Cœur et cocaïne JP Ollivier F Vayre J Monségu Résumé. – L’usage de la cocaïne c
Cœur et cocaïne JP Ollivier F Vayre J Monségu Résumé. – L’usage de la cocaïne connaît une expansion rapide du fait de facteurs concordants : disponibilité, qualité, baisse du prix, image socialement « positive », passant de cercles feutrés à l’espace visible de la rue, sous forme de poudre et de crack, en association habituelle avec d’autres toxiques : alcool, cannabis, amphétamines. Les conséquences cardiaques sont aiguës (ischémie, infarctus, troubles du rythme) et à long terme (hypertrophie, dilatation cavitaire). Leur traitement n’est pas codifié. L’inventaire toxicologique doit être conseillé dans les services d’urgence. © 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : cocaïne, ischémie myocardique, toxiques myocardiques. Introduction Isolée en 1859, anesthésique local depuis 1884, stimulant présent dans le Coca-Colat jusqu’en 1903, attachée à la figure emblématique de Sigmund Freud, la cocaïne n’est plus guère à nos yeux qu’un toxique. Elle trouve actuellement une expansion sans précédent en France, sur les espaces de consommation urbain et festif. L’autre fait nouveau, c’est la montée rapide du crack, forme fumée de la cocaïne. Point pratique pour le soignant, la consommation de cocaïne appelle l’adjonction de toxiques régulateurs : opiacés, alcool, cannabis. Les effets cardiovasculaires de la cocaïne, quasi ignorés du temps où l’usage était confiné à des cercles fermés, deviennent une réalité clinique tangible : devant une urgence cardiologique, l’item étiologique cocaïne doit aujourd’hui être coché. Consommation Elle est de connaissance indirecte, par enquêtes dans certaines populations, ou par le travail d’observatoires comme l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) [6]. Largement diffusée en milieu urbain, la cocaïne gagne depuis deux décennies, par le jeu de plusieurs facteurs. La cocaïne a été associée à une image rassurante de luxe, en milieu « branché », loin de la rue, sans gros risque, socialement flatteur, image déjà révisée par l’extension de la consommation mettant au jour la toxicité. Sa disponibilité augmentant depuis 2 ou 3 ans, la clientèle change : l’achat quitte les espaces feutrés d’initiés pour la rue, même si la consommation se fait en lieu clos. Le prix baisse, avec des différences notables entre villes françaises : de 800 à 1 200 F, le prix du gramme est tombé à Jean-Pierre Ollivier : Médecin des Hôpitaux, professeur au collège de médecine des Hôpitaux de Paris. Frédéric Vayre : Chef de clinique-assistant. Jacques Monségu : Médecin des Hôpitaux. Service de cardiologie, hôpital militaire du Val-de-Grâce, 74, boulevard de Port-Royal, 75230 Paris cedex 05, France. 500/600 F (mai 2000). L’organisation de la vente se modifie, attestée par une visibilité du petit trafic dans le domaine public sur la route de l’héroïne, et par la substitution à l’offre d’héroïne, de cocaïne. La qualité du produit français est élevée et régulière. Deux nouveaux types de consommateurs sont apparus : les jeunes familiers du cannabis et de l’ecstasy qui suivent une logique d’ascension sociale avec un produit cher et connoté « chic » ; les patients substitués à la méthadone et au Subutext pour qui la cocaïne est bien distincte de l’opiacé coutumier. Le rapport de l’OFDT conclut : « La cocaïne est placée sur le degré le plus élevé de l’échelle de diffusion parce que sa disponibilité s’est accrue de manière significative sur l’ensemble des sites, et qu’elle atteint des classes d’âge différentes, et des milieux socioculturels divers. » En France, le mode d’utilisation traditionnel par voie muqueuse nasale est en train d’évoluer très rapidement, le crack suivant le développement des pratiques festives. Pharmacocinétique La cocaïne, ester de l’acide benzoïque, se présente comme une poudre blanche, hydrosoluble, instable au chauffage. Celle-ci donne le « crack », précipité stable qui peut se fumer. Elle est détectée dans le plasma dès la troisième minute, avec un pic plasmatique en 30 à 60 minutes. Les voies veineuse et muqueuse oropharyngée sont les plus prisées. La principale voie métabolique de la cocaïne met en jeu des estérases plasmatiques et hépatiques donnant l’ecgonine méthylester et l’acide benzoïque. Une voie métabolique (oxydation hépatique, cytochrome P450) explique l’interaction avec les inducteurs enzymatiques. Cette voie est importante qui produit la norcocaïne, seul métabolite actif et, d’autre part, les métabolites toxiques. La toxicité, essentiellement hépatique, est majorée par le déficit en pseudocholinestérases, la voie oxydative devenant prépondérante [1]. Les métabolites, présents dans les urines 60 heures après administration, le sont encore 5 jours plus tard chez le Encyclopédie Médico-Chirurgicale 11-070-A-20 11-070-A-20 Toute référence à cet article doit porter la mention : Ollivier JP, Vayre F et Monségu J. Cœur et cocaïne. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Cardiologie, 11-070-A-20, 2001, 3 p. nouveau-né, à capacité métabolique inférieure. La cocaïne, comme l’héroïne, est identifiée dans les cheveux plusieurs semaines après administration, ce qui permet de dater la prise [4]. Pharmacodynamie L’effet anesthésique est dû à un blocage des canaux sodiques. La fixation aux protéines membranaires est réversible, voltage dépendante et favorisée par la dépolarisation. Le blocage au niveau cardiaque entrave la genèse du potentiel d’action, diminue son amplitude, diminue la vitesse de conduction et augmente la période réfractaire. L’effet inotrope négatif est masqué par l’action sympathomimétique. La stimulation du système nerveux sympathique se fait par activation centrale directe, avec inhibition du recaptage des catécholamines au niveau des terminaisons présynaptiques. L’effet sur le système nerveux central est électrique par diminution de la conduction et chimique par libération de dopamine, d’acétylcholine, de sérotonine. Ceci entraîne troubles psychiques et crises convulsives. L’augmentation du flux calcique membranaire est de l’effet sur les muscles lisses vasculaires, de l’inhibition de la monoamine-oxydase et une bronchodilatation. Ces effets sont brutaux, probablement en raison de la grande liposolubilité de la cocaïne qui favorise sa diffusion dans le système nerveux central. Ainsi, les effets sont-ils d’autant plus marqués que la variation de concentration plasmatique est brutale. La concentration en elle-même est d’une importance moindre [8]. Les polyintoxications sont fréquentes. Clinique En France, morbidité et mortalité directement provoquées par la cocaïne restent incertaines du fait de l’absence de registre, d’une sous-estimation de l’usage par les soignants et surtout de la polyconsommation. Sur 16 décès sous drogues répertoriés par l’Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS) [5] en 1999, la cocaïne est présente 13 fois, quatre fois seule, huit fois associée (héroïne, alcool, médicaments, ecstasy). Autre indicateur, les structures d’assistance dites de bas seuil voient désormais des recours dus à la cocaïne. La mortalité liée à la consommation de cocaïne s’est accrue de 90 % aux États-Unis au cours des années 1980. Les manifestations de la prise sont psychiques (exaltation, désinhibition, suivies de dysphorie, anhédonie), neurologiques (mydriase, tremblements, convulsions), respiratoires (tachypnée, œdème pulmonaire, pneumothorax) et cardiovasculaires : elles font la gravité de cette intoxication [2]. En 1982, l’association infarctus du myocarde et cocaïne semble établie. Elle entraîne l’augmentation du travail myocardique et des besoins en oxygène (O2) et la diminution des apports par spasme et/ou occlusion coronaire [7]. Chez le cocaïnomane, l’infarctus se produit généralement en l’absence de facteurs de risque et sur des artères coronaires angiographiquement saines. L’épaississement pariétal des coronaires, l’hyperagrégabilité plaquettaire, l’action sur l’hémostase par effet direct d’une part, la stimulation sympathomimétique (tachycardie, vasoconstriction, hypertension artérielle) d’autre part, expliquent les lésions myocardiques ischémiques. L’infarctus est essentiellement observé chez l’homme (83 %) jeune, sans antécédents cardiovasculaires (68 %), consommateur chronique de cocaïne (95 %) par voie nasale (65 %). Chez 45 cocaïnomanes de longue date présentant des précordialgies, la tomoscintigraphie myocardique s’est révélée anormale dans 19 cas [3]. Des manifestations autres que l’ischémie ont été rapportées [8], comme l’hypertrophie ventriculaire gauche par hyperstimulation alpha-adrénergique directe et/ou par épisodes hypertensifs, faisant le lit de l’ischémie, des troubles du rythme et de la mort subite ; les cardiomyopathies dilatées d’origine composite : ischémique, infectieuse, immunoallergique ou polytoxique (cocaïne/alcool) ; les troubles du rythme ventriculaire ; des bradycardies par stimulation parasympathique, des dissections aortiques, plus récemment coronaires. La présentation clinique cardiologique peut être compliquée d’autres éléments. L’activité musculaire convulsive peut conduire à une rigidité qui, associée à une hyperthermie centrale et à une rhabdomyolyse, peut en imposer pour une hyperthermie maligne. D’autres complications sont liées à la voie de pénétration du toxique. Le « sniff », mode habituel de consommation, est responsable de la perte de l’odorat, d’atrophie de la muqueuse nasale, voire de nécrose du septum nasal. L’injection intraveineuse de cocaïne peut entraîner, par cytotoxicité directe, une ischémie par vasoconstriction locale, des ecchymoses parfois centrées par une zone pâle, voire, plus rarement, de véritables ulcérations cutanées. Prise en charge d’une intoxication aiguë La prise en charge de ce type de patient se conçoit, compte tenu des complications possibles et du contexte spécifique, dans une structure si possible adaptée. Le degré de qualité de la cocaïne disponible en France est plutôt élevé. Le vrai problème est celui des composés de la prise polytoxique qui doit être abordée comme la pratique usuelle : opiacés, alcool, benzodiazépines, méthaqualone, cannabis [6]. Le contexte social n’est pas celui de l’urgence usuelle : désinsertion, arrière-plan psychologique ou psychiatrique, pénalisation, délinquance. Dès la prise en charge, les procédures de protection des soignants à l’égard des contaminations par les virus de uploads/Sante/ coeur-et-cocaine.pdf
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- Publié le Jui 16, 2021
- Catégorie Health / Santé
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