Traduire Revue française de la traduction 227 | 2012 Éco, socio, philo… & co La

Traduire Revue française de la traduction 227 | 2012 Éco, socio, philo… & co La traduction en sciences sociales Alice Berrichi Édition électronique URL : http://traduire.revues.org/467 ISSN : 2272-9992 Éditeur Société française des traducteurs Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2012 Pagination : 16-28 ISSN : 0395-773X Référence électronique Alice Berrichi, « La traduction en sciences sociales », Traduire [En ligne], 227 | 2012, mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 31 octobre 2016. URL : http://traduire.revues.org/467 ; DOI : 10.4000/ traduire.467 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. 16 Traduire n° 227, décembre 2012 Avant-propos Avant toute chose, je tiens à apporter une précision d’ordre purement terminologique : pour des raisons de commodité, j’utiliserai indistinctement les termes « sciences humaines » et « sciences sociales ». En effet, un débat déjà ancien oppose deux tendances, l’une consistant à différencier ces deux concepts, l’autre à les assimiler comme synonymes ou quasi-syno- nymes. Toutefois, traditionnellement, on considère que les sciences humaines étudient l’homme en tant qu’individu, en tant que sujet (psychologie, certaines branches de la philosophie…) tandis que les sciences sociales étudient l’homme dans sa relation de groupe, les systèmes et les relations sociales. Outre la sociologie, sont alors classées dans cette seconde notion des disciplines comme l’histoire, la géographie, l’économie, l’anthropologie, les sciences politiques, l’archéologie… Cette distinction reste difficile à établir avec rigueur, car elle fait l’objet de nombreux débats aca- démiques. Les formations universitaires et la recherche évoluant, les frontières entre les deux semblent de plus en plus perméables ; ainsi, une grande partie des spécialistes définit les sciences humaines comme l’étude de l’homme et de ses actions, SEUL OU EN GROUPE, avec ses modes d’organisation, ses rapports… Il semble donc, de ce fait, que les deux concepts soient assimilés. Je souhaite brosser ici un aperçu de la situation actuelle de la traduction dans ce domaine bien spécifique, s’inscrivant en l’occurrence dans la sphère de l’édition. Il me semblait notamment essentiel d’aborder les questions suivantes et d’y apporter quelques éléments de réponse et perspectives : quel traducteur est le plus à même de traduire un ouvrage en sciences sociales ? Comment favoriser la circulation de ce type d’ouvrage entre les différents pays, en Europe notamment ? Quelles sont les principales difficultés que rencontre un traducteur œuvrant dans ce champ de recherche ? La traduction en sciences sociales Alice Berrichi 1. Quel traducteur pour les ouvrages en sciences sociales ? La problématique émergente dans le monde de la recherche en sciences humaines trouve sa source dans les questions suivantes : comment articuler la mondialisation du savoir et la pluralité des langues ? Comment assurer la circulation des idées en Europe ? Cette réflexion est à relier aux modes d’écriture et de transmission, aux particularismes culturels, aux enjeux économiques et sociaux. En 2009, à la suite d’une conférence internationale sur l’édition des sciences humaines dans l’Europe élargie, les Éditions de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) ont lancé un Manifeste à destination des différents gouvernements européens(1). Ce manifeste, intitulé « Pour une édition en sciences humaines réellement européenne », a été élaboré à l’initiative d’universitaires et d’éditeurs d’ouvrages en sciences sociales. La mission que se donne ce collectif consiste à « construire une Europe des savoirs et de la connaissance », promouvant un engagement scientifique commun et un partage des connaissances à l’échelle européenne. Le préambule du manifeste, tel que présenté le 16 juin 2009 à la Maison des sciences de l’homme à Paris, s’ouvre sur un extrait d’une lettre de Goethe de 1827 à son traducteur Thomas Carlyle : « Il faut considérer chaque traducteur comme un médiateur s’efforçant de promouvoir un échange intellectuel universel et se donnant pour tâche de faire progresser ce commerce généralisé. » De fait, les signataires du manifeste sont partis du constat suivant : l’élargissement déjà accompli et à venir de l’Union européenne n’a pas suffisamment nourri de réflexion sur la cir- culation des textes et des idées, et est resté une question politique et juridique. La diffusion des ouvrages en sciences sociales rencontre de nombreux obstacles et se répartit de manière particulièrement inégale d’une région à l’autre. Selon les signataires du manifeste, la première idée à transmettre aux institutions est la suivante : la traduction, gage d’une pluralité de pensée et vecteur de diffusion du savoir, est d’autant plus essentielle dans une perspective à l’échelle de l’Europe, caractérisée par le plurilinguisme ou le « co-linguisme ». Cette dernière notion est d’ailleurs à privilégier dans le cadre de la diffusion du savoir. En effet, le plurilinguisme implique des individus parlant plusieurs langues, tandis que le co-linguisme implique plusieurs langues en situation de cohabitation. Toute langue doit bénéficier du même degré de valorisation, d’une part, et être traduite pour faire circuler les textes et les idées, d’autre part. Deuxième idée : la traduction permet également de restituer ce savoir aux sociétés sur lesquelles on travaille, qui sont souvent privées des connaissances et des études menées sur La traduction en sciences sociales 17 Traduire n° 227, décembre 2012 (1) http://www.editions.ehess.fr/menu/international/manifeste-en-francais elles-mêmes par des observateurs extérieurs. On constate d’ailleurs une grande injustice dans l’univers de l’édition et donc de la traduction car, à l’échelle mondiale, cette dernière se fait net- tement plus dans le sens Nord-Sud et Ouest-Est que l’inverse. De nombreux pays d’Afrique sont pratiquement exclus des échanges internationaux et, à l’échelle de l’Europe, ce sont les pays du centre et de l’est qui sont défavorisés. Dans le domaine des sciences sociales, la traduction est donc un acte cognitif, et non unique- ment un acte de communication. Elle se doit d’enrichir l’œuvre originale et d’étendre son champ de réception. C’est également un acte d’écriture, comme pour les œuvres de fiction, ce qui justifie le statut de traducteur-auteur propre à l’édition. La qualité de la traduction est bien évidemment primordiale, car le texte circule sans son contexte et cela peut être une source d’innombrables malentendus. D’autant plus que l’inter- prétation d’un texte, même lorsque traduit par un traducteur-auteur de talent, dépend beau- coup du contexte de réception, des enjeux et des représentations propres à chaque nation. D’où la question suivante : quel traducteur pour quel texte ? Qui est capable de traduire un contenu s’inscrivant dans le champ de recherche des sciences humaines ? À l’heure actuelle, de nombreuses voix s’élèvent en faveur d’une intégration de la traduction à la formation des chercheurs. En effet, pour bon nombre d’universitaires, le fait de confier ce travail à des traducteurs professionnels non spécialistes n’est pas souhaitable. Est notamment avancé l’argument que de nombreuses traductions réalisées par des linguistes non spécia- listes du domaine sont extrêmement décevantes, les traducteurs passant alors fréquemment à côté de concepts et notions clés et ne saisissant pas réellement les tenants et aboutissants du sujet abordé par l’auteur. Par ailleurs, dans la mesure où les chercheurs en sciences sociales constituent la majeure partie de la demande en termes de publication de ce type d’ouvrage, ils sont la plupart du temps acteurs du processus de traduction : ils apportent eux-mêmes les projets à traduire et, dès lors qu’ils possèdent un double bagage impliquant une connaissance suffisante de la langue source, réalisent eux-mêmes la traduction des ouvrages en question. Toutefois, d’autres universitaires défendent la stratégie consistant à former un binôme entre traducteur et auteur, entre traducteur et chercheur spécialiste du domaine ou entre traducteur et auteur. Cette collaboration permet d’exploiter les compétences linguistiques d’un traduc- teur professionnel et les compétences théoriques d’un spécialiste. Ce fonctionnement assure au traducteur la réponse à ses doutes lorsqu’il s’agit de préciser la pensée de l’auteur et per- met de lever d’éventuelles ambiguïtés. Actuellement, la traduction en sciences sociales est souvent confiée à de jeunes chercheurs ou doctorants, pour des raisons à la fois économiques et de commodité, mais ce choix s’opère très souvent, malheureusement, au détriment de la qualité. Alice Berrichi 18 Traduire n° 227, décembre 2012 2. Comment faire circuler les textes ? Pour une politique européenne de soutien à la traduction La circulation des textes en Europe fait face à plusieurs obstacles. On constate en premier lieu des problèmes d’ordre financier. Tout d’abord, il convient de garder à l’esprit que, la plupart du temps, une traduction coûte plus cher à un éditeur que l’ouvrage original. Les petites maisons d’édition spécialisées en sciences humaines manquent cruellement de budget et dégagent des bénéfices assez faibles, tandis que les grandes maisons plus « généralistes », qui disposeraient du budget suffisant, n’ont pas ces disciplines comme prio- rités et les abandonnent souvent en raison de la rentabilité plus faible de ce type d’ouvrage. Les petites maisons d’édition ont besoin de subventions pour se maintenir ; en France, elles en reçoivent généralement du CNL (Centre national du livre), parfois des régions. Mais beau- coup éprouvent tout de même des difficultés à vivre de leur activité. La situation est pire dans de nombreux pays. Les pays du centre et de l’est de l’Europe notamment sont particulièrement défavorisés du fait d’une cruelle absence de financement. En termes d’« ex-traduction » uploads/Science et Technologie/ traduire-467.pdf

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