Thierry Janssen Le silence est toujours là Chirurgien devenu psychothérapeute,
Thierry Janssen Le silence est toujours là Chirurgien devenu psychothérapeute, Thierry Janssen est un des pionniers de la médecine intégrative. Prêtant sa plume à une exploration lucide de lui-même, il se déf nit aujourd’hui comme un accompagnant psycho-spirituel, titre que, selon lui, tous les professionnels de santé devraient désormais assumer. PROPOS RECUEILLIS PAR NATHALIE COHEN ET AUBRY FRANÇOIS PHOTOGRAPHIES GWLADYS LOUISET 24 | happinez 10_MAGHAPPMAR19_.indb 24 31/01/2019 14:53 happinez | 25 RENCONTRE 10_MAGHAPPMAR19_.indb 25 31/01/2019 14:54 a disparu. Je me suis senti un avec tout, envahi par un immense élan d’amour et une profonde joie. Il m’est apparu évident que l’ouverture du cœur est la condition à la révélation du silence intérieur. Alors seulement notre mental est suffisamment apaisé pour que la conscience puisse s’éveiller en nous. Notez que j’ai dit “la” conscience et pas “ma” conscience. Car la conscience – la pure conscience – n’est pas personnelle, elle est en chacun de nous. Depuis que j’ai entendu le silence essentiel et éternel, il me paraît très important de bien faire la différence entre le mental et la pure conscience. En français, nous parlons volontiers de l’esprit pour désigner le mental (mind en anglais). C’est une erreur car le véritable esprit (spirit), c’est la pure conscience. Notre mental analyse, interprète, commente, juge, pense. La pure conscience ne pense pas, elle constate ; silencieuse, elle accueille ce qui est sans restriction, on peut dire qu’elle aime sans condition, elle est amour inconditionnel. Le secret consiste donc à apaiser son mental ? Pas seulement. Ce n’est que la première étape du processus d’éveil de la conscience en nous. Cette première étape est ce que l’on appelle la mindfulness. Je me permets de faire remarquer que ce mot anglais a été injustement traduit par “pleine conscience” alors qu’en fait il s’agit d’une pleine vigilance du mental (le mind) qui observe sa propre agitation et qui finit par se calmer en focalisant son attention sur les phénomènes – sensations, émotions, pensées – qui sont perçus dans le champ de l’attention. La seconde étape consiste précisément à ouvrir son cœur. Le mental se calme alors encore davantage et la conscience silencieuse, paisible et aimante peut s’éveiller plus pleinement en nous. Comment procède-t-on concrètement ? L’ouverture du cœur ne peut se limiter à penser aux autres de façon bienveillante, comme cela se pratique dans certaines méditations guidées, car cela n’est encore qu’un exercice mental. Il s’agit d’ouvrir la poitrine physiquement, énergétiquement. On ne s’en rend pas toujours compte, mais cette partie du corps contient énormément de tensions depuis l’enfance. Relâcher les contractures de nos muscles peut faire mal. Le mieux est de profiter de chaque inspiration C e jeudi après-midi de novembre, nous nous installons dans la pénombre tranquille d’un petit bureau des éditions de L’Iconoclaste, à Paris, où nous rejoint Thierry Janssen pour une interview qui illuminera notre journée. Aux prémices de cet échange, notre interlocuteur s’en remet déjà tout entier à son intuition. De sa voix empreinte de grâce émane alors l’humble assurance d’une parole mise au service de quelque chose de plus grand que lui. Pour beaucoup, la voie royale vers une version plus élevée de soi-même passe par l’ouverture du cœur… C’est la grande découverte de ma vie. J’ai longtemps cru que j’avais le cœur ouvert. Il m’a fallu quelques souffrances et crises personnelles pour me rendre compte qu’il ne l’était pas vraiment. Plus les années passaient, plus je ressentais que je pouvais l’ouvrir davantage. Ouvrir son cœur, c’est avoir la capacité d’accepter ce qui est. Quand je dis accepter, ça ne veut pas dire se résigner, mais accueillir ce qui est et tenter d’en faire quelque chose plutôt que de le subir, de s’en plaindre ou de regretter ce qui n’est pas. Votre nouveau livre, Écouter le silence à l’intérieur, repose principalement sur une expérience qui semble avoir favorisé cette ouverture du cœur en vous... Effectivement, les choses ont pris une dimension encore différente depuis cet événement. J’essayais de terminer la rédaction d’un texte sur l’ordinateur. Malheureusement, mon attention était accaparée par le bruit de travaux dans la rue. Pour essayer de me concentrer et d’apaiser mon mental qui était en train de s’agiter, j’ai médité en focalisant mon attention sur ma respiration. Et, de façon tout à fait inattendue, j’ai entendu le silence au-delà du bruit. J’ai compris alors que le silence n’est pas l’absence de bruit, mais l’espace dans lequel tous les bruits apparaissent puis disparaissent. J’ai clairement perçu que le silence est toujours là, tout au fond. Il est l’essence même de l’être. Il ne s’agit pas de le créer puisqu’il est de toute éternité. Il suffit de l’écouter. Cette expérience a été une révélation, comme un éblouissement, une illumination. L’espace d’un bref instant, je suis devenu silence. Comme si mon mental avait cessé de fonctionner, le sentiment d’être un moi bien différencié et séparé des autres 26 | happinez 10_MAGHAPPMAR19_.indb 26 31/01/2019 14:54 > pour détendre un peu plus la cage thoracique, comme si un ballon gonfl ait à l’intérieur. On peut alors sentir l’énergie de l’acceptation sans condition – l’amour inconditionnel – se répandre dans tout l’être. Une profonde détente s’installe en nous, notre regard devient doux et accueillant. L ’autre le perçoit. Nous n’avons plus besoin de lui dire que nous l’aimons. Par notre seule présence, il sent qu’il est aimé. Plus on est détendu, plus on se laisse traverser par l’énergie de la vie, plus on accepte ce qui est, plus on aime. Swami Prajnanpad disait qu’aimer l’autre, c’est l’aider à se détendre. Savez-vous que le mot ashram est composé de a (l’absence) et de shram (la tension) ? En ce lieu, chacun peut relâcher ses tensions dans la contemplation et le mouvement, notamment en pratiquant le yoga. Cette façon d’ouvrir le cœur est au centre de mon enseignement au sein de l’École de la présence thérapeutique (EDLPT). Au départ, les élèves – pour la plupart des professionnels de la relation d’aide et de soin – pensent avoir le cœur ouvert. Très vite, ils découvrent que l’on peut toujours l’ouvrir plus. On peut toujours accueillir et accepter plus de la réalité. Le corps est donc au centre de la démarche ? Oui. Mon chemin de vie m’a appris à donner une place centrale au corps, y compris dans la démarche d’éveil spirituel. Car le mental peut mentir et raconter des histoires. Le corps, lui, ne triche jamais. Enfant, j’avais un corps chétif et déformé dont les autres se moquaient volontiers. Du coup, j’ai été obligé de me soumettre à de la gymnastique médicale intensive pendant une dizaine d’années. J’ai vécu cela comme une torture. Heureusement, très tôt, la danse et la sexualité m’ont donné l’envie d’habiter ce corps ingrat. Le choix du métier de chirurgien n’est sans doute pas un hasard. J’avais besoin de palper du concret. Sans cela, je me serais réfugié dans le monde des pensées et je me serais probablement coupé de la réalité. J’insiste pour dire que la spiritualité doit être incarnée dans la réalité matérielle. Car elle peut devenir une fuite qui nous berce d’illusions. La pratique du yoga, commencée très jeune, puis celle du qi gong m’ont appris à sentir la vie circuler en moi. Cela m’a permis de comprendre que la vie est énergie et que l’énergie ne circule que si le corps est détendu. C’est une approche véritablement tantrique dans le sens où le Tantra constitue une tradition millénaire qui permet de développer la conscience de l’énergie et d’explorer l’énergie de la conscience à travers des pratiques corporelles et méditatives qui ont inspiré l’hindouisme, le bouddhisme et de nombreuses voies philosophiques et spirituelles de l’Orient qui, au contraire de celles de l’Occident, accordent une place centrale au corps dans leur démarche. Vous parlez d’énergie. C’est une notion parfois complexe à appréhender… Eff ectivement, j’ai beaucoup réfl échi à l’utilisation de ce mot, notamment lorsque j’ai écrit La Solution intérieure (Fayard, 2006). Pour le médecin que j’étais, l’énergie représentait un concept assez fl ou. Sans doute parce que l’énergie prend une multitude de canaux pour se matérialiser. Je me félicite d’avoir appris le grec ancien à l’école, cela m’aide à comprendre l’étymologie des mots. Energeia signifi e “la potentialité d’une action” . L’énergie porte en elle ce potentiel. Tantôt physique – calorique, électrique, magnétique, nucléaire… – tantôt psychique – sous la forme d’idées et d’intentions, elle constitue le continuum entre les diff érentes dimensions de l’être. Le concept d’énergie permet de parler de l’unité du physique et du psychique, de l’indivisibilité de l’être humain. Matière, énergie et information sont les trois composants de l’Univers. Plus on met d’énergie dans la matière, plus celle-ci est informée. Mon expérience du silence intérieur m’a fait comprendre que la conscience – la pure conscience paisible, silencieuse et aimante, le noyau de l’être – est un vide rempli de tous les possibles, la vacuité dont parlent les bouddhistes, la Source, l’espace de la création, Dieu en nous. Même si, personnellement, j’utilise rarement le mot “Dieu” car celui-ci est souvent associé à des uploads/Science et Technologie/ itv-20thierry-20janssen-20happinez-2040-pdf.pdf
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- Publié le Jui 16, 2021
- Catégorie Science & technolo...
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