LA SCIENCE SA MÉTHODE ET SA PHILOSOPHIE Troisième édition révisée octobre 2001
LA SCIENCE SA MÉTHODE ET SA PHILOSOPHIE Troisième édition révisée octobre 2001 MARIO BUNGE Ce volume contient quatre essais tirés avec de légères modifications de l’œuvre de Mario Bunge: Metascientific Queries Springfield, III. Charles C. Thomas, 1959. Titre original en espagnol: La ciencia su método y su filosofía Traduction et glossaires Adam Herman Relecture Philippe Boukara La numérotation des pages de la première édition a été conservée pour l’œuvre de Bunge proprement dite, mais pas pour les ajouts de l’éditeur. Copyright éditions VIGDOR, 2001. ISBN: 2-910243-89-3 Publication communiquée au dépôt légal et à la BNF octobre 2001 Toute reproduction interdite TABLE DES MATIÈRES Couvertures Chapitre I: Qu’est-ce que la science? 1. Introduction. 2. Science formelle et science factuelle. 3. Inventaire des principales caractéristiques de la science factuelle. Chapitre II: Quelle est la méthode de la science? 1. La science, connaissance vérifiable. 2. Véracité et vérifiabilité. 3. Les propositions générales vérifiables: hypothèses scientifiques. 4. La méthode scientifique, ars inveniendi? 5. La méthode scientifique comme technique de questionnement et de mise à l’épreuve. 6. La méthode expérimentale. 7. Méthodes théoriques. 8. Sur quoi repose une hypothèse scientifique? 9. La science, technique et art. 10. Le modèle de la recherche scientifique. 11. Portée de la méthode scientifique. 12. La méthode scientifique, un dogme de plus? Chapitre III: Qu’est ce qu’une loi scientifique? 1. Quatre significations du terme “loi scientifique”. 2. Nomenclature proposée. 3. Illustration de ces distinctions. 4. Justification de la distinction entre lois et énoncés de lois. 5. Justification de la nécessité d’autres définitions. 6. Les lois scientifiques sont-elles nécessaires? 7. La causalité est-elle une propriété intrinsèque des lois? 8. Les idéaux de la science et les divers niveaux de signification du mot “loi”. Chapitre IV. Philosopher scientifiquement, aborder la science philosophiquement. 1. Philosophie et science. 2. Disciplines contiguës à l’épistémologie. 3. Sciences et humanités. 4. Les études épistémologiques dans la formation du chercheur. 5. L’apprentissage et l’enseignement de l’épistémologie. Bibliographie. œuvres de Bunge œuvres sur Bunge ouvrages de référence Glossaire Répertoire La présente édition. CHAPITRE I QU’EST-CE QUE LA SCIENCE? 1. Introduction. Alors que les animaux inférieurs se contentent d’être dans le monde, l’homme essaye de le comprendre; et, sur la base de sa compréhension imparfaite bien que perfectible, il tente de maîtriser ce monde pour le rendre plus confortable. Dans cette démarche, il construit un monde artificiel, à savoir ce corpus croissant d’idées, appelé “science”, que l’on peut caractériser comme connaissance rationnelle, systématique, exacte, vérifiable et, en conséquence, faillible. À travers la recherche scientifique, l’homme est parvenu à une reconstruction conceptuelle du monde qui est de plus en plus large, profonde et exacte 1. Un monde est donné à l’homme; sa grandeur n’est pas de supporter ou de mépriser ce monde, mais de l’enrichir au moyen de la construction d’autres univers. Il pétrit et remodèle la nature et la soumet à ses propres besoins; il construit la société et il est construit par elle; il tente ensuite de remodeler ce milieu artificiel pour l’adapter à ses propres besoins, biologiques et spirituels, ainsi qu’à ses rêves: il crée ainsi le monde des objets construits et le monde de la culture. La science en tant qu’activité – en tant que recherche – appartient à la vie sociale; lorsqu’on l’applique à l’amélioration de notre environnement culturel et artificiel, à l’invention et à la fabrication de biens matériels et culturels, la science devient technologie. Toutefois, la science nous apparaît comme la plus brillante et la plus étonnante des productions de la culture lorsque nous la considérons comme un bien en soi, c’est-à-dire comme un système d’idées – la connaissance scientifique – établies provisoirement et comme une activité -recherche scientifique – productrice de nouvelles idées. Nous allons essayer de caractériser la connaissance et la recherche scientifiques telles qu’on les connaît à l’heure actuelle. 2. Science formelle et science factuelle 2. Il y a des domaines de la recherche scientifique dont le but n’est pas de produire une connaissance objective. Ainsi, la logique et les mathématiques – c’est-à-dire les divers systèmes de logique formelle et les différentes branches des mathématiques pures – sont rationnelles, systématiques et vérifiables, mais elles ne sont pas objectives; elles ne nous donnent pas une information sur la réalité: tout simplement, elles ne s’occupent pas des faits. La logique et les mathématiques ont affaire à des entités idéales; ces entités, qu’elles soient abstraites ou interprétées, n’existent que dans l’esprit humain. Les logiciens et les mathématiciens n’ont pas à proprement parler d’objets d’étude: ils construisent leurs propres objets. Il est vrai que souvent ils y parviennent par abstraction à partir d’objets réels (naturels et sociaux); qui plus est, la tâche du logicien ou celle du mathématicien répond souvent aux attentes du naturaliste, du sociologue ou du technicien; c’est pour cela que la société les tolère et même, actuellement, les encourage. Mais la matière première qu’utilisent les logiciens et les mathématiciens n’est pas factuelle: elle est idéale. Par exemple, le concept de nombre abstrait est né sans doute de la coordination (c’est-à-dire de la correspondance biunivoque) d’ensembles d’objets matériels tels que des doigts ou des cailloux; mais ceci ne signifie pas qu’un tel concept se réduise à ces opérations manuelles, pas plus qu’aux signes dont nous nous servons pour les représenter. Les nombres n’ont pas d’existence en dehors de nos esprits et, même à l’intérieur de ceux-ci, ils existent sous forme conceptuelle et non pas physiologique. Les objets matériels peuvent être nombrés à condition d’être discontinus; mais ils ne sont pas des nombres tout comme leurs qualités et leurs relations ne sont pas non plus des nombres purs (c’est-à- dire abstraits). Dans le monde réel, nous trouvons 3 livres, dans le monde de la fiction, nous construisons 3 soucoupes volantes. Mais qui a jamais rencontré un 3, un simple 3? La logique et les mathématiques, en s’occupant d’inventer des objets formels et d’établir des rapports entre eux, sont souvent appelées sciences formelles précisément parce que leurs objets ne sont pas des choses ni des processus, mais, pour employer un langage imagé, des formes vides dans lesquelles nous pouvons verser une variété illimitée de contenus, aussi bien factuels qu’empiriques. Nous pouvons, autrement dit, établir des correspondances entre ces formes (ou objets formels), d’une part, et des choses ou processus appartenant à n’importe quel niveau de la réalité, d’autre part. C’est ainsi que la physique, la chimie, la physiologie, la psychologie, l’économie et les autres sciences font appel aux mathématiques, dont elles se servent comme outil pour accomplir une reconstruction très précise des rapports complexes que l’on trouve entre les faits et entre les divers aspects des faits; ces sciences n’identifient pas les formes idéales avec les objets concrets: elles interprètent les premières en termes de faits et d’expériences (ou, ce qui est équivalent, elles formalisent des énoncés factuels). Il en est de même pour la logique formelle: certains de ses aspects – en particulier, mais pas exclusivement, la logique propositionnelle bivalente – peuvent être mis en correspondance avec ces entités psychiques que l’on appelle des pensées. Une telle application des sciences de la forme pure à la compréhension du monde des faits est réalisée par l’attribution de différentes interprétations aux objets formels. Ces interprétations sont, dans certaines limites, arbitraires; c’est-à-dire qu’elles trouvent ou non leur justification dans leur succès, leur utilité ou leur échec. En d’autres termes, la signification factuelle ou empirique qu’on attribue aux objets formels n’est pas une propriété intrinsèque de ceux-ci. Les sciences formelles n’entrent donc jamais en conflit avec la réalité. Ainsi s’explique que paradoxalement elles sont, bien que formelles, “applicables” à la réalité: à proprement parler, elles ne s’y appliquent pas, mais elles sont employées dans la vie quotidienne et dans les sciences factuelles, à condition qu’on leur octroie des règles de correspondance adéquates. En somme, la logique et les mathématiques établissent un contact avec la réalité à travers le pont du langage, que celui-ci soit ordinaire ou scientifique. Nous sommes ainsi en présence d’une première grande division des sciences en sciences formelles (ou idéales) et sciences factuelles (ou matérielles). Cette distinction prend en compte l’objet ou le thème de chaque discipline; elle renvoie également à la différence de nature entre les énoncés que visent, respectivement, les sciences formelles et les sciences factuelles: alors que les énoncés formels consistent en des relations entre des signes, la plupart des énoncés des sciences factuelles se réfèrent à des entités extra-scientifiques, à savoir des événements et des processus. Notre division prend également en compte la méthode par laquelle on met à l’épreuve les énoncés vérifiables: alors que les sciences formelles se contentent de la logique pour démontrer rigoureusement leurs théorèmes (lesquels auraient pu cependant être devinés par simple induction ou encore par d’autres voies), les sciences factuelles demandent plus que la logique formelle: pour confirmer leurs conjectures, elles ont besoin d’autres éléments, en l’occurrence de l’observation et/ou de l’expérimentation. En d’autres termes, les sciences factuelles doivent examiner les choses et, lorsque c’est possible, essayer délibérément de modifier celles-ci pour tenter de découvrir dans quelle mesure les hypothèses s’adaptent aux faits. Lorsque l’on démontre uploads/Science et Technologie/la-science-sa-methode-et-sa-philosophie-pdf.pdf
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- Publié le Apv 13, 2021
- Catégorie Science & technolo...
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