Document généré le 14 mars 2018 12:16 Études littéraires La pragmatique linguis

Document généré le 14 mars 2018 12:16 Études littéraires La pragmatique linguistique de Peirce Joëlle Réthoré La culture et ses signes Volume 21, numéro 3, hiver 1989 URI : id.erudit.org/iderudit/500869ar DOI : 10.7202/500869ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département de littérature, théâtre et cinéma de l’Université Laval Département des littératures de l’Université Laval ISSN 0014-214X (imprimé) 1708-9069 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Réthoré, J. (1989). La pragmatique linguistique de Peirce. Études littéraires, 21(3), 49–58. doi:10.7202/500869ar Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1989 ÉTUDES LITTÉRAIRES, VOL. 21 — N° 3, HIVER 1988-1989, pp. 49-58 LA PRAGMATIQUE LINGUISTIQUE DE PEIRCE Joëlle réthoré «Il ne sert à rien de découvrir l'Amérique trop tard, après Colomb, mais une découverte trop précoce peut se révéler non moins gênante1.» « Combien de fois les hommes, arrivés à l'âge mûr, ont-ils eu connaissance d'immenses découvertes réalisées de façon indé- pendante et presque simultanément !2 » Mon propos n'est pas vraiment de développer ces idées mais plutôt de montrer que « Peirce est un précurseur tout à fait honorable pour la pragmatique» et, plus largement, qu'il est un des pionniers d'une conception moderne de la linguis- tique, notamment en théorie de renonciation. Dans le cadre de cet article, je me limiterai à étudier l'apport de Peirce à la voie pragmatique de la linguistique. Peirce est victime du poids de l'autorité du discours de certains linguistes, soit se donnant clairement comme critiques (Benveniste, dans les Problèmes de linguistique générale), soit par l'interprétation à la fois laudative mais malencontreu- sement erronée qui en a été donnée (par Charles Morris, par exemple). L'ironie d'une telle situation est que Peirce lui- même n'a cessé de dénoncer les méfaits de la méthode d'autorité3. 50 ÉTUDES LITTÉRAIRES - HIVER 1988-1989 Puisqu'il existe encore aujourd'hui des divergences d'opinion sur ce point, je voudrais apporter des arguments massifs qui, par eux-mêmes, c'est-à-dire sans le coup de pouce toujours possible d'une interprétation de ma part, devraient enfin per- mettre de valider définitivement un propos qui risque encore, à ce stade de l'exposé, de passer pour une simple opinion. 1. Qui a dît que Morris était l'inventeur de la pragmatique? «L'énoncé contenant je appartient à ce niveau ou type de langage que Charles Morris appelle pragmatique, qui inclut, avec les signes, ceux qui en font usage4.» F. Armengaud, auteure d'un ouvrage sur la pragmatique5, s'accorde avec Benveniste pour attribuer la paternité de la plus ancienne définition à Morris, en 1938: «la pragmatique est cette partie de la sémiotique qui traite du rapport entre les signes et les usagers des signes. » Définition très vaste, poursuit- elle, « qui déborde le domaine linguistique (vers la sémiotique) et le domaine humain (vers l'animal et la machine)6». Si j'examine, par contre, l'article7 dans lequel B.-N. Grunig résume les quatre voies prises par la pragmatique, je ne peux m'empêcher de remarquer que Grunig ne donne aucune indi- cation sur ce qu'elle pourrait considérer comme le point de départ de la recherche pragmatique : je fais donc la conjecture qu'il s'agit des années 50, peut-être avec comme centre de référence les conférences de J.-L. Austin à Harvard en 1955. Autre remarque que la lecture de l'article a suscitée: deux noms en sont absents, celui de Morris, pour commencer, qu'il est devenu banal de citer comme origine de la discipline depuis Benveniste ; celui de Peirce, en second lieu, cequi nous étonne singulièrement compte tenu de l'importance quantitative des concepts fondamentaux attribués par Grunig à la pragma- tique indexicale, et qui font déjà l'objet de définitions; très précises dans l'œuvre de Peirce publiée en français et en anglais8. Une autre voie empruntée par la pragmatique peut être vue comme une dérivation du pragmaticisme de Peirce : il s'agit de la pragmatique de la performativité et des actes de langage. Autrement dit, une bonne partie de l'activité en pragmatique trouve ses sources directes, ou du moins un cadre philosophique LA PRAGMATIQUE LINGUISTIQUE 51 des plus intéressants, chez Peirce, et je ne serai pas démentie par Armengaud ni par Normand/Trollez9. 2. Qu'en est-il du concept de « pragmatics » chez Peirce ? Dans le manuscrit intitulé « la Classification des sciences10 » (non daté), après avoir énoncé comme valide le principe d'A. Comte de la dépendance hiérarchisée des sciences, Peirce divise les sciences en trois parties: I. Les mathématiques (ou l'étude des constructions idéales sans référence à l'existence réelle). II. Les sciences empiriques (ou l'étude des phénomènes dans le but d'identifier leurs formes à celles déjà étudiées par les mathématiques). Il remplacera cette étiquette par phéno- ménologie dans la suite du manuscrit. III. Pragmatics: «the study of how we ought to behave in the light of the truths of empirics », ce dernier mot étant barré dans la suite du manuscrit et remplacé par «expérience», c'est-à-dire l'étude des com- portements que nous devrions adopter à la lumière des vérités de l'expérience. La pragmatique n'est, pour Peirce, ni philosophie (au titre de laquelle compte la logique), ni nomologie (au titre de laquelle figure la science du langage ; ailleurs il dira linguistique, comme science psychique, et plus exactement comme « empsychonomie », c'est-à-dire étude de l'esprit d'un point de vue extérieur), ni science descriptive et explicative ou épiscopie. Mais elle se fonde sur les principes définis par ces trois branches qui constituent la phénoménologie : en faisant réfé- rence à l'élaboration des caractères universels des phénomènes par la philosophie ; en utilisant les résultats de la nomologie en matière d'identification des caractères des classes de phéno- mènes; et en s'appuyant sur l'épiscopie (ou sciences de la description et de l'explication, qui décrivent les objets individuels et fournissent une explication de leurs caractères en fonction des lois déterminées par la nomologie). Ainsi, la première science descriptive est l'ergographie, dont un des objets est le langage comme production sociale et spontanée : c'est elle qui est chargée de l'élaboration et de la justification d'une table des langues naturelles. La pragmatique, telle que la conçoit Peirce, est une cinquième étape dans l'élaboration scientifique : elle est pratique, au sens où son objet est de savoir «what to do and how to do it», dit 52 ÉTUDES LITTÉRAIRES - HIVER 1988-1989 Peirce10. Nous ne sommes plus bien loin du célèbre How to Do Things With Words de J.-L. Austin. Reprenant d'ailleurs la première définition du manuscrit, Peirce ajoute que la prag- matique est l'étude de la façon de nous comporter étant donné la connaissance que nous avons [désormais] de notre envi- ronnement grâce à l'épiscopie. Or l'épiscopie se subdivise en deux sciences humaines et une troisième qui ne nous intéresse pas ici, qui est la cosmologie. Peirce identifie la philologie comme l'une des deux sciences humaines, distincte, on le voit, de la linguistique mais gouvernant la pragmatique au sens peircien. En conclusion partielle, on reconnaîtra à Peirce l'antériorité du concept de pragmatics, mais on conviendra que son objet spécifique n'est pas le langage, ni stricto sensu l'activité langa- gière, même si celle-ci est centrée sur le téléologique. 3. Nommer les fondateurs d'une discipline à la recherche de ses vecteurs ou ne pas les nommer? Avant d'aborder les différences entre les pragmatiques déjà en présence, une remarque s'impose sur la présentation du sujet: il y a une grande différence entre le choix opéré par Grunig, qui ne fait aucune place aux fondateurs, et celui d'Armengaud ou de Normand/Trollez. Je citerai d'abord Armengaud : « Perelman, Ducrot, Bourdieu, Kerbrat, Watzlawick, etc. Ils sont fort proches généralement de l'une des sources de la pragmatique. La maxime pragmatiste de Peirce...11 ». « Des genèses multiples. Dans la lignée Peirce- Morris-Carnap et Morris-Sebeok [...], la pragmatique apparaît comme l'une des composantes de la sémiotique12». «Les fondateurs de la pragmatique. Fondateurs directs: Peirce et Morris13». Quant à l'article de Normand/Trollez, il se donne comme une «introduction à Charles Morris, connu pour avoir, à la suite de Peirce, fondé la sémiotique [...] et fixé, à l'intérieur de cette dernière, l'emploi du terme pragmatique pour désigner un secteur de l'analyse du langage. Si les travaux de pragmatique linguistique font généralement référence à ce « père fondateur », ils ne soulignent pas les rapports (historiques) de leur recherche avec deux mouvements philosophiques: l'empirisme logique LA PRAGMATIQUE LINGUISTIQUE 53 du Cercle de Vienne, en particulier en la personne de R. Carnap, et le pragmatisme14.» 4. Les concepts clés des diverses pragmatiques Il nesuffit plus, cependant, dequelquesallusions parceque rien n'empêche de les prendre pour des professions de foi. J'ai prévu, cette fois-ci, de consacrer la plus large place à l'examen de concepts, que je n'hésite pas, personnellement, à qualifier de uploads/Science et Technologie/ la-pragmatique-linguistique-de-peirce-etudes-litteraires.pdf

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