CONFÉRENCE DE CONSENSUS LANGUES VIVANTES ÉTRANGÈRES RAPPORT SCIENTIFIQUE Scienc

CONFÉRENCE DE CONSENSUS LANGUES VIVANTES ÉTRANGÈRES RAPPORT SCIENTIFIQUE Sciences cognitives et apprentissage des langues Heather HILTON Avril 2019 Ce document s’inscrit dans une série de rapports scientifiques publiés par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) sur la thématique : Langues vivantes étrangères. Les arguments et opinions exprimés n’engagent que l’auteure de la contribution. Pour citer cet article : Hilton, H. (2019). Sciences cognitives et apprentissage des langues. Paris : Cnesco. Disponible sur le site du Cnesco : http://www.cnesco.fr Publié en Avril 2019 Conseil national d’évaluation du système scolaire Carré Suffren - 31-35 rue de la Fédération 75015 Paris SCIENCES COGNITIVES ET APPRENTISSAGE DES LANGUES Heather HILTON Université Lyon 2 Avril 2019 1 TABLE DES MATIÈRES Introduction : pourquoi les sciences cognitives ? ........................................................................... 3 1. Cognition et communication/ interaction .............................................................................. 5 1.1. La mémoire à long terme ........................................................................................................ 5 1.2. Mémoire et langage ................................................................................................................ 7 1.3. Le fonctionnement du cerveau : le rôle de l’attention ........................................................... 9 1.4. Le fonctionnement du langage : la communication humaine............................................... 10 1.5 Conclusions, mémoire et langage ............................................................................................... 14 2. Cognition et apprentissages .................................................................................................15 2.1. Les apprentissages humains : généralités .................................................................................. 15 2.2 Apprendre la langue maternelle ........................................................................................... 17 2.3 Apprendre une langue vivante en contexte scolaire ............................................................ 20  Différences avec l’acquisition de la L1, variables contextuelles et individuelles .................. 21  La prononciation en L2 .......................................................................................................... 23  Le vocabulaire en L2 .............................................................................................................. 24  La grammaire en L2 ............................................................................................................... 26 3. Discussion : considérations pour la didactique des langues ...................................................28 3.1 Apports à la théorie ............................................................................................................... 28 3.2 Apports à la pratique ............................................................................................................. 31  Contextualisation et apprentissages formels ........................................................................ 31  Entraînements réceptifs et utilisation extensive ................................................................... 33  Rôle des TIC et place des interactions ................................................................................... 34  Imitation et apprentissage linguistiques ............................................................................... 36  Conceptualisation et didactique des langues ........................................................................ 36  Expertise et plurilinguisme .................................................................................................... 37 4. Conclusions et ouvertures didactiques ..................................................................................38 5. Références ...........................................................................................................................39 2 3 Introduction: pourquoiles sciences cognitives? Depuis l’adoption des Programmes de langues vivantes de 1987, la didactique des langues dans l’enseignement secondaire en France (et plus tard à l’école primaire) est basée sur l’Approche communicative ; « l’Approche actionnelle » européenne (Conseil de l’Europe 2001), qui sert de base aux textes officiels français depuis 2005, est une version centrée sur les « tâches » de cette méthodologie communicative. La didactique communicativo-actionnelle postule qu’un apprenant1 acquiert une langue étrangère ou seconde (L2) en l’utilisant, « l’acquisition » du nouveau système linguistique s’effectuant « implicitement » si l’on s’engage dans des interactions communicatives (Krashen, 1987 ; Conseil de l’Europe, 2001). Les exercices visant la maîtrise des formes linguistiques (prononciation, lexique, système grammatical) sont perçus comme artificiels et peu productifs, relevant de techniques didactiques passées ; la « maîtrise » linguistique elle-même est considérée comme un objectif obsolète, incompatible avec une politique encourageant le développement de « répertoires plurilingues » individuels et variables (Conseil de l’Europe, 2001, p. 11). La didactique communicative s’est développée ces trente dernières années presque entièrement coupée de la recherche en sciences cognitives – un champ scientifique pourtant en plein essor pendant la même période. La base scientifique de l’Approche communicative est surtout linguistique (sociolinguistique, linguistique fonctionnelle, pragmatique) ; l’accent est mis sur les actes de parole et sur les compétences (ou habiletés) communicatives – la compréhension, et surtout la production et l’interaction. Deux modèles de l’apprentissage informent ponctuellement la didactique communicative : l’un a été formulé par le linguiste américain Stephen Krashen dans les années 1980 ; l’autre est dérivé des théories constructivistes concernant l’acquisition des concepts chez le tout petit, formulées par Jean Piaget et Lev Vygotski dans la première moitié du XXe siècle. Krashen postule une distinction entre « l’acquisition » (implicite et performante) de la langue maternelle par de petits enfants, et « l’apprentissage » (explicite et peu efficace) d’une langue étrangère en milieu scolaire (Krashen, 1981, 1987) ; il est important de souligner que cette distinction reste hypothétique dans ses ouvrages. Dans le modèle constructiviste, l’apprenant va construire ses propres représentations de la langue et de la culture L2 (Py, 1994) ; cette perspective est choisie comme étant plus cohérente avec une vision sociale du langage que le « paradigme biologique » de la psychologie cognitive (Matthey, 1996, p. 45), mais les chercheurs oublient de se poser la question de la pertinence d’une théorie concernant le développement conceptuel chez le petit enfant dans le cadre des apprentissages linguistiques par des personnes plus âgées. Le Cadre européen de référence pour les langues (Conseil de l’Europe, 2001), document phare de la didactique européenne et base de nos Programmes de langues vivantes en France, adopte le modèle de Krashen (pp. 108-109) : si « l’utilisateur-apprenant » s’engage dans des tâches interactionnelles dans une langue étrangère (même en milieu scolaire), il va inévitablement l’acquérir. Ce rapport propose de résumer ce que les sciences cognitives peuvent contribuer à notre compréhension, en didactique des langues, de l’utilisation et de l’acquisition des langues (étrangères, secondes, maternelle), afin de mettre à jour et d’affiner ces modèles qui informent nos théories et 1 Terme qui a émergé en français en même temps que l’Approche communicative, calqué sur l’anglais générique « learner » (Galisson & Coste, 1976, p. 41). 4 nos pratiques. Comme pour le psychologue David Sousa, la pertinence des travaux en sciences cognitives devrait être une évidence pour tout professionnel de l’enseignement, « le seul métier où l’on tente de changer des cerveaux humains tous les jours » (2013, p. 11). Nous ne proposons pas les sciences cognitives comme une panacée à tous les défis de l’enseignement des langues en milieu scolaire, mais nous verrons dans les pages qui suivent qu’elles peuvent nous aider à renforcer nos bases théoriques et nos propositions méthodologiques. Plus précisément, le rapport résumera ce que les sciences cognitives nous disent de :  la mémoire humaine pour le langage : connaissances déclaratives et non déclaratives, et les spécificités de la mémoire en langue étrangère ou seconde (premier chapitre)  l’utilisation communicative et interactionnelle du langage : processus automatiques et attentionnés dans la co-construction du sens (premier chapitre)  l’acquisition des connaissances et compétences permettant cette utilisation dynamique du langage : la réalité des apprentissages explicites et implicites (deuxième chapitre). Cette mise au point nous permettra (chapitre 3) de formuler et de répondre à quelques questions précises liées à la didactique européenne actuelle :  Peut-on, en milieu scolaire, apprendre une langue simplement en l’utilisant ?  En quoi, précisément, consistent les « compétences communicatives » qui ont constitué notre préoccupation didactique ces trente-cinq dernières années ? Quels rôles y jouent les connaissances linguistiques ?  Quelle place attribuer à l’apprentissage de ces connaissances formelles dans une didactique axée sur les compétences ?  Comment s’assurer de l’acquisition (solide, efficace) d’un nouveau système linguistique dans le contexte si particulier des classes de langue (situations de communication artificielles, temps de contact fortement réduit, motivation variable) ?  Qu’est-ce qui relève du domaine conceptuel dans l’apprentissage d’une nouvelle langue et ses cultures, et quelle serait donc la place réelle des démarches constructivistes dans la didactique des langues ? Cette liste de questions présage une synthèse dense, que nous espérons également claire et pertinente. Notre résumé de la cognition, de l’utilisation et de l’apprentissage du langage est proposé précisément parce que la dimension cognitive a été négligée en didactique des langues ces trois dernières décennies ; il est temps de faire le point sur des concepts et des termes clé. Il est également important d’insister sur le fait que les travaux en sciences cognitives ne sont aucunement incompatibles avec une approche sociale du langage, comme le craignait Marinette Matthey en 1996 (ci-dessus), la cognition étant forcément et fondamentalement un phénomène social. 5 1. Cognitionet communication/ interaction Le mot cognition contient la racine indo-européenne qui a donné le verbe anglais know, et que l’on retrouve en français dans notion, connaître, connaissance. Les sciences cognitives étudient la « connaissance » (dans son sens large, section 1.1) et les processus mentaux chez l’être humain, mais aussi chez d’autres primates et mammifères, ainsi que le fonctionnement de systèmes nerveux plus simples, ou même l’intelligence artificielle (Norman, 1981, p. 2). Ces processus ont évolué pour permettre à notre espèce de survivre dans des environnements physiques et sociaux complexes, et la cognition humaine est déterminée par les interactions entre le système nerveux d’un individu et son environnement social et physique. Le monde social et physiologique fait donc partie intégrante de la cognition humaine. 1.1. La mémoire à long terme Parmi les interactions entre notre système nerveux et le monde qui nous entoure, certaines vont donner lieu à des apprentissages. Le résultat de ces apprentissages est une structuration en réseaux des milliards de neurones du cortex et du cervelet, que nous appelons notre mémoire. La mémoire à long terme (MLT : Broadbent, 1957 ; Atkinson & Shiffrin, 1968) ou le système cristallisé (Baddeley et al, 2009) est le résultat de tous nos apprentissages : physiologiques, sociaux, scolaires, etc. Les cognitivistes ont identifié trois grands systèmes constitutifs de la mémoire uploads/Science et Technologie/ hilton-1.pdf

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