1 Chapitre 2 : Spécifier l’objet de la recherche Yvonne GIORDANO, Université de
1 Chapitre 2 : Spécifier l’objet de la recherche Yvonne GIORDANO, Université de Nice Sophia-Antipolis1 Alain JOLIBERT, Université Pierre Mendès-France Plan du chapitre 1. Qu’appelle-t-on objet de recherche ou objet de la recherche ? 1.1. Objet, problématique, question de recherche 1.2. Comment formuler l’objet de sa recherche ? Quelles questions doit-on se poser ? 2 Comment construire l’objet de la recherche dans une perspective post-positiviste ? 2.1. Terminologie utilisée dans la perspective post-positiviste 2.2. L’élaboration de l’objet à partir des concepts, théories et modèles théoriques 2.3. La démarche scientifique classique dans une perspective post-positiviste appelée aussi approche hypothético-déductive 3. Perspective(s) constructiviste(s) et spécification de l’objet de recherche 3.1. De la variété des constructivismes : une « galaxie » lourde de conséquences pour la production de connaissances 3.2. Objet de recherche construit et posture post-positiviste 3.3. Objet de recherche construit et posture interprétative 3.4. Objet de recherche construit et posture projective/ transformative 3.5. Les critères de légitimation de la recherche dans un posture constructiviste AU SOMMAIRE DE CE CHAPITRE - Définir ce qu’est l’objet dans un processus de recherche - Présenter les questions préalables à sa définition - Présenter la terminologie utilisée dans l’approche hypothético-déductive - Montrer comment s’élabore l’objet de recherche - Expliciter la démarche scientifique classique - Evaluer les recherches hypothético-déductives - Définir ce qu’on appelle posture constructiviste - Donner des exemples des différences possibles au sein de la posture constructiviste L’objectif de ce chapitre est de préciser ce que l’on entend par « objet de recherche » ou « objet de la recherche », sachant que les vocables employés peuvent être divers selon les 1 Je tiens à remercier Odile de Surrel de Saint Julien pour sa lecture attentive et critique de ce chapitre 2 champs disciplinaires et, surtout les postures épistémologiques examinées dans le chapitre précédent. Si nous souhaitons véritablement engager une « conversation » au sens de Cossette (2004)2, ce qui est très précisément le fondement de cet ouvrage, la variété des manières de construire/spécifier l’objet de recherche, doit être exposée. Le chapitre sera ainsi organisé en trois temps : - le premier (1) a pour but de relever et commenter les diverses notions que recouvre le titre du chapitre ; - le second (2) sera dédié au premier grand « paradigme » exposé dans le chapitre précédent, à savoir comment spécifier l’objet de la recherche dans une posture post- positiviste3 et comment assurer la validité de la recherche ; - le troisième (3) a pour but d’exposer comment, dans une posture qualifiée de « constructiviste », peut se spécifier l’objet de la recherche. Sachant que dans cette configuration, les acceptions de la terminologie « constructiviste » sont plurielles et que la reconnaissance académique demeure encore variable, nous exposerons des exemples de thèses récentes en mettant l’accent sur la nécessité de bien définir une telle posture. 1. Qu’appelle-t-on objet de recherche ou objet de la recherche ? Avant d’expliciter clairement ce que l’on appelle généralement « objet de recherche », rappelons brièvement que son explicitation s’inscrit dans le cadre plus vaste de l’itinéraire d’ensemble de la recherche. Quels que soient les choix épistémologiques et les stratégies de recherche utilisées, un processus de recherche4 se définit comme une construction plus ou moins itérative (par 2 Après Huff (1999), Cossette (2004 : 180) reprend l’idée selon laquelle, « converser en contexte de production de connaissances renvoie à une activité discursive écrite […] ou orale […] entre différents chercheurs partageant des intérêts semblables ». 3 La dénomination utilisée est clairement inconfortable, voire erronée, tant les variantes du (des) positivisme(s) sont nombreuses. Pour le lecteur qui souhaite plus de finesses dans la terminologie, nous le renvoyons à Chalmers (1982/1987) et à Smith (1998). Pour les références bibliographiques, la première date est l’édition originale ou la réédition, la seconde, celle que nous avons consultée. 4 Bien que cela tombe peut-être sous le sens, la terminologie « recherche » doit être précisée comme le soulignent fort justement Evrard & alii (1997 : 48-65). Les auteurs distinguent études et recherches, en particulier quant aux critères discriminants. Ce point est important, tout particulièrement pour les mémoires dits « professionnels » en Master 2. 3 exemple des allers et retours entre terrains et théories5) orientée vers des objectifs à définir clairement. De manière très générale, tout processus de recherche est constitué d’un certain nombre de composantes et d’étapes – pas toujours séquentielles comme nous le verrons – et qui s'étale de la formation d'une première intuition à la rédaction/publication d'un document soumis à la critique : étude, mémoire, thèse (Quivy & Campenhoudt, 1995 ; Wacheux, 1996 ; Evrard & alii, 1997 ; Thiétart & alii, 1999 ; Saunders & alii, 2003). Le Tableau 1 ci-après visualise les étapes classiques d’un processus de recherche quel qu’il soit, la colonne de droite celles utilisées dans une démarche hypothético-déductive (cf. point 2. ci-après). Tableau 1. Une vue synoptique générale de la construction d’un processus de recherche Les grandes étapes Leur contenu Dans l’approche hypothético-déductive Concevoir Objet ou Problématique et question(s) de recherche 1 Choix de l’objet 2 Revue de littérature 3 Construire un cadre théorique 4 Déduire des hypothèses Construire le processus Mettre en oeuvre - Construire le canevas ou architecture (design) de la recherche )6 - Lier concepts et données - Collecter les données, - Choisir l’échantillon - Coder et traiter les données 5 Opérationnaliser les concepts 6 Construire un plan de recherche 7 Choisir un échantillon, collecter des données et les coder 5 De manière à éviter les redondances excessives, les termes qui nécessitent des développements spécifiques seront regroupés. Ainsi, les termes de concepts, théories, modèles, proposition, hypothèses, variables etc. sont présentées dans le point 2 de ce chapitre. En effet, ces catégories analytiques ne sont pas le propre d’une posture particulière. 6 Ces diverses dénominations traduisent une pluralité de conceptions – souvent implicites - qui peut décontenancer le chercheur débutant. La terminologie « plan de recherche » est classiquement employée dans les recherches de type hypothético-déductives et quantitatives (cf. point 2 ci-après). La terminologie « canevas » (Miles & Huberman, 1994/2003) est davantage utilisée par les chercheurs qui optent pour des recherches dans lesquelles il y a beaucoup d’itérations avant de stabiliser la problématique. Le terme « design », plus générique, équivaut aussi à « architecture », termes plus neutres que les deux précédents. 4 Analyser Evaluer - Interpréter les résultats - Apprécier leur validité 8 Tester les hypothèses Analyser les données et interpréter les résultats, apprécier leur validité 9 Conséquences théoriques et pratiques des résultats obtenus Source : en partie d'après Thiétart & alii (1999, Plan de l'ouvrage) La figure ci-dessus montre qu’il peut exister des rétroactions / itérations entre les phases plus aval d’un processus de recherche et les phases amont, notamment la phase de conception. Cette caractéristique, que le chercheur doit absolument admettre comme étant normale, explique pourquoi celui qui débute un travail ne peut jamais énoncer : « voici quel est l’objet de ma recherche ». Pour pouvoir le formuler clairement, il faut un temps de maturation, temps qui peut être extrêmement variable, de quelques semaines à plusieurs mois, selon la nature de la recherche. Cette interrogation sur le « quoi » de la recherche correspond à une phase de conception7 que présentent tous les manuels. Cependant, la spécificité même de l’écriture (linéarité) et la présentation en début d’ouvrage - comme c’est le cas dans celui-ci - peuvent laisser penser que cette phase de conception intervient très tôt dans le processus de recherche et qu’elle est rapidement stabilisée. Cette interprétation, somme toute compréhensible, plonge certains jeunes chercheurs dans un état d’angoisse, plus particulièrement lorsque leur recherche s’oriente vers des projets de nature qualitative pour lesquels la formulation de ce qu’est l’objet de recherche peut être plus longue. Les développements qui suivent expliquent pourquoi cette éventuelle angoisse est légitime et comment elle peut être atténuée, à défaut d’être totalement levée en début de recherche. 1.1. Objet, problématique, question de recherche Comme aime à le souligner Koenig (2002 ; 2006b), un projet de recherche constitue un système permettant de passer d’une intention générale à des éléments de réponse. Il s’agit bien de « système » car il y a véritablement une combinatoire des différents éléments 7 L’ouvrage classique MARKET est particulièrement clair dans le sens où il spécifie que la phase « Concevoir » peut servir plusieurs familles d’études et de recherche (l’exploration, la description/compréhension, la vérification, la « maîtrise ». Il se présente comme le cheminement « idéal-typique » du chercheur allant de la conception à la phase de décision plus normative et propositionnelle. 5 nécessaires pour faire émerger l’objet de recherche. Si l’on modifie l’un des éléments, c’est l’économie générale du projet qui a toutes les chances de s’en trouver altérée (Koenig, 2002 : 1) La plupart des chercheurs qui s’engagent dans un projet ont du mal à trouver un début clairement formulable. Il n’y a pas d’itinéraire linéaire. Le « début » commence par des balbutiements, une question générale un peu floue, des allers et retours entre terrain et théories. uploads/Science et Technologie/ methodologie-specifier-l-x27-objet-de-la-recherche-pdf.pdf
Documents similaires
-
25
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 29, 2021
- Catégorie Science & technolo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.5003MB