Études de communication langages, information, médiations 40 | 2013 Epistémolog
Études de communication langages, information, médiations 40 | 2013 Epistémologies, théories et pratiques professionnelles en communication des organisations Neurosciences au service de la communication commerciale : manipulation et éthique. Une critique du neuromarketing The Neurosciences in the Service of Marketing Communication: Manipulation and Ethics – A Critique of Neuro-marketing Didier Courbet et Denis Benoit Édition électronique URL : http://edc.revues.org/5091 DOI : 10.4000/edc.5091 ISSN : 2101-0366 Éditeur Université Lille-3 Édition imprimée Date de publication : 1 juin 2013 Pagination : 27-42 ISBN : 978-2-917562-09-3 ISSN : 1270-6841 Référence électronique Didier Courbet et Denis Benoit, « Neurosciences au service de la communication commerciale : manipulation et éthique. Une critique du neuromarketing », Études de communication [En ligne], 40 | 2013, mis en ligne le 01 juin 2013, consulté le 14 mars 2017. URL : http://edc.revues.org/5091 ; DOI : 10.4000/edc.5091 Ce document a été généré automatiquement le 14 mars 2017. © Tous droits réservés Neurosciences au service de la communication commerciale : manipulation et éthique. Une critique du neuromarketing The Neurosciences in the Service of Marketing Communication: Manipulation and Ethics – A Critique of Neuro-marketing Didier Courbet et Denis Benoit 1 Récemment apparu, le « neuromarketing » (NM) est un domaine du marketing qui se fonde sur les théories et méthodes des neurosciences – les techniques d’imagerie cérébrale, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf)... – dans le but de mieux comprendre et d’influencer les comportements de consommation et d’achat (voir Droulers & Roullet, 2010). L’un des principaux domaines du NM concerne les influences des communications commerciales, plus particulièrement les influences non conscientes. 2 Au sens strict, les neurosciences cognitives étudient le système nerveux central en lien avec les processus psychologiques dits « supérieurs » impliqués dans la perception, la mémorisation, l’intentionnalité, l’évaluation, la planification et l’action. Sur le plan opérationnel, de nombreuses publications présentent le NM comme capable de tirer des enseignements pratiques des neurosciences cognitives pour améliorer les stratégies de communication commerciale et de marketing des organisations (Badoc et Georges, 2010). Le NM se fonde sur le principe selon lequel « mieux on connaît le cerveau humain, mieux on peut influencer les comportements d’achat des individus », notamment à leur insu. Par exemple, Adam Koval, directeur de la société BrightHouse aux États-Unis et que l’on dit précurseur du NM, précise : La recherche en NM donne un aperçu sans précédent de la pensée du consommateur. Les résultats seront une augmentation des ventes, une préférence pour certaines marques ou encore le fait d’obtenir que les consommateurs se comportent de la façon que l’on désire1. Neurosciences au service de la communication commerciale : manipulation et ét... Études de communication, 40 | 2013 1 3 Ainsi voit-on apparaître depuis quelques années des agences de communication, des instituts d’études ou des départements spécialisés en NM (par exemple les entreprises Neurosense, Neurofocus...). L’utilisation de celui-ci au service des publicitaires soulève d’immanquables questions à la fois théoriques, méthodologiques, stratégiques et éthiques, relatives aux moyens qu’utilise le NM et aux finalités qu’il poursuit. La première partie de notre contribution expliquera qu’au stade actuel des connaissances scientifiques, le NM, au sens strict du terme, c’est-à-dire en tant que domaine qui utilise des techniques d’imagerie cérébrale issues de la recherche en neurosciences n’a pas, à ce jour, d’utilité démontrée pour les stratèges en communication et en marketing : in fine, le NM ne serait-il pas (lui-même) qu’un « coup marketing » ? Et pour quelles raisons ? 4 Nous montrerons, ensuite, que le NM vise bien à influencer à leur insu les personnes en utilisant, en fait, des concepts et méthodes issus de la psychologie scientifique. Sur cette base, et nous fondant sur un recensement des principaux débats éthiques entre les adeptes du NM (les « pro-NM ») et ses détracteurs (les « anti-NM ») nous ouvrirons, dans une seconde partie, une discussion centrée sur la « manipulation des personnes » et l’éthique, relative aux liens entre le NM, la persuasion non consciente et le libre arbitre. 5 Plus généralement, et à travers une analyse critique de l’utilisation des neurosciences au service de la communication commerciale, nous montrons comment les chercheurs en communication peuvent mettre leurs compétences théoriques pluridisciplinaires, méthodologiques et critiques, au service des acteurs de la communication des organisations. Nous mettons ainsi en évidence l’inutilité fonctionnelle de certaines applications scientifiques « dans l’air du temps » (l’imagerie cérébrale) et l’importance de la réflexion éthique, dans l’intérêt même des organisations. A une époque où il est sans doute capital pour les organisations de se construire une image socialement responsable, empreinte d’éthique (Loneux, 2001), l’utilisation du NM, dont le caractère manipulatoire est socio-médiatiquement dénoncé, pourrait se révéler totalement contre-productif pour les organisations elles-mêmes... Le neuromarketing : un « coup marketing » à l’utilité douteuse ? 6 Pour montrer que l’imagerie cérébrale n’apporte rien de nouveau ni aux sciences de la communication, ni à la recherche académique en marketing, ni aux professionnels eux- mêmes, analysons rapidement deux recherches souvent citées comme significatives par les adeptes du NM. Deux illustrations montrant que la neuro-imagerie n’apporte rien de nouveau... 7 Les résultats d’études de produits montrent que lorsque des consommateurs comparent le goût de Coca-cola et de Pepsi-Cola sans savoir quelle marque ils boivent, Pepsi-Cola est généralement préféré à Coca-cola. Le plus souvent, ce résultat est cependant inversé quand les personnes qui testent savent à l’avance quelle marque elles boivent : la bonne image de marque de Coca-Cola influence la préférence déclarée et prend donc le pas sur le goût. McLure S. et al. (2004) ont reproduit ce même test sur des personnes soumises à une analyse par IRM. Lors des tests de goût en aveugle, l’imagerie a révélé une activation Neurosciences au service de la communication commerciale : manipulation et ét... Études de communication, 40 | 2013 2 du putamen ventral proportionnelle au choix : l’activation de cette zone cérébrale est plus forte pour Pepsi. Lorsque le sujet est informé de la marque, une zone cérébrale supplémentaire s’active, le cortex préfontal médian. Cette dernière aire est généralement activée dès que les personnes effectuent des jugements de valeur et des raisonnements. L’excellente image de marque d’un produit, ici Coca-cola, permettrait donc de provoquer dans le cerveau plus de satisfaction que les sensations directement transmises par ses qualités gustatives. Conclusion : si les résultats sont intéressants pour la recherche en neurosciences, ils n’ont manifestement aucune utilité supplémentaire pour les professionnels du marketing ! 8 Une autre recherche parue en 2007 a fait grand bruit dans le monde du N. M. Knutson et al . (2007) ont montré que lorsqu’un produit attrayant apparaît sur l’écran, le cerveau du consommateur réagit de manière spécifique : une région du cerveau subcortical, le noyau accumbens (qui est associé à l’anticipation du plaisir) s’active. Quand le prix affiché du produit est excessif, ce qui est un frein à l’achat, c’est une autre zone cérébrale qui s’active : l’insula (zone identifiée comme étant impliquée dans la sensation de douleur). De plus, le cortex pré-frontal lié habituellement au processus de choix est inhibé lorsque le prix est excessif. Il est indéniable que les résultats sont importants pour la recherche scientifique. Cependant, si une retranscription des résultats de l’expérience en termes neurobiologiques semble impressionnante, ils n’ont aucun intérêt pour le professionnel de la communication. En effet, traduisons les résultats en termes communicationnels : « quand on montre un produit attrayant sans voir que le prix est élevé, on a envie d’acheter. Quand on apprend que le prix est élevé, on a une déception et on n’a pas l’intention d’acheter »... Rien de nouveau, donc. Nul besoin d’une IRM pour le savoir, il suffit de le demander aux personnes. Dans ce cas précis, pour connaître les réactions affectives, les raisonnements cognitifs et les intentions d’achat, le langage verbal et le déclaratif sont des indicateurs autant, si ce n’est davantage, valides, plus pratiques et moins chers que l’IRM ! 9 Pour les professionnels de la communication et du marketing, en l’état actuel des avancées scientifiques, le NM (au sens strict de domaine du marketing se servant des technologies d’imageries cérébrales des neurosciences) ne fait qu’utiliser métaphores et analogies neurologiques et biologiques pour traduire ce que les spécialistes du comportement du consommateur et de l’influence des médias savent déjà relativement aux pensées, aux affects et aux comportements. Quatre mythes associés au neuromarketing 10 Comme de nombreuses innovations techno-scientifiques, le NM semble associé à quatre types d’imaginaires, à quatre « mythes » : - le mythe des « nouvelles technologies médicales magiques et toutes puissantes » (l’imagerie par résonance magnétique) ; - le mythe de « la blouse blanche », lié à une forte valorisation des rôles des médecins, des neuroscientifiques et de leur crédibilité scientifique ; - le mythe lié à « l’extraordinaire potentiel de l’organe encore secret et méconnu qu’est le cerveau » ; le pourtant très sérieux Pr Gerald Zaltman relaye même l’information selon laquelle « 95 % des activités cognitives du consommateur se déroulent sous le seuil du conscient » (2004, p. 12). Un chercheur rigoureux en neurosciences ou en sciences Neurosciences au uploads/Science et Technologie/ neurosciences-au-service-de-la-communication-commerciale.pdf
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- Publié le Oct 18, 2021
- Catégorie Science & technolo...
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