MATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES D. HÉRAULT Remarques sur le discours scienti

MATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES D. HÉRAULT Remarques sur le discours scientifique Mathématiques et sciences humaines, tome 35 (1971), p. 59-65 <http://www.numdam.org/item?id=MSH_1971__35__59_0> © Centre d’analyse et de mathématiques sociales de l’EHESS, 1971, tous droits réservés. L’accès aux archives de la revue « Mathématiques et sciences humaines » (http:// msh.revues.org/) implique l’accord avec les conditions générales d’utilisation (http://www. numdam.org/conditions). Toute utilisation commerciale ou impression systématique est consti- tutive d’une infraction pénale. Toute copie ou impression de ce fichier doit conte- nir la présente mention de copyright. Article numérisé dans le cadre du programme Numérisation de documents anciens mathématiques http://www.numdam.org/ 59 REMARQUES SUR LE DISCOURS SCIENTIFIQUE par D. HÉRAULT1 RÉSUMÉ Après une brève définition de ce qu’on entend par discours scientifique (mathématique) et un bref aperçu de quelques-unes de ses propriétés caractéristiques, on indique comment on pourrait en concevoir l’analyse du contenu sémantique. On se limite ensuite à l’examen rapide des méthodes de détermination des objets que contiennent, en les mettant en relation, les énoncés d’un discours donné. On constate alors qu’une notion d’aspect joue un rôle essentiel, et qu’elle correspond en fait à celle des langues slaves (exemples russes et bulgares). On termine en formulant une conjecture relative aux propriétés modales (logiques) du système des préverbes du slave. 0. AVERTISSEMENT Les quelques remarques qui vont suivre, présentent certaines notions qui nous semblent liées à l’analyse, éventuellement automatique, du contenu sémantique d’un texte scientifique, écrit dans une langue indo- européenne. Une pratique assidue de la traduction en français de textes mathématiques, en particulier russes (voir [1] et [2]), nous laisse penser que les concepts, les méthodes et leurs conséquences que nous exposerons, ne s’opposent pas à la réalité des choses, mais au contraire s’y accordent convenablement. Cependant, l’extrême laconisme auquel nous contraint la place mesurée de cet article, ne nous permet, sans les justifier vraiment, que d’esquisser la plupart des arguments, que des publications ultérieures (voir [3]) développeront plus à loisir. Il est clair que ces développements nous amèneront sans doute à remanier ou à modifier bien des assertions, que seuls des travaux de large envergure permettront de fixer avec quelque rigueur. 1. LE DISCOURS SCIENTIFIQUE. PROPRIÉTÉS CARACTÉRISTIQUES Un discours scientifique est caractérisé par une situation particulièrement remarquable et simple : l’inter- vention systématique (explicite ou implicite) d’un unique « metteur en scèneo , que nous appellerons l’énon- ciateur. Au moyen de diverses énonciations, l’énonciateur présente, commente ou enchaîne logiquement les divers énoncés du discours. Dans ce qui suit, un discours sera qualifié de scientifique si, et seulement si, les notions précédentes y ont un sens. ’ 1. Service de Linguistique Quantitative, Université de Paris VI. 60 Par définition, relèvera de l’énonciateur dans un discours donné, toute partie marquée de son inter- vention. Corrélativement, un énoncé traduira donc une situation abstraite, dégagée de toutes considérations concernant sa mise en oeuvre, c’est-à-dire son énonciation, sa mise en place dans le discours. Par conséquent, on postule la possibilité de la mise en évidence de la dichotomie énonciation/énoncé pour toute phrase d’un discours scientifique. Il est nécessaire de préciser ce qu’on entend par « intervention de l’énonciateur ». Dans un discours scientifique mathématique (cette restriction n’est pas pas essentielle, car ce qui suit reste valable pour la classe tout entière des discours scientifiques), trois modes d’interventions se présentent principalement, auxquels sont liés trois modes d’énonciations : les appellations, les commentaires et les raisonnements, ce dernier mot étant entendu dans un sens très large. Ces trois modes peuvent naturellement se combiner librement. Considérons l’exemple suivant, extrait de la préface d’un ouvrage de mathématique : Les Leçons d’Élie Cartan sur les invariants intégraux, qui gardent encore une étonnante actualité, marquent les débuts de ce qu’on peut appeler la mécanique analytique moderne. L’énoncé se réduit à : Les Leçons d’Élie Cartan sur les invariants intégraux marquent les débuts de la mécanique analy- tique moderne. L’intervention de l’énonciateur est d’abord un commentaire (qui gardent encore une étonnante actualité) et une appellation qui se traduit par ce qu’on peut appeler. L’énonciateur indique, ce faisant, que la dénomi- nation « mécanique analytique moderne » lui est propre, mais que son emploi ne saurait soulever de difficultés pour un lecteur averti. Les énonciations de raisonnement sont multiples et utilisent le plus souvent des constructions facilement reconnaissables : verbes de jugement + que, tournures impersonnelles + infinitif, schémas adverbiaux (si..., alors...), adverbes introductifs (cependant... ). De plus, l’examen de nombreux cas montre qu’il est rare que l’intervention de l’énonciateur soit très difficile à déterminer, mais qu’en tout état de cause l’énonciation n’est pas uniquement liée à des circonstances purement syntaxiques. Il nous apparaît donc comme très incertain que des systèmes documen- taires ou de traduction automatique, qui font jouer un rôle prépondérant aux analyses syntaxiques, puissent parvenir en définitive à déterminer le contenu sémantique d’un texte réel. Par ailleurs, on constate que la structure d’un texte analysé en énonciations~énoncés se limite à des liaisons entre chacun de ces niveaux séparément. Les liaisons entre les énonciations, celles de raisonnement et les autres, représentent en quelque sorte le « squelette logique » du discours ; celles qui existent entre les énoncés en assurent la « cohérence sémantique ». Ces liaisons sont la plupart du temps réalisées par des renvois à des phrases précédentes. Ces renvois peuvent être géographiques situés ou non (Exemples : Au § 37, nous avons vu que... ou Ci-avant, nous...) ou objectifs, c’est-à-dire concernant des objets déjà manipulés (Exemple : elle est donc continue en xo, donc appartient à l’énonciation et renvoie, en le concluant, au raison- nement qui précède, elle renvoie à un objet, une fonction qui vient d’être manipulée). Les renvois objectifs concernent essentiellement les énoncés, et l’on voit par là, l’importance que peuvent revêtir les études sur les déterminants. Remarquons à ce propos que, dans un discours scientifique, les pronoms ne semblent pas soulever d’insurmontables difficultés, étant donné l’unicité de l’énonciateur. Ils ne peuvent représenter que des objets, cette représentation ne s’étendant en général que sur un texte de longueur très limitée. Notons encore une propriété « combinatoire », qui pourrait servir de test à la validité de ces dicho- tomies énonciations/énoncés. Pratiquement, au niveau de la phrase, toute énonciation peut introduire tout énoncé, sans que se pose la question de savoir s’il y a entre les deux une quelconque compatibilité sémantique. Bien entendu, la constitution d’un texte entier requiert le respect des liaisons entre les deux niveaux fondamentaux. 61 2. TYPES D’ÉNONCIATIONS ET TYPES D’ÉNONCÉS Il est clair que les concepts que nous venons de présenter n’auront d’intérêt pratique que dans la mesure où, derrière eux, ne se cache pas une trop grande complexité. C’est pourquoi il est essentiel d’analyser plus avant les énonciations et les énoncés. Les énonciations, quel qu’en soit le mode, se composent en général d’un prédicat muni de son aspect (dont nous reparlerons plus longuement ci-après), de divers éléments précisant la modalité, et d’ajouts qui le plus souvent sont des renvois. Exemple : De par la remarque précédente, on constate qu’il est souvent commode d’utiliser... cette/une forme intégrale de la constante d’Euler. Deux énonciations sont ici superposées : on constate (que), avec son renvoi (énonciation de conséquence logique d’un raisonnement) et une deuxième énonciation, également de raisonnement, il est souvent commode d’utiliser. Il s’agit bien ici d’une énonciation, car cette phrase doit pouvoir être distinguée de : ... on constate qu’il existe (une forme intégrale de la...). Dans cette deuxième énonciation, apparaît la modalité souvent commode. Dans cet exemple, l’énoncé se réduit à : (il y a, il existe) cette/une forme intégrale de la constante d’Euler. Si l’on effectue systématiquement de telles analyses sur des textes entiers, il apparaît que l’on peut dégager la notion de type d’énonciation, c’est-à-dire la notion de l’énonciation considérée abstraitement, débarrassée de ses modalités et des ajouts. Bien que relativement au français cela ne soit pas évident, il est encore nécessaire d’exclure du type d’énonciation tout ce qui touche à l’aspect. Par exemple, à partir du type UTILISER, on distinguera les énonciations imperfectives on utilise, on utilisera et perfectives on va utiliser, on vient d’utiliser. ’ Ce n’est pas par hasard qu’apparaît ici la terminologie des slavistes : il s’agit de notions qui, dans un discours scientifique, coïncident presque exactement. On peut dès lors se poser la question de savoir quel est le nombre des types d’énonciations, des modalités, des ajouts. Les travaux préliminaires que nous avons entrepris permettent de penser qu’il y a moins de 300 types d’énonciations, et que le nombre des ajouts et de celui des modalités est inférieur à 100. La détermination effective et la classification éventuelle de toutes ces entités nous semblent beaucoup plus simples si l’on en étudie les diverses réalisations dans les textes scientifiques écrits en russe. De plus, les résultats obtenus sont aisément traductibles dans toute autre langue non slave (c’est ce que nous avons tenté dans [2]). L’analyse des énoncés se présente un peu différemment, puisque par définition aucune modalité, aucun aspect, autre que le « plus imperfectif » n’y peut figurer. On peut, là encore, dégager la notion de type uploads/Science et Technologie/ msh-1971-35-59-0-pdf 1 .pdf

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