Présentation Penser les usages sociaux des technologies numériques d’informatio

Présentation Penser les usages sociaux des technologies numériques d’information et de communication Fabien GRANJON Sociology and Economics of Networks and Services Orange Labs Julie DENOUËL Praxiling, Université Montpellier 3 – CNRS Le présent ouvrage réunit un ensemble de regards sociologiques ayant pour objet central l’analyse des usages sociaux des technologies numériques d’information et de communication (TNIC). Par l’emploi de l’acronyme « TNIC » nous entendons désigner les dispositifs d’information et de communication qui s’incarnent dans des objets et des services qui, à des degrés divers, reposent sur les technèmes de la numérisation du signe et de l’informatique connectée – i.e. sur les technologies télématiques les plus récentes. Les TNIC traversent aujourd’hui le corps social de part en part. Quelle que soit la sphère sociale considérée (domestique, professionnelle, du loisir, etc.), force est de constater que les usages des dispositifs numériques sont devenus des activités parmi les plus ordinaires dans la mesure où elles s’intègrent toujours davantage au quotidien des individus et se présentent parfois même comme des impératifs pratiques. Comme le souligne Josiane Jouët au sein du chapitre d’ouverture : « Des débuts de la télématique au Web 2.0, le paradigme digital – pour reprendre une expression des années 80 – s’est imposé dans toutes les strates de la vie sociale et les technologies numériques sont devenues des objets de consommation de masse. La forte progression de la population des internautes dans la première décennie du 21ème siècle est souvent assimilée au « retour de l’usager » ou au « tournant de l’usage » (User Turn) car les usages grand public connaissent une véritable explosion et font l’objet d’un regain d’intérêt de la recherche pour la néo-télématique ordinaire qu’est aujourd’hui Internet [Jouët, 2009] ». La « culture numérique » en émergence structure l’évolution de la société et les TNIC se présentent toujours davantage comme un passage quasi-obligé pour accomplir de plus en plus de tâches du quotidien. Force est de constater que ces dernières deviennent des organisateurs centraux de l’action. Elles bouleversent les cadres spatio-temporels des activités et renforcent, voire initient, en tant que prescripteurs d’action, des modes de faire et de relations à l’autre. La médiation des TNIC favorise ainsi l’émergence de nouveaux modèles de références, de valeurs, d’actions et de relations sociales qui transforment notre rapport à soi et au collectif et participent à part entière à la production des sociétés contemporaines. À l’évidence, la chose n’est pas nouvelle, mais l’ampleur du phénomène est à ce jour tout à fait inédite. Cet important développement des TNIC, de l’informatique connectée et de leurs usages a contribué à ce que se déploient des recherches questionnant le rôle que joue les technologies numériques dans la conduite et le renouvellement d’un ensemble toujours plus varié et étoffé d’activités sociales. Les enjeux stratégiques et sociopolitiques des TNIC, ainsi que la place de la technique dans le changement social sont des aspects qui sont aujourd’hui davantage abordés que par le passé, un accord existant pour convenir que « la technique est un phénomène global, présent dans tous les secteurs de la vie sociale et que les enjeux de l’interrelation de la technique et du social touchent les fondements et les valeurs de l’organisation sociale dans sa globalité » [Chambat et Jouët, 1996 : 209]. La question de l'appropriation des TNIC dans une société devenant technologique dans son ensemble tend de facto à s’imposer comme une problématique centrale. Bien que le facteur technique ne soit pas, loin s’en faut, une préoccupation majeure de la raison sociologique contemporaine – penser la matérialité du social a pourtant fait partie des curiosités qu’ont pu avoir les « pères fondateurs » de la sociologie française –, les sciences sociales peuvent néanmoins, aujourd’hui, se prévaloir d’un nombre pour le moins conséquent de travaux conduits ces dix dernières années depuis des champs disciplinaires variés (sociologie, sciences de l’information et de la communication, histoire, psychologie, sciences du langage, science politique, sciences de l’éducation, etc.) et dont une large part porte sur les usages de l’informatique connectée (courrier électronique, chat, IM, blog, etc.), tant dans la sphère domestique que dans les espaces professionnels. S’est ainsi créée une « tradition de recherche » qu’il est convenu d’appeler par facilité la sociologie des usages et qui a mis au cœur de ses réflexions la question de l’objectivation du social dans et via les instances techniques ainsi que de la médiation technique. Malgré l’existence d’amples recensions concernant la période 1980-2000 [Chambat, 1994a ; Millerand, 1998/1999 ; Jouët, 2000], il faut remarquer que, s’agissant des usages sociaux des machines à communiquer, l’effort de capitalisation des savoirs n’est pas particulièrement coutumier de l’espace de recherche qui en a fait sa spécialité. Rendu fastidieux par l’explosion du nombre des études dont beaucoup relèvent d’une littérature grise, le travail d’anamnèse, de cumul et de comparaison des savoirs est somme toute peu développé. Le constat effectué par Pierre Chambat en 1994 conserve ainsi sa validité plus de quinze ans après : « La diversité des références théoriques et des méthodologies a un effet centrifuge qui ne contrebalance pas l’inscription, souvent assez floue, dans le champ de la communication » [Chambat, 1994a : 250]. Conséquemment, la recherche en sciences sociales considère encore trop souvent et trop précipitamment que « chaque innovation est l’occasion de ‘‘redécouvrir la lune’’ au mépris des enseignements qui pourraient être tirés d’innovations antérieures » [Chambat, Jouët, 1996 : 212]. Pour ne donner qu’un exemple traité dans le chapitre que signe Jouët, les travaux sur la télématique de première génération, pourtant nombreux et à bien des égards novateurs dans leur appréhension de la « dimension technique », s’avèrent fort peu mentionnés dans les études les plus récentes portant sur les usages de l’informatique connectée. Commentant les réponses apportées à un appel à contribution ayant donné lieu à la publication d’une livraison récente de la revue Terrains & Travaux portant sur les activités en ligne, les coordinateurs du numéro s’étonnent ainsi « de la relative pauvreté et uniformité des références mobilisées ». Et d’ajouter : « si pour étudier des interactions en ligne il est toujours utile d’invoquer Goffman, il l’est plus encore de lire les nombreux travaux qui depuis quinze ans montrent les constantes de ces interactions » [Beuscart, Dagiral et Parasie, 2009 : 4]. Les exemples de ces amnésies pourraient être multipliés à l’envi, l’accumulation d’études de cas autorisant parfois la capitalisation de quelques résultats, mais ne permettant à l’évidence que peu de déboucher sur un cumul des savoirs trouvant à s’actualiser dans des problématiques synthétiques de portée plus générale. Une telle ambition n’est certes pas des plus aisées à tenir : « Comment opérer des liens entre les données micro-sociales et les données macro-sociales en évitant l’écueil des généralisations abusives et des discours globalisants ? Comment dépasser le fossé entre les méthodes quantitatives et qualitatives ? Comment réintroduire l’étude des TIC dans la compréhension du changement social et revenir aux interrogations fondamentales sur le sens de la technique dans le champ sociétal ? » [Chambat, Jouët, 1996 : 213]. Ces interrogations sont plus que jamais d’actualité. La période décennale qui vient de s’écouler a toutefois esquissé certaines réponses, notamment quant à la nécessité d’une désectorialisation des recherches en décompartimentant les champs d’application entre le domestique et le professionnel, en élaborant des appareils de preuves complexes mêlant par exemple dispositifs d’enquête quantitatifs et observations d’inspiration ethnographique, ou bien encore en s’intéressant non plus aux usages sociaux d’une technologie en particulier, mais en prêtant plutôt attention à l’écosystème technologique distribué des individus et des collectifs. Un certain nombre des « grands partages » ont ainsi été reconsidérés, mais pour se généraliser, être efficaces et pleinement heuristiques, les initiatives de cette nature devront se multiplier et s’enrichir aussi de confrontations/croisements disciplinaires, permettant à cette seule condition « d’identifier des phénomènes de continuité et de rupture et [ainsi] de mieux saisir l’usage social en termes d’action » [Chambat, Jouët, 1996 : 213]. Nous venons de le souligner, la production scientifique s’est sensiblement étoffée ces dernières années, multipliant les études sur les usages liés à une pléthore de dispositifs techniques et/ou services (Internet, téléphonie mobile, sites de réseaux sociaux, etc.) et explorant des territoires sociaux toujours plus variés (famille, cercles relationnels spécifiques, espaces professionnel, etc.). À ce foisonnement des objets de recherche répond, comme en écho, la forte diversité des problématiques mobilisées (lien social, constructions identitaires, exposition de soi, coopération, etc.) qui trouvent à se ressourcer dans des épistémologies et des paradigmes variés (ethnométhodologie, pragmatique, sociologie de l’innovation, sociologies interprétative, critique, etc.). Eu égard à cette abondance différenciée, le présent opus ne saurait emprunter les voies de la synthèse générale. Même modeste et raisonnée, une telle entreprise reviendrait à constituer un fastidieux compendium. Les contributions ici rassemblées proposent néanmoins de conséquents états de la littérature, travaillant, de par leur juxtaposition, à l’élaboration d’une photographie impressionniste des travaux menés récemment par les sciences sociales s’agissant des usages sociaux des machines à communiquer. Notre objectif n’a pas été de composer une dissertation exhaustive des évolutions théoriques et résultats empiriques les plus récents, mais d’arpenter uploads/Science et Technologie/ presentation 1 .pdf

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