Marc Jacquemain – Appréhender la réalité sociale 1 APPREHENDER LA REALITE SOCIA
Marc Jacquemain – Appréhender la réalité sociale 1 APPREHENDER LA REALITE SOCIALE Syllabus de question approfondie de méthodologie 2014 Marc Jacquemain MASTER EN INGENIERIE ET ACTION SOCIALE Marc Jacquemain – Appréhender la réalité sociale 2 INTRODUCTION : LA PHILOSOPHIE GENERALE DU COURS Tous les étudiants issus du Master en ingénierie et action sociale ne seront pas amenés à réaliser ou diriger des recherches en sciences sociales. Par contre, la plupart des étudiants seront amenés, dans le cours de leur vie professionnelle, à utiliser des recherches réalisées par des spécialistes : qu’il s’agisse de recherches historiques, d’enquêtes, d’analyses anthropologiques, etc. Sans doute même aurez-vous parfois à commenter de telles recherches, quel que soit le domaine dans lequel vous travaillerez. Dans ces conditions, l’objectif du cours est double : - d’abord de rendre les étudiants, dans la mesure du possible, capables d’évaluer de telles recherches en portant un jugement plus ou moins informé sur leur méthodologie ; - ensuite de poser des jalons conceptuels en vue de préparer le terrain pour des cours plus techniques de méthodologie, à l’usage de ceux qui souhaiteraient aller plus loin et être en mesure de pratiquer eux-mêmes la recherche en sciences sociales. Autrement dit, je souhaite qu’à l’issue de ce cours les étudiants aient une bonne compréhension théorique de ce qu’est une recherche en sciences sociales. Il ne s’agira pas d’étudier des techniques de recherche mais de comprendre comment se formule une question, quels choix méthodologiques sont les plus opportuns pour tenter d’y apporter une réponse et en quoi consiste l’attitude scientifique de manière générale. Ce sont là les compétences que le cours de questions de méthode souhaite développer. L’apprentissage de ces compétences s’appuye surtout sur des exemples de recherches effectivement menées : quelles questions les chercheurs se sont-ils posé, comment y ont-ils répondu, qu’est-ce que la recherche leur a appris et qu’est-ce qui est resté hors de sa portée ? Il s’ensuite que les étudiants sont supposés capables de réexpliquer ces exemples et ce qu’ils nous disent sur la démarche de recherche impliquée. Il ne s’agit pas de retenir des dates, des chiffres ou de noms d’auteurs mais bien les grands mécanismes explicatifs présentés. Sur un plan pratique, maintenant, les présentes notes de cours ne font que préciser et formaliser la matière telle qu’elle résulte de l’exposé oral. Il n’y aura donc rien d’autre dans ces notes qu’une version écrite de ce qui aura été dit au cours. Cela étant, il faut s’entendre sur ce que veut dire « rien d’autre » dans ce contexte : Marc Jacquemain – Appréhender la réalité sociale 3 - un exposé oral et sa version écrite ne se comprennent pas toujours de la même façon, du simple fait que le « style parlé » et le « style écrit » diffèrent. L’écriture apporte une précision et une rigueur qui peut parfois donner l’impression à l’étudiant que ce qui est écrit est « plus compliqué » que ce qui a été dit au cours. Je pense qu’il n’en est rien. Simplement, le cours écrit apparaît parfois plus précis parce que le rédacteur peut vérifier une citation qu’il avait faite de mémoire au cours oral, ou parce qu’il peut repréciser une nuance sur laquelle il pense avoir « glissé » trop vite lors de l’exposé proprement dit. - Symétriquement, la présence au cours est franchement utile. Je serai parfois amené à proposer des exemples qui ne se trouvent pas dans le syllabus parce qu’ils sont inspirés de l’actualité. La matière du texte écrit pourra aussi être complétée par des schémas, des graphiques, des synthèses. Autant que possible, lorsque je dirai quelque chose qui n’est pas développé dans le syllabus, je ferai parvenir une note écrite aux étudiants. Mais un tel cours n’est évidemment pas fait pour être figé une fois pour toutes : il évolue petit à petit même si les grandes lignes sont conservées d’une année à l’autre. La meilleure formule pour étudier le cours est donc de lire une fois les notes dès que possible et de vérifier qu’elles sont bien comprises. En particulier, vous pourez profiter du cours pour poser toutes les questions qui vous paraîtraient utiles. Marc Jacquemain – Appréhender la réalité sociale 4 CHAPITRE I. LA DEMARCHE DES SCIENCES SOCIALES « Les sciences humaines sont-elles des sciences ? ». C’est une question qui est régulièrement posée des deux côtés de la frontière qui sépare sciences de la nature d’un côté et sciences humaines de l’autre. L’idée de «science », historiquement, s’est fondamentalement constituée dans le cadre de l’étude de la nature. La science moderne, rompant avec la tradition spéculative de la scolastique1 au moyen-âge, s’est donné comme objectif de «se rendre maître » de la nature en étudiant la manière dont elle est agencée (voir Galilée, Bacon, Descartes). A partir de là, s’est développé un idéal de «scientificité » dont Newton et Einstein représentent sans doute les exemples «paradigmatiques » : il s’agit d’observer les phénomènes naturels afin d’en déduire des régularités que l’on pourra représenter ensuite dans le langage des mathématiques. Ce modèle correspond très bien au développement de la physique et de la chimie moderne, un peu moins bien sans doute à l’émergence de la biologie, plus récente. Mais la physique reste encore aujourd’hui considérée par l’homme de la rue et par la grande majorité des scientifiques eux-mêmes comme la «discipline-reine », celle qui fournit le modèle idéal de toute connaissance scientifique. Si l’on suit ce modèle, alors, les sciences sociales ne sont pas des «sciences » sensu stricto, ne serait-ce que par leur difficulté à traduire leurs résultats en termes mathématiques2 ou par leur incapacité à «prédire » des événements particuliers (ce que la physique fait très bien, dans son domaine spécifique). Pourtant, on peut avoir le souci d’étudier les faits sociaux avec la même rigueur que l’on étudie les faits naturels : avec le même souci de vérification des données, avec la même volonté de construire des théories claires et vérifiables, avec le même désir de produire les explications les plus convaincantes possible et, in fine, avec le même désir de pouvoir agir sur la réalité. Ce souci de rigueur dans la vérification et de clarté dans l’explication ne pourra certainement jamais s’exprimer dans les mêmes types de théorie que la physique ou la biologie, mais ils témoignent de «l’unité d’intention » qui devrait animer l’ensemble du domaine scientifique. 1 Pou faire très simple, la scolastique était l’enseignement de la théologie et de la philosophie dans les universités du moyen-age. Un de ses plus célèbres représentants fut Saint Thomas d’Aquin. 2 A l’exception notable de la science économique, qui s’est constituée précisément sur le modèle de la physique et qui a construit un formalisme mathématique puissant. Par contre, elle est beaucoup plus fragile quant à sa capacité à prédire les phénomènes, preuve que la plus mathématique des sciences sociales reste quand même une science sociale. Marc Jacquemain – Appréhender la réalité sociale 5 Je précise que ce point de vue ne fait pas l’unanimité, ni dans les sciences sociales, ni dans les sciences de la nature : - certains praticiens des sciences de la nature (ou sciences «dures ») considèrent que les sciences sociales constituent une réalité aussi étrangère à leurs disciplines que la littérature ou la musique : des constructions culturelles intéressantes mais qui «usurpent » en quelque sorte le titre de sciences ; - certains praticiens de la sociologie, de l’anthropologie, de la psychologie, etc. assument ce point de vue en revendiquant au fond le statut de disciplines «littéraires » et en récusant que les méthodes des sciences «dures » puissent nous aider à comprendre la réalité sociale. Dans le cadre du cours, je partirai du présupposé qu’il y a bien un fond de démarche commune aux sciences de la nature et aux sciences sociales, qui est, d’une part, le souci de produire des énoncés rigoureux et aussi vérifiables que possibles, d’autre part d’articuler ces énoncés en théories explicatives convaincantes. Par contre, il me semble incontestable que les méthodes spécifiques – en particulier l’expérimentation et l’usage des mathématiques -, qui ont fait leurs preuves en physique, en chimie ou en biologie ne sont que très partiellement importables dans les sciences sociales, pour des raisons que je développerai brièvement plus loin. Il faut donc accepter que le mot «science » n’ait jamais en sociologie ou en anthropologie, par exemple, le contenu qu’il a dans les sciences dures3. Une fois admise cette « philosophie globale » des sciences sociales, un certain nombre de précisions s’imposent sur les caractéristiques de la démarche scientifique en général et des sciences sociales en particulier. 1. Jugements de valeur et jugements de réalité. La distinction entre jugements de valeurs et jugements de réalité est essentielle à toute réflexion sur la connaissance, mais elle n'est pas pour autant facile à définir en quelques mots. On porte un jugement de valeur lorsqu'on évalue une réalité en fonction d'une préférence, d'une norme morale ou esthétique, etc. On porte un jugement de réalité lorsqu'on essaie de décrire cette réalité telle qu'on uploads/Science et Technologie/apprehender-la-realite-sociale-questions-approfondies-de-methodologie.pdf
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- Publié le Fev 24, 2021
- Catégorie Science & technolo...
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