris. Il est admis dans les séminaires de l'École Normale Supérieure (ENS), en 1949 à l'université de Nancy. En six mois, il résout quatorze problèmes de mathématiques, chacun de ces problèmes étant équivalent à un sujet de thèse de doctorat. Il rencontre alors les grands mathématiciens du moment, il devient aussi membre du groupe Bourbaki. En 1959, il est nommé à un poste de professeur à l’Institut des Hautes Études Scientifiques (IHES) de Paris, nouvellement créé. Michel Demazure, ancien élève thésard, témoigne : Grothendieck avait une vision très forte qui en imposait, et un rythme infernal. Pour lui, tout était lié dans les mathématiques, le chemin était aussi important que le but. La démonstration d’un théorème n’était qu’un sous produit de la démarche suivie qui devait, elle, répondre à une démarche globale et harmonieuse. Sa devise était : “Pas de concessions, pas d’économie, pas de faux semblants, pas de raccourcis !”. En 1966, il obtient la médaille Fields, mais il refuse de se rendre à Moscou pour la recevoir, « en protestation contre les traitements infligés par les Soviétiques aux écrivains Siniavski et Daniel ». On la lui remet plus tard, mais il l'offre au Viêt-nam, afin qu'il utilise son or. Il y enseigne d'ailleurs plusieurs semaines sous les bombardements américains. Lorsqu'en 1970, Grothendieck découvre que l'IHES reçoit des financements du Ministère de la Défense, il démissionne, arrête ses recherches et s'engage auprès du mouvement de contestation écologiste en créant le 27 juillet 1970 à Montréal la revue Survivre (publié au Canada et en France, qui prendra ensuite le titre de Survivre et Vivre et aura 19 numéros), et en prônant l'arrêt de la recherche scientifique dans ses cours et conférences 4. Il entre au Collège de France et intitule son cours Faut-il continuer la 4 Voir ci-dessous Comment je suis devenu militant ? - 4 - recherche scientifique ? 5 ; son contrat n'est pas renouvelé et la brouille avec ses anciens collègues, qui ne veulent pas entendre parler de ses activités politiques, est consommée. En 1973, il revient à Montpellier où il enseigne les mathématiques et en 1984, il réintègre le CNRS. Il commence alors la rédaction d’une sorte d'autobiographie, Récoltes et semailles, Réflexions et témoignages sur un passé de mathématicien, pour laquelle il tentera en vain de trouver un éditeur. Il faut dire qu’en 1986, le texte dactylographié représente quelques 1 500 pages dactylographiées, dont une grande partie est consacrée à des “règlements de compte” avec ses anciens collègues mathématiciens, dont il estime qu’ils ont repris, voire pillé ses travaux en uploads/Science et Technologie/ grothendieck-allons-nous-continuer.pdf
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- Publié le Jul 09, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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