FRÉDÉRIC-GAËL THEURIAU LA MÉDECINE NARRATIVE DANS LES NOUVELLES HUMANITÉS MÉDIC

FRÉDÉRIC-GAËL THEURIAU LA MÉDECINE NARRATIVE DANS LES NOUVELLES HUMANITÉS MÉDICALES Dialectique du médecin, de la maladie et du malade LA MÉDECINE NARRATIVE DANS LES NOUVELLES HUMANITÉS MÉDICALES Dialectique du médecin, de la maladie et du malade L’ORIZZONTE Collana fondata e diretta da Giovanni Dotoli, Encarnación Medina Arjona, Mario Selvaggio www.lorizzonte.fr 48 FRÉDÉRIC-GAËL THEURIAU LA MÉDECINE NARRATIVE DANS LES NOUVELLES HUMANITÉS MÉDICALES Dialectique du médecin, de la maladie et du malade En couverture Dessin anonyme, in Jean-Yves Nau, « Empathie, pratique de la médecine et épuisement professionnel », Revue médicale suisse, Chêne-Bourg, éd. Médecine et Hygiène, n°469, vol. 11, 8 avril 2015, p. 839 © AGA Arti Grafiche Alberobello 70011 Alberobello (I - Ba) Contrada Popoleto, nc - tél. 00390804322044 www.editriceaga.it - info@editriceaga.it ISBN 978-88-9355-104-5 © L’HARMATTAN, 2019 5-7 rue de l’École-Polytechnique 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN 978-2-343-17005-3 INTRODUCTION GÉNÉRALE SYSTÈME MÉDICAL TRIFONCTIONNEL DU MONDE INDO-EUROPÉEN 9 Un grand nombre des sociétés actuelles repose sur des fondements associés au chiffre trois. Cela concerne environ la moitié de la population mondiale qui parle des langues ayant des liens de parenté du point de vue de leur système linguistique issu du monde indo-européen. Ce fut Franz Bopp1 qui, le premier, perçut une correspondance entre plu- sieurs langues anciennes qu’il étudiait2. Grâce à une méthode de comparaison innovante qu’il mit au point au début du XIXe siècle, il constitua une sorte d’arbre généalogique lin- guistique, persuadé d’une origine commune à de nombreuses langues. Ses conclusions pas toujours fiables furent affinées par Jacob Grimm3, August Schleicher4, Karl Verner5 et Fer- 1 Louis-Jean Calvet, « Bopp Franz (1791-1867) », Encyclopae- dia universalis, Thesaurus, vol. 1, 2008, p. 678-679. 2 Franz Bopp, Über das Konjugationssystem der Sanskritspra- che in Vergleichung mit jenem der griechischen, lateinischen, per- sischen und germanischen Sprache (Le Système de conjugaison du sanskrit comparé avec celui des langues grecque, latine, persane et germanique, etc.), s.l., 1816. 3 Le linguiste allemand mit en place des règles de phonétique historique en 1822. 4 Le linguiste allemand travailla, entre 1848 et 1868, à la re- constitution d’une langue indo-européenne dont l’origine serait an- térieure à la différenciation qui s’opéra pour aboutir à la diversité des langues connues aujourd’hui. 10 dinand de Saussure6 pour conclure sur l’établissement d’une langue mère reconstituée hypothétiquement sous le nom d’Indo-Européen7. Or, un langage, quel qu’il soit, est forcé- ment associé à des pratiques culturelles. C’est sur cette idée qu’au début du XXe siècle Georges Dumézil mit en évidence la récurrence fonctionnelle du chiffre trois8, dans les sociétés archaïques situées entre le IVe et le IIe millénaire avant notre ère, qui constitue en fait le « cadre social des Indo- Européens »9 que reprirent les sociétés antiques, médiévales et modernes. De même que le génome est inscrit dans chacune des cel- lules vivantes permettant une lecture du code génétique spé- cifique, de même les mots contiennent, dans leur signifiant, certaines traces référentielles originelles. Il existe peu de données concernant les approches médicales à l’époque ar- chaïque en raison de l’absence de traces écrites. Cependant la linguistique permet d’aborder le sujet en comparant plu- sieurs langues anciennes comportant des mots avec la racine proche de « med- »10. Émile Benveniste, qui a travaillé sur 5 Le linguiste danois compléta, en 1875, les règles de la phoné- tique historique de Grimm permettant d’expliquer les irrégularités constatées. 6 Le linguiste suisse s’attaqua à la linguistique indo-européenne et générale à partir de 1879. 7 Le terme Indo-European fut inventé par le Docteur Thomas Young en 1813. 8 Georges Dumézil, Heur et malheur du guerrier, Paris, PUF, 1969. 9 Frédéric-Gaël Theuriau, « Le « Blanc » dans la Queste del Saint Graal », Le Blanc en littérature, Paris, Bucarest, Jérusalem, EST-Samuel Tastet, 2006, p. 19. 10 En grec : μέδω (médo). En latin : meditari, mederi. En gal- lois : meddwl. En anglais : metan/mete. En arménien միտ (mit). 11 les langues indo-européennes, établit, en ce domaine, une magistrale analyse démontrant que le langage comporte les signes d’activités médicales ancestrales raisonnées11. La di- vision en trois types de pratiques serait la preuve d’une ma- nifestation réflexive autour du sujet médical avant même la tradition hippocratique marquée par une première véritable évolution de la pensée médicale. Ainsi, dès l’époque ar- chaïque, soigner par le « couteau » (chirurgie), les « plantes » (pharmacie) et les « charmes »12 (médecine) per- mettait d’établir « à une situation troublée un plan détail- lé »13. La première division pourrait se traduire par des soins prodigués grâce à des instruments et le deuxième par des médications. Quant au dernier, il suggère l’usage de la pa- role, ce que la médecine narrative soutient depuis une ving- taine d’années. Andrea Carlino, qui effectua un travail de re- cherche sur les fondements humanistes de la médecine, dé- montra parfaitement les présences de l’ « association ances- trale entre médecine et parole », de la « compétence spéci- fique de la maîtrise des mots » et d’un « métier […] bâti sur des textes [et au] profil intellectuel et [au] statut social […] En sanskit : मस्ति (masti). En ombrien : meřs. En osque : meddiss. En gothique : mitan. En germanique : mezzan/messen, etc. 11 Andrea Carlino, « Les fondements humanistes de la méde- cine : rhétorique et anatomie à Padoue vers 1540 », in Andrea Car- lino et Alexandre Wenger (dir.), Littérature et médecine : Ap- proches et perspectives (XVIe-XIXe siècles), Genève, Droz, 2007, p. 19-47. 12 Émile Benveniste, « La doctrine médicale des Indo- Européens », Revue de l’histoire des religions, Paris, t. 130, 1945, p. 7. 13 Ibid., p. 6. 12 comparables à ceux du philosophe, voire de l’érudit et du philologue »14. Un second tournant renouvelant la pensée médicale amor- cé vers le XIIe siècle pourrait se situer à l’époque Préroman- tique en ce qui concerne le modèle médical dit « paterna- liste », héritage médiéval, en train de s’effriter lentement pour adopter un modèle plus « délibératif »15, relançant sur la scène des débats la question des relations médecins- malades. À l’heure actuelle où la médecine est une préoccu- pation de plus en plus populaire et portée à la connaissance de tous, du moins dans ses grandes lignes, que peut apporter la médecine narrative dans les nouvelles humanités médi- cales, notamment en matière de dialectique du médecin, de la maladie et du malade, afin de mieux prendre en charge le malade dans sa dimension humaine, donc d’un point de vue anthropologique également ? Deux axes majeurs permettent de proposer une avancée. D’abord un parcours théorique de la médecine narrative ex- pliquant ses enjeux essentiels. Ensuite une portée plus pra- tique de la discipline par une mise en récit du vécu du ma- lade. 14 Andrea Carlino, art. cit., p. 20. 15 Frédéric-Gaël Theuriau, Pierre-Fidèle Bretonneau : À l’origine du renouvellement de la pensée médicale du XIXe siècle, Bari (Italie)-Paris, AGA-Le Nouvel Athanor, 2017, p. 16-17. CHAPITRE PREMIER APPROCHE THÉORIQUE DE LA MÉDECINE NARRATIVE 15 1. Perspective diachronique La perspective générale diachronique, théorisée par Fer- dinand de Saussure16, permet avant tout de rendre compte de l’évolution d’un objet d’étude, en l’occurrence la médecine narrative, dans le temps. Ainsi l’exploration des idées médi- cales permet-elle de reconstituer, de retracer et de dater, pas à pas, l’émergence du phénomène, certes apparu récemment dans l’histoire de la médecine mais dont les racines nourri- cières sont bien plus anciennes. La « maladie », transmis- sible ou non17, doit se comprendre dans le sens générique d’ « [a]ltération plus ou moins profonde et durable de la san- té »18, ce qui regroupe près de quinze mille pathologies ré- parties, selon l’International Classification of Diseases, en vingt-deux catégories où se trouvent, entre autres, aussi bien les infections, les troubles que les fractures19. 16 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale (1916). 17 Les maladies transmissibles sont virales, bactériologiques, infectieuses... Les non transmissibles sont d’ordres chroniques, cancéreuses, cardiaques, musculaires, diabétiques… 18 Dictionnaire de l’Académie française, « Maladie », 9e édi- tion, tome 2, Paris, Arthème Fayard – Imprimerie nationale Édi- tions, 2000, p. 579. 19 Voir la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, volume 1, table analytique, Lyon, Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, 16 Mais qui dit maladie dit médecin et surtout « malade », c’est-à-dire un être de chair et de sang « [q]ui éprouve, qui souffre »20, et que la médecine narrative place au sommet du triangle médecin-maladie-malade au centre duquel s’articule le relationnel. C’est pourquoi le philosophe Philippe Barrier précise, à raison, que c’est surtout « la relation qui doit être « au centre », c’est-à-dire au cœur de toutes les préoccupa- tions : la relation thérapeutique […]. C’est de la relation que l’on doit prendre soin. […] il faut soigner la relation théra- peutique »21. En effet, au cours du temps, la place de l’Homme fut oubliée au profit de l’aspect purement méca- nique du corps et de ses réactions perçus par une instance parfois un peu trop distante et rapide dans ses rapports avec les malades, comme c’est le uploads/Sante/ la-medecine-narrative-pdf 1 .pdf

  • 14
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Mar 10, 2021
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.7696MB