ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES ____________________ L’IMAGE MÉDIA
ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES ____________________ L’IMAGE MÉDIATISÉE DE L’APPROCHE SÉMIOTIQUE DES IMAGES À L’ARCHÉOLOGIE DE L’IMAGE COMME PRODUCTION SYMBOLIQUE Volume II Thèse de Doctorat d’État ès Lettres et Sciences Humaines Présentée et soutenue publiquement par Jean DAVALLON Le 1er février 1990 devant un jury composé de Messieurs Louis MARIN, Directeur d’Étude à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales Directeur de recherche Bernard SCHIELE, Professeur à l’Université du Québec à Montréal Christian METZ, Directeur d’Étude à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales Jacques LEENHARDT, Maître de Conférences à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales Jean-Claude SAGNE, Professeur à l’Université Lumière-Lyon 2 Jean-François TÊTU, Professeur à l’Institut d’Études Politiques de Lyon L’IMAGE MÉDIATISÉE De l’approche sémiotique des images a l’archéologie de l’image comme production symbolique Volume II © Jean Davallon. Version 2, 2006 Cette version reprend l’intégralité du contenu de la version initiale de la thèse. Mais pour des raisons techniques, la police et la typographie ont dû être modifiées. Par voie de conséquence, l’ensemble de la pagination a changé. CHAPITRE V L’IMAGE, OPÉRATEUR SYMBOLIQUE DU POLITIQUE § Introduction. L’obstacle politique à la définition de l’image médiatisée Hypothèse sur l’impression de manipulation D’un côté, le plan de l’image médiatisée, de l’autre celui de la sphère du politique. Entre ces deux plans, une question : celle précisément de la fonction et du statut politiques de l’image médiatisée dans une société régie par le modèle démocratique. Le pouvoir monarchique use abondamment, on le sait, de l’image. Le roi incarne une autorité transcendante, divine ; et il la rend manifeste devant ses sujets à travers des attributs attachés à sa personne. L’art sert directement cette manifestation : l’opération sémiotique de représentation établit et légitime l’opération politique de domination. Le pouvoir démocratique, nous l’avons vu, se pose en son principe même comme une critique d’un tel usage de l’image et de l’art, considérée comme outil de domination. Toute la pensée politique moderne et contemporaine est habitée par un idéal de transparence entre l’être et le paraître ; idéal qui s’est forgé à travers toute une tradition morale qui remonte à la Réforme (Hobbes, Locke, etc.) en passant par les moralistes du XVIIe et, bien entendu, par Rousseau. Cette tradition morale rejette le faste, l’apparat, le luxe, la fête aristocratique ; bref, tous ces emblèmes de pouvoirs dont la fonction première serait de 332 CHAPITRE 5 : L’IMAGE, OPÉRATEUR SYMBOLIQUE DU POLITIQUE produire de la croyance, de la superstition, du mensonge et de la servitude1. Entre-temps, la légitimité du pouvoir était passée de la transcendance divine à une volonté générale issue de l’association de sujets juridico-politiques selon les termes du Contrat social. Et les distinctions anciennes (héritées du Moyen Âge), entre Arts libéraux et Arts mécaniques, avaient laissé place à des nouveaux découpages faisant place aux beaux-arts, puis à l’art. C’est cette représentation de la disparition de l’usage socio-politique de l’image dans le pouvoir démocratique sur laquelle il convient de se pencher. Nous avancerons l’hypothèse que l’impression de manipulation que produit l’usage politique des médias en est un effet. Mais déjà, nous hésitons en écrivant « pouvoir », car s’agit-il du pouvoir tel qu’il est idéalement conçu ou bien tel qu’il est effectivement mis en place ? Car, de quoi s’agit-il ? Du modèle démocratique, comme structure de pensée et de représentation du politique, — mieux : de la vie sociale à travers les principes (politiques) démocratiques ? Ou bien du fonctionnement politique démocratique tel qu’il se met en place avec la république révolutionnaire ? Car, si le premier ne dit mots (ou peu s’en faut) de l’art et des images, le second y aura recours de façon plutôt massive. Nous restons tout aussi pensifs en écrivant « démocratique ». Car, derrière les questions sur le rapport de l’image médiatisée au politique, se posent en aval celles des médias au politique, et en amont celles de la représentation2. C’est ce passage déclaré vers une sorte de « degré zéro de la représentation » que nous devrons questionner. Y a-t-il vraiment disparition de la représentation dans le « pouvoir » démocratique ? Notre mythologie politique ne serait-elle pas fondée — dès son origine — sur la dénégation de l’usage d’une représentation qui serait tout de même effectuée en sous-main ? Il s’agit de montrer comment la Révolution fait une place aux images, prise dans une contradiction entre critique de la représentation et gestion symbolique de « l’imaginaire ». 1 C’est là un thème cher à Jean-Jacques Rousseau que l’on trouve présent dès le Discours sur les Sciences et les Arts [1750] (Jean Jacques ROUSSEAU, Œuvres complètes, vol. 3, 1964, pp. 1-30) ; mais il est sous-jacent ou explicitement exposé dans la plupart des œuvres qui traitent du rapport des systèmes signifiants et du politique. Voir ce que nous avons dit sur ce point au chapitre précédent, lorsque nous avons discuté l’opposition faite par Jürgen Habermas entre Publicité critique et « Publicité » démonstrative. Les liens entre la pensée morale et la politi- que, sont remarquablement mis au jour par Reinhart KOSSELECK, Le règne de la critique, ([1959] 1979), ainsi que par Lucien SFEZ, L’enfer et le paradis : Critique de la théorie politique, Paris : Presses Universitaires de France, 1978. On lira aussi avec intérêt : Jean STAROBINSKI ; « Sur la flatterie », Nouvelle Revue de Psychanalyse (4), Aut. 1971, pp. 131-151. 2 Le sens du terme « représentation » est ici celui que lui donne Jürgen Habermas tel que nous l’avons résumé au chapitre précédent. Le présent Chapitre contribuera à élaborer une nouvelle définition de ce concept essentiel pour notre propos. INTRODUCTION 333 Entre le texte de la loi et la matérialité des œuvres Lorsque l’art se sépare de la sphère politique structurée par la représentation, cela signifie que l’État se fonde et se légitime non plus dans la représentation d’une entité transcendante — l’art venant servir cette représentation —, mais par l’association et la loi. Il s’agit d’un principe du modèle démocratique. Or, un tel fondement et une telle légitimation du politique sur la loi, texte par excellence, « lecture » ainsi que nous le rappelle Constantin Volney dans La loi naturelle3, doit dispenser le politique d’avoir recours aux services de l’art. La pratique politique ne doit pas être fondée sur la persuasion — pas plus qu’elle ne doit l’être sur la force (au fond la persuasion est du langage devenu force, comme le dit très bien Rousseau) —, mais sur le droit qui n’est pas force, mais qui légitime la force ; c’est-à-dire, au fond, sur le langage en tant qu’il permet de régler les échanges. Le social n’est pas fondé sur un état de nature, mais sur l’association et la loi, — ce qui veut dire que le langage est au principe du politique- social4. Du même coup, toute forme de force est écartée du fondement politique et moral de la société — force physique, mais aussi puissance de l’art — au profit du droit. Il faut bien insister sur ce fait, afin d’en prendre toute la mesure : si l’art sort de la scène politique, c’est parce qu’il n’a à intervenir ni comme opérateur dans la fondation- légitimation de la socialité politique, ni même à titre d’instrument de gouvernement. La puissance de l’art doit être réservée au commerce privé, elle doit être appréciée par les amateurs, les collectionneurs, les marchands, non subie par les citoyens ; l’art tend à devenir plus affaire privée et marchande qu’affaire publique et d’État5. L’important pour notre propos est qu’un partage net soit opéré entre, d’un côté le texte de la loi, instrument et fondement rationnel de l’exercice du pouvoir politique légitime, et de l’autre, la matérialité des œuvres d’art, mise à la marge du politique et objet (irrationnel) d’une activité individuelle socialisée (le goût). La séparation entre la sphère du politique et le domaine de l’art correspond à une opposition entre deux régimes signifiants qui sont aussi 3 « Le mot loi, pris littéralement, signifie lecture, […] » (une note renvoie à l’étymologie latine : lex, lec- tio) Constantin F. VOLNEY, La loi naturelle [1793], suivi de Leçons d’histoire [1797]. Paris : Garnier, 1980, p. 40. Noter que l’ouvrage s’intitulait à l’origine : Catéchisme du citoyen français. 4 Rousseau est celui qui a porté le plus loin cette logique du pacte d’association et de la fonction instauratrice de la loi. D’où sa position emblématique du point de vue du modèle démocratique. L’on pourrait revenir, de ce point de vue, sur le rapprochement qui est souvent fait entre la loi, qui régit l’ordre de la nature, et la loi humaine, qui régit les rapports humains, pour préciser la manière dont le langage intervient sur et dans le fonctionnement de l’ordre naturel et humain. Voir, par exemple, les glissements entre la loi physique, la loi naturelle et la loi humaine qu’un Volney opère lorsqu’il définit la loi naturelle dans La loi naturelle, ([1793] 1980), spéc. p. 41. 5 Cela n’est certes vrai qu’en théorie, et encore, jusqu’à un certain point : la uploads/Science et Technologie/ jean-davallon-1990-l-x27-image-mediatisee-de-l-x27-approche-semiotique-des-images-a-l-x27-archeologie-de-l-x27-image-comme-production-symbolique-tome-2.pdf
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- Publié le Mai 09, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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