1 L’ensemble des choses contre la norme technique :regards historiques sur la t
1 L’ensemble des choses contre la norme technique :regards historiques sur la technologie actuelle Paru dans Hermès : revue critique. Automne 1998 http://pages.globetrotter.net/charro/HERMES2/ellul.htm Le bluff technologique Jacques Ellul. « Il est encore dans la technique mais plus assez pour y croire. Pour être technicien, il faut rester le nez dedans parce dès qu’on met un pied dehors, on est foutu. » Laurent Gauthier, Notices, manuels techniques et modes d’emplois, Gallimard, 1998 (roman). « (...) l’informatique, au lieu de permettre une domination sur le système technicien, est entrée dans ce système, en a adopté tous les caractères et n’a fait qu’en renforcer la puissance et l’incohérence des effets. Actuellement, j’estime que la partie est perdue (...) Une fois de plus, la « force des choses » l’a emporté sur la libre décision de l’homme. » Ellul, 1988, p. 128 Ce livre, malgré son titre accrocheur, est loin d’être une simple plaquette d’opinion « contre la technologie ». Pour ceux qui ne connaissent pas encore la somme magnifique des réflexions d’Ellul (nous sommes malheureusement trop nombreux dans cette situation), voilà une lecture essentielle, un contact de base avec un penseur que tout étudiant, où qu’il soit, devrait lire. Avec Mumford et Marcuse, Ellul nous donne une formation fondamentale sur la technologie et la société technologique. Le présent ouvrage approfondit et précise la réflexion de l’auteur sur une question d’ensemble qui, chez lui, touche plus à la culture qu’à la technique comme telle. La trivialisation de la culture par la technique érigée en système représente en fait son grand sujet. Le bluff technologique termine une trilogie commencée en 1954 avec La technique ou l’enjeu du siècle, qui étudiait déjà les mutations de société produites part la technique. Trilogie prolongée en 1977 par Le système technicien, qui appliquait la méthode des systèmes à l’analyse de la technique elle-même. Œuvre monumentale et capitale, la contribution d’Ellul a été marginalisée, dans les études universitaires et les analyses savantes, et pour cause : elle ne cesse de dénoncer les mythologies qui font la fortune des discours professionnels et académiques. « On préférait le langage berceur de la publicité selon lequel la technique est productrice de liberté » (p. 9). On a généralement considéré les livres d’Ellul comme de « paisibles études d’un intellectuel un peu déphasé (...) ». « La superficialité, la légèreté de lecture que j’ai constatées chez la plupart des lecteurs ayant parcouru mes livres » le frappent (p. 10). Comme quoi il n’y a rien de nouveau sous le soleil, dix ans plus tard, en plein essor de connexion universelle à l’information... On lit mal, et on écrit mal également : le mot français « technologie » n’a rien à voir avec l’usage américain qu’on fait servilement du mot, souligne Ellul (p. 12) : « cela n’a rien à voir avec l’emploi d’une technique, parler de technologies informatiques pour désigner les emplois des techniques informatiques (...) c’est une imbécillité. Je sais que ma protestation est vaine en face de l’usage établi par une irréflexion généralisée, une ignorance collective, mais je tiens à justifier mon titre ! » (Lequel n’est pas Le bluff technicien). « Technologie », du grec « technè » et « logos », discours sur la technique. Toute technologie est philosophie. « La technologie constitue une branche de la philosophie morale, et non pas de la science », disait Paul Goodman. (1). Lorsque Eisenhower a dénoncé l’importance démesurée du 2 complexe militaro-industriel américain en 1960, on s’est immédiatement et comme naturellement demandé : Mais Ike est-il contre la Science ? Autre imbécillité ordinaire. Ce livre est si plein de bon sens et de clarté qu’on se demande pourquoi on n’a jamais lu ni entendu parler de tous ses propos. Pourquoi ne voit-on pas nulle part des idées aussi élémentaires (attention, pas simplistes) et lumineuses ? Ce qu’il y a de proprement révolutionnaire chez lui, c’est qu’il nous dit que penser la technologie, ce n’est pas seulement penser son usage et ses fins, mais c’est aussi penser sa logique, son pourquoi, et éventuellement la freiner dans son développement et sa mise en application. On n’a pas voulu d’un tel message. Il faut dire qu’Ellul a aussi beaucoup traité de religion et d’éthique dans ses quelque 40 ouvrages et 300 articles de revue publiés à ce jour. C’est pourquoi la force de caractère et la puissance intellectuelle de sa production sont incroyablement importantes pour nous aujourd’hui. On fera donc ici un résumé du livre qui essaiera de rendre justice à cette pensée riche et complexe. La table des matières se lit d’ailleurs comme une amorce presque littéraire de l’ouvrage, lequel est illustré de nombreux exemples concrets. En outre, la bibliographie est exceptionnelle ; on y trouvera de quoi méditer en profondeur avec de nombreux documents touchant aux manifestations de la technologie sous toutes ses formes. Le point de vue historique y est privilégié. Qu’est-ce que la technologie ? Thème philosophique de pensée de premier plan depuis Heidegger et Habermas, la technique s’est mutée en technologie, en discours, en communication et finalement en information. Tout ce qu’a prévu Ellul il y a 40 ans s’est confirmé à son sujet, comme à d’autres aussi (Chine et ex-URSS, entre autres). « (...) la technique apporte des produits extrêmement satisfaisants, ce que je n’ai jamais nié » (p. 9). D’être « opposé » à la technique « est aussi absurde que de dire qu’on est opposé à une avalanche de neige, ou à un cancer. C’est enfantin de dire qu’on est <contre la technique> ! » (p. 9). Les critiques d’Ellul n’ont cité que des parties de ses démonstrations, par exemple celles sur les effets positifs de certaines techniques. On a surtout oublié de le lire comme on devrait lire tout texte, critique ou pas, c’est-à-dire de façon symbolique, en allant chercher la substance symbolique du texte. Chez Ellul comme chez tous les penseurs quelque peu exigeants, cet aspect constitue l’essentiel : le second degré des choses. On est incapable de saisir cette lecture, et on croit résoudre la question, fermer les débats, en concluant « contre la technique ». L’Homme, comme le lecteur, est un être symbolique, qui essaie de voir au-delà de la réalité immédiate. Donc, définir la technologie, c’est la dépasser dans ses manifestations concrètes. La technique préexiste à la technologie, qui elle relève davantage d’un discours et d’une manifestation idéologique. La technique est porteuse de changement à la seule condition de s’accompagner de changements structuraux dans la société et son organisation socio-politique. Ellul rêve d’une autre évolution possible. À partir de 1978, ses projets d’écriture du Bluff ne cessent d’échouer : Ellul est dépassé par l’évolution de l’informatique, et d’autres exposent avant lui ses propres pensées dans leurs livres. « Pourtant, j’avais quand même l’impression que j’avais quelque chose à dire, différent des autres » (p. 11). Une hypothèse de base, énoncée dès 1978, semble gouverner le livre : l’informatique sert à résoudre les dysfonctionnements de la technique, du système technicien. Elle met de l’« intelligence » dans un système mécanique et automatique. C’est à partir de là qu’on doit comprendre la technique et ses impacts. La micro-informatique, en réduisant l’échelle du développement de l’informatique, produit un nouveau modèle de société, la société en réseau, et un discours social centré sur l’information et 3 l’espace. La technologie est une expérimentation sociale continue : elle peut aller jusqu’à la formation des habitudes, des pensées, voire des actions mêmes de l’Homme. La trilogie « Enjeu- Défi-Pari » fait alors son entrée. Elle moule le corps social, qui refuse la possibilité de l’erreur. La technologie est un jeu : quelle est notre mise ? Les règles sont celles de l’informatique, que l’on ne choisit pas, contrairement aux technologies précédentes, train, auto, avion, où un choix existe encore. L’informatique est un véhicule souverain, qui signifie croissance, bonheur et richesse. « Le Tiers-Monde pourra enfin « décoller », prendre enfin le bon chemin le la croissance à l’occidentale » (p. 27). Cependant, une constante immobile demeure : le progrès technologique ne porte que sur lui-même. Il est le progrès du Progrès. « Les innovations ne changent rien au système technicien antérieur » (p. 32). Mais l’innovation centrale est celle qui consiste à ne plus résoudre les conflits directement, et de contraindre l’économie ou la politique au cadre technique qui forme la technologie. « Car présenter à l’Homme l’image d’un mutant, d’un Kybert, le fait inévitablement réagir. C’est la banalité du quotidien qui le rassure. Et le génie technicien (non pas des techniciens !) est précisément de produire la banalité la plus rassurante et la plus innocente. C’est exactement cela que nous étudierons sous le nom de bluff technologique » (p. 35). Cet « encerclement par l’évidence » de la technologie favorise ceux à qui il rapporte le plus, soit les technocrates, qui n’exercent pas encore directement le pouvoir politique, mais qui imposent une dictature de la technologie pour gérer la société. Intellectuels néo-libéraux actuels, administrateurs, économistes, universitaires établis, journalistes tout aussi établis, sondeurs, publicistes, en font partie. Ils proposent uploads/Science et Technologie/ jacques-ellul-le-bluff-technologique.pdf
Documents similaires
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/7YM9Y6GMLHTGDSHOaMb57rfO3b90XoYTUF7wPUpPXttBtTWBX9hq9uxciQCuJoMwneQnMY0qbGB9Fh3O4QxMt6ql.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/z4GiGffdwrgacyvIi2ROCPvLC3KDy2Yfjm3A9JiThZEDcKA9XdW9XcN3cI5h2D64FUJ5rhPZowE953EY7DWxWWgz.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/QDmWKZUvkjRUFRSJOKMVLkqy2tZaKlhrhV2NfwQw5sfkcOYbIrUyBlS7GwB1zsEoGQtnDzR8lMwMxiq3wTHylWIy.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/1NJ9EOtOYPMxU9rlO5Ftu29T9aW3STeg1UuUjzmXYzk5A8faxHAKVMNx2yCz1k1Lm1h3blZKC9eAzMBIRXotDvvn.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/sRv4cxbOLYXIHjhK0pn9rgEdUF3EQyXYRbyM2G4UHJ5QZmuTj0GeEgBG9z9vN5DfqDqN0xURan5UxisixEJmiQzv.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/Z8zRgFybpXoAdNPQNDO5AyYtMi5NaSxZcFoziK9zgiwZmjJSg8DHE1WUAB8ZT9gd5R37gjOeHA1XOlSw38uegPzx.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/rPOOQPi1XcPtElxXFYU4LRXFiWuKPOkl6cLItufauB5oOogYd3ZZ7FVuDoouqFfK70Cb1EA2wTHWslhBAMFJrq28.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/cC3BEZcs4dGCxi0nHkS1aPDtjFspCLapclN3Zh1b3Mh5Xwe9NWeiaT1SyIEM1ERorqB4DbGyrv1GBZk2zOm3mT4t.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/4cVbbiKZ7RKLnZRK2jZhUDZJmjGoxXUhaWp5EJPPzqn6bTYyc1tTwGa17dLxwTleczbqc6Bfmx8noNdh4gXqwfFb.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/8iXAnzd0rqKWKNIA8wKQFhDS5X4Q6Paiy9inrpb7xqam78emePHGHFj4SldlGopepOgWbpjhasfWzdXNJcHAVEQl.png)
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 04, 2022
- Catégorie Science & technolo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2594MB