études de l’Ifri Juillet 2018 Serge CAPLAIN Penser son ennemi Modélisations de

études de l’Ifri Juillet 2018 Serge CAPLAIN Penser son ennemi Modélisations de l’adversaire dans les forces armées 82 Focus stratégique Laboratoire de recherche sur la défense L’Ifri est, en France, le principal centre indépendant de recherche, d’information et de débat sur les grandes questions internationales. Créé en 1979 par Thierry de Montbrial, l’Ifri est une association reconnue d’utilité publique (loi de 1901). Il n’est soumis à aucune tutelle administrative, définit librement ses activités et publie régulièrement ses travaux. L’Ifri associe, au travers de ses études et de ses débats, dans une démarche interdisciplinaire, décideurs politiques et experts à l’échelle internationale. Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité de l’auteur. ISBN : 978-2-36567-899-5 © Tous droits réservés, Ifri, 2018 Comment citer cette publication : Serge Caplain, « Penser son ennemi. Modélisations de l’adversaire dans les forces armées », Focus stratégique, n° 82, Ifri, juillet 2018. Ifri 27 rue de la Procession 75740 Paris Cedex 15 – FRANCE Tél. : +33 (0)1 40 61 60 00 – Fax : +33 (0)1 40 61 60 60 E-mail : accueil@ifri.org Site internet : Ifri.org Focus stratégique Les questions de sécurité exigent une approche intégrée, qui prenne en compte à la fois les aspects régionaux et globaux, les dynamiques technologiques et militaires mais aussi médiatiques et humaines, ou encore la dimension nouvelle acquise par le terrorisme ou la stabilisation post- conflit. Dans cette perspective, le Centre des études de sécurité se propose, par la collection Focus stratégique, d’éclairer par des perspectives renouvelées toutes les problématiques actuelles de la sécurité. Associant les chercheurs du centre des études de sécurité de l’Ifri et des experts extérieurs, Focus stratégique fait alterner travaux généralistes et analyses plus spécialisées, réalisées en particulier par l’équipe du Laboratoire de Recherche sur la Défense (LRD). Auteur Le lieutenant-colonel Serge Caplain est chercheur au sein du Laboratoire de Recherche sur la Défense (LRD). Officier d’active de l’armée de Terre, diplômé de l’École militaire interarmes et breveté de l’École de Guerre, il est détaché par le ministère des Armées auprès de l’Ifri où il apporte une expérience opérationnelle aux différentes études relatives aux engagements militaires contemporains ainsi qu’à l’adaptation de l’outil de défense. Comité de rédaction Rédacteur en chef : Élie Tenenbaum Assistantes d’édition : Esther Soulard et Marie-Emilie Hennequart Résumé La désignation d’un ennemi est toujours le fruit d’une décision politique, laquelle débouche en principe sur l’ouverture d’hostilités. Si l’ennemi résulte d’un choix politique, il est en revanche une nécessité militaire pour les armées qui se doivent de l’étudier et de le décliner à chaque niveau d’analyse, qu’il soit stratégique, opératif ou tactique. Le chef militaire entretient donc un lien particulier avec « son » ennemi, qu’il prend en compte au moyen de son système de renseignement dans le contexte unique de sa mission. Si les principes fondamentaux de l’étude de l’ennemi se retrouvent dans la plupart des armées, des différences de méthodes d’analyse et de modélisation persistent, même au sein des pays de l’OTAN, attestant ainsi des diverses façons d’aborder un adversaire. Ces approches traditionnelles pourraient toutefois être bientôt bousculées par les innovations en matière de renseignement militaire et les applications de l’intelligence artificielle. Abstract The designation of an enemy is always the result of a political decision, which generally leads to the opening of hostilities. If the enemy is the result of a political choice, it is though a military necessity for armed forces which have to carry out an analysis of the enemy at each level of analysis, be it strategic, operational or tactical. The military leader thus has a special bond with “his” enemy, taking him into account through his intelligence system in the unique context of his mission. If the fundamental principles of enemy study recur in most armies, differences in methods of analysis and modeling persist, even within NATO countries, showing the diversity of how to address an adversary. These traditional approaches could however soon be challenged by innovations in military intelligence and applications of artificial intelligence. Sommaire INTRODUCTION .................................................................................... 9 L’ENNEMI, NÉCESSAIRE ET TOUJOURS INCERTAIN ......................... 13 Décision politique, nécessité militaire .................................................. 13 Le choix politique de l’ennemi ......................................................... 13 L’étude de l’ennemi : un devoir d’anticipation ? ............................... 15 L’ennemi : une nécessité militaire ................................................... 17 L’ennemi incertain .................................................................................. 18 De la symétrie à l’asymétrie ........................................................... 18 L’ennemi inatteignable, anonyme, insaisissable ............................... 19 Réduire l’incertitude par le renseignement militaire ? ........................ 21 Du renseignement militaire ............................................................ 22 Le renseignement au sein des états-majors .................................... 23 « Rien n’est plus dangereux que la certitude d’avoir toujours raison » ........................................ 24 LES APPROCHES ANALYTIQUES DE L’ENNEMI AU SEIN DE L’OTAN ...................................................... 27 Les principes de l’étude de l’ennemi ..................................................... 27 Les caractéristiques intrinsèques .................................................... 28 L’ennemi dans son environnement ................................................. 29 Les hypothèses de travail ............................................................... 30 Face à l’inconnu, partir du connu .................................................... 31 Des approches analytiques variées ....................................................... 33 Description de l’ennemi : de l’approche déductive à l’analyse systémique ............................... 33 Définir les modes d’action : approches probabiliste et possibiliste ..... 38 DES APPROCHES TRADITIONNELLES BOUSCULÉES ? ....................... 45 Un ennemi plus visible et prévisible ? ................................................... 45 Un développement sans précédent du renseignement militaire ......... 46 Penser son ennemi Serge Caplain 8 L’intrusion de l’intelligence artificielle ............................................... 48 L’apport des sciences cognitives ..................................................... 49 De la simulation au « Red teaming » .............................................. 50 Penser « rouge » : limites et implications ........................................... 54 La modélisation de l’irrationnel et le remplacement de l’altérité ........ 54 Moins d’initiative et de subsidiarité ? ............................................... 56 CONCLUSION ...................................................................................... 61 Intégrer les approches de l’OTAN, tout en préservant la spécificité française............................................ 61 Développer l’intelligence artificielle, tout en cultivant la capacité de s’en passer ......................................... 62 Mieux prendre en compte l’apport des sciences cognitives ................ 62 Cultiver la diversité des analystes ......................................................... 62 Introduction « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même, même avec cent guerres à soutenir, cent fois tu seras victorieux1. » Cette citation de Sun Tsu a traversé les âges pour résumer à elle seule l’intérêt que revêt la connaissance de l’ennemi dans un conflit armé. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi : longtemps le sort d’une bataille a été attribué à la volonté des dieux, à la force physique des combattants ou à leur seul courage. L’idée d’étudier l’ennemi pour pouvoir adapter ses propres actions en conséquence était certes bien connue, mais elle mit étonnamment quelques centaines d’années à s’imposer2. Les choix tactiques étaient en effet largement le produit de normes sociales, politiques ou religieuses et ne reflétaient pas forcément une rationalité unique. Même lorsqu’à l’époque moderne et contemporaine, la pensée stratégique a rendu toute sa place à la figure de l’ennemi, ce dernier n’était pas toujours aisé à saisir. Ainsi, avec la fin de la guerre froide et l’avènement d’un monde multipolaire, analystes et stratèges ne cessent de théoriser le « temps de l’incertitude » : dans une Europe n’ayant plus de menace déclarée à ses portes, la question de la connaissance de l’ennemi semble plus que jamais centrale. Mais qu’est-ce qu’un ennemi ? Aujourd’hui, les mondes politique et médiatique empruntent trop facilement ce mot au registre guerrier pour que l’on puisse s’abstenir de le définir. Nous retiendrons pour cette étude sa définition militaire d’« individu, groupe d’individus (organisé ou non), force paramilitaire ou militaire, entité nationale ou alliance nationale qui se manifeste par des actes délibérément hostiles aux forces amies et qui doivent être combattus3 ». L’ennemi est donc pluriel : à partir de l’ennemi « institutionnel » auquel se confronte toute la nation, se décline un ennemi particulier, propre à chaque chef militaire, tel qu’il aura à l’affronter dans le contexte unique de la mission reçue. Chaque soldat se représente donc son ennemi et toute son action ne vise qu’à le contraindre « à la négociation ou à la défaite4 ». En cela, l’ennemi se distingue de la notion d’adversaire5, qui 1. Sun Tsu, L’art de la guerre, Paris, Flammarion, 2008. 2. Bien que le débat soit encore ouvert : pour certains comme John Keegan, force et volonté priment sur le renseignement pour vaincre. Sur ce point, lire J. Keegan, Intelligence and War: Knowledge of the Enemy from Napoleon to Al-Qaeda, New York, Alfred Knopf, 2003. 3. EMP 60.641, Glossaire de l’armée de Terre, CDEF, Armée de Terre, Paris, 2013, p. 227. 4. FT 02, Tactique générale, CDEF, Armée de Terre, Paris, 2008, p. 13. Penser son ennemi Serge Caplain 10 n’a pas la même « connotation politique et psychologique […] : l’adversaire est temporaire et une conciliation ultérieure est envisageable6 ». En fin de compte, l’ennemi est bien l’affaire des militaires, rarement celui du politique qui peut difficilement exclure tout règlement amiable d’un conflit. Compte tenu de ce lien si particulier, il est légitime de s’interroger sur la manière dont les militaires appréhendent leur ennemi dès le temps de paix. Par quels procédés et moyens, arrivent-ils à le concevoir, dans sa nature comme dans ses intentions, à comprendre ce qu’il veut, ce qu’il peut et la façon dont il compte parvenir à ses fins ? Quelles tendances ou uploads/Science et Technologie/ penser-son-ennemi.pdf

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