SCIENTISME ET SCIENCES SOCIALES Ouvrage du même auteur déjà paru dans la collec
SCIENTISME ET SCIENCES SOCIALES Ouvrage du même auteur déjà paru dans la collection Agora Prix et Production FRIEDRICH VON HAYEK SCIENTISME ET SCIENCES SOCIALES Essai sur le mauvais usage de la raison Traduit de l'anglais par RAYMOND BARRE PLON Initialement paru dans la collection « Recherches en Sciences humaines» dirigée par E. de Dampierre, l'essai présenté ici est tiré de Scientism and the study of Society (Glencoe, Illinois, The Free Press, 1952) La loi du II mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduc- tion, intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite» (alinéa 1 er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © 1953 by Librairie Plon ISBN: 2-86917-013-0 « Systems which have universally owed their origin to the lucubrations of those who were acquainted with one art, but ignorant of the other ; who therefore explained to themsel- ves the phenomena, in that which was strange to them, by those in that which was familiar ; and with whom, upon that account, the analogy, which in other writers gives occasion to a few ingenious similitudes, be- came the great hinge on which every thing tumed. » Adam SMITH, Essay on the History of Astronony. CHAPITRE PREMIER L'INFLUENCE DES SCIENCES DE LA NATURE SUR LES SCIENCES DE L'HOMME Au cours de son lent développement au XVIII' siè- cle et au début du XIX' siècle, l'étude des phénomè- nes économiques et sociaux fut essentiellement guidée dans le choix de ses méthodes par la nature des problèmes auxquels elle eut à faire face l • Des techniques adaptées à ces problèmes se développè- rent progressivement sans beaucoup de réflexion sur le caractère de ces méthodes ni sur leurs rela- tions avec celles des autres disciplines de la connaissance. Ceux qui s'adonnèrent à 1'étude de l'économie politique purent alternativement la dé- crire comme une branche de la science ou de la philosophie morale ou sociale sans éprouver le moindre scrupule sur la question de savoir si leur sujet était scientifique ou philosophique. Le terme de «science» n'avait pas encore acquis le 1. Ceci n'est pas universellement vrai. Les tentatives faites pour traiter à la manière scientiste les phénomènes sociaux, qui acquirent tellement d'influence au XIX" siècle, ne furent pas complètement absentes au XVIII". Il Y en a, au moins, d'impor- tants éléments dans l'œuvre de Montesquieu et des Physiocra- tes. Mais les grandes réussites du siècle dans la théorie des sciences sociales, les œuvres de Cantillon et de Hume, de Turgot et d'Adam Smith; en furent exemptes dans l'ensemble. 8 SCIENTISME ET SCIENCES SOCIALES sens spécial et étroit qu'il a aujourd'hui' ; aucune distinction non plus n'était faite, qui isolait les sciences physiques ou naturelles et leur conférait une dignité particulière. En fait, ceux qui se consa- crèrent à ces questions choisirent sans difficulté de parler de philosophie quand ils s'intéressèrent aux aspects les plus généraux des problèmes2 ; à l'occa- sion, une opposition se trouva même établie entre « philosophie naturelle» et « science morale ». Dans la première moitié du XIX' siècle, une nou- velle attitude se fit jour. Le terme de « science» fut de plus en plus restreint aux disciplines physiques et biologiques qui commencèrent au même moment à prétendre à une rigueur et à une certitude particu- lières qui les distingueraient de toutes les autres. Leur succès fut tel qu'elles en vinrent bientôt à exercer une extraordinaire fascination sur ceux qui travaillaient dans d'autres domaines; ils se mirent rapidement à imiter leur enseignement et leur voca- bulaire. Ainsi débuta la tyrannie que les méthodes et les techniques des Sciences3 au sens étroit du terme n'ont jamais cessé depuis lors d'exercer sur les autres disciplines. Celles-ci se soucièrent de plus 1. Le premier exemple de l'usage moderne et étroit du terme « science» donné dans le New English Dictionary de MURRAY ne date que de 1867. Mais T. MERZ, History of European Thought in the Nineteenth Century, 1896, I, p. 89, a probable- ment raison quand il suggère que le mot « science» a acquis son sens actuel au moment de la formation de la British Association for the Advancement of Science (1831). 2. Par exemple le New System of Chemical Philosophy de J. DALTON, 1809, la Philosophie zoologique de LAMARCK, 1809, et la Philosophie chimique de FOURCROY, 1806. 3. Nous utiliserons le terme Science avec une majuscule quand nous désirerons souligner que nous l'utilisons dans son sens moderne et étroit. INFLUENCE DES SCIENCES DE LA NATURE 9 en plus de revendiquer l'égalité de statut en mon- trant qu'elles adoptaient les mêmes méthodes que leurs sœurs dont la réussite était si brillante, au lieu d'adapter davantage leurs méthodes à leurs propres problèmes. Cette ambition d'imiter la Science dans ses méthodes plus que dans son esprit allait, pen- dant quelque cent vingt ans, dominer l'étude de l'homme, mais elle a dans ce temps à peine contri- bué à la connaissance des phénomènes sociaux ; elle continue cependant non seulement à dérouter et à discréditer les travaux des disciplines sociales, mais on présente encore toute demande de progrès nouveau dans cette direction comme la dernière innovation révolutionnaire capable de leur assurer - si on l'adoptait - une avance rapide et insoup- çonnée*. Signalons cependant immédiatement que ceux qui furent les plus ardents à présenter cette de- mande ont été rarement eux-mêmes des hommes qui enrichirent de façon notable notre connaissance scientifique. De François Bacon, le lord chancelier qui demeurera à jamais le prototype du « démago- * Il est peut-être bon de rappeler ici la position de Durk- heim : « La sociologie prit naissance à l'ombre de ces sciences [de la nature) ; et, en contact intime avec elles, elle attire dans sa propre sphère d'action toutes ces sciences sociales particu- lières qu'elle comprenait en principe et qui aujourd'hui se trouvent pénétrées d'un esprit nouveau. Il va de soi que, parmi les premiers sociologues, quelques-uns eurent le tort d'exagérer ce rapprochement au point de méconnaitre l'originalité des sciences sociales et l'autonomie dont elles doivent jouir à l'égard des autres sciences qui les ont précédées. Mais ces excès ne doivent pas faire oublier tout ce qu'il y a de fécond dans ces foyers principaux de la pensée scientifique. » Émile DURKHEIM, La sociologie et son domaine scientifique, 1900, reproduit dans Armand CUVILLlER, Où va la sociologie française?, Paris, Rivière, 1953, p. 206. (N.D.L.R.) 10 SCIENTISME ET SCIENCES SOCIALES gue de la science », comme on l'ajustement nommé, à Auguste Comte et aux « physicalistes » de notre temps, les déclarations sur la vertu exclusive des méthodes spécifiques utilisées par les sciences de la nature furent celles d'hommes dont le droit de parler au nom des savants n'était pas incontes- table et qui ont à la vérité montré dans les Sciences elles-mêmes autant de préjugés sectaires que dans leur attitude à l'égard d'autres questions. F. BACON s'opposait à l'astronomie copernicienne', COMTE enseignait qu'une seule minute d'obser- vation des phénomènes au moyen d'instruments comme le microscope était pernicieuse et devrait être supprimée par le pouvoir spirituel de la so- ciété positive; ces hommes ont été si souvent abusés dans leur propre domaine par une attitude dogmatique qu'il y a peu de raisons d'attacher trop de respect à leur opinion sur des problèmes encore plus éloignés des domaines où ils puisaient leur inspiration. Il y a pourtant une autre qualification que le lecteur doit garder présente à l'esprit dans la discus- sion qui va suivre. Les méthodes que les savants ou les hommes fascinés par les sciences de la nature ont si souvent essayé d'appliquer de force aux sciences de l'homme, n'ont pas toujours été néces- sairement celles que les savants suivaient en fait dans leur propre domaine, mais bien plutôt celles qu'ils croyaient utiliser. Ce n'est pas forcément la même chose. Le savant qui réfléchit sur sa démar- che et la met sous forme théorique n'est pas tou- l. Voir M. R. COHEN, «The Myth about Bacon and the Inductive Method », in Scientific Monthly, XXIII, 1926, p. 505. INFLUENCE DES SCIENCES DE LA NATURE Il jours un guide digne de confiance. Les opinions sur le caractère de la méthode scientifique ont suivi diverses modes pendant les dernières générations ; nous devons cependant admettre que les méthodes réellement suivies sont essentiellement restées les mêmes. Mais c'est ce que croyaient faire les savants, et même ce qu'ils avaient pensé un certain temps auparavant, qui a influencé les sciences de 1'homme ; aussi les commentaires qui suivent sur les méthodes des sciences de la nature ne préten- dent-ils pas être nécessairement un exposé exact de ce uploads/Science et Technologie/ scientisme-et-sciences-sociales-de-friedrich-von-hayek.pdf
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- Publié le Jui 18, 2021
- Catégorie Science & technolo...
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