Les aliments de la mitochondrie Pr Anne-Marie Roussel, Professeur à l’Universit

Les aliments de la mitochondrie Pr Anne-Marie Roussel, Professeur à l’Université Joseph Fourier, Grenoble, France. anne-marie.roussel@ujf-grenoble.fr la lettre de l’Institut Européen de Physionutrition et dePhytothérapie numéro 16 L’adénosine triphosphate ou ATP est le produit central du métabolisme énergétique de nos cellules, constamment régénéré par la chaine respiratoire mitochondriale. Une seule cellule est équipée d’environ un milliard de molécules d’ATP , qui sont hydrolysées plusieurs milliers de fois par jour. La quantité d’ATP dont un être humain a besoin pour vivre est impressionnante. Un adulte sédentaire de 70 kg requiert environ 8400 kJ (2000 kcal) pour un jour d’activité. Pour fournir tant d’énergie, il faut 83 kg d’ATP !! Cependant nous n’en possédons qu’environ 250 g. La disparité entre l’ATP dont nous avons quotidiennement besoin et l’ATP dont nous disposons est résolue par le recyclage de l’ADP , qui est rephosphorylé en ATP . Ce recyclage est réalisé au cours de la phosphorylation oxydative, aboutissement de toute une série de transformations énergétiques, et qui s’effectue dans nos mitochondries. La mitochondrie a inventé il y a 1,6 milliards d’année un système biochimique étonnant qui utilise les propriétés de l’oxygène, au départ toxique : la respiration cellulaire. Ainsi, alors que dans le cytoplasme, l’oxydation du glucose en pyruvate génère seulement 2 ATP , dans la mitochondrie, au cours du cycle de Krebs, celle du pyruvate produit 36 ATP , multipliant ainsi le rendement par 18. Nos mitochondries apparaissent ainsi comme la source de notre énergie et le cœur de la vie. Le fonctionnement mitochondrial est complexe, et les mitochondries sont vulnérables, en particulier au vieillissement, aux pathologies oxydatives, et à certains facteurs environnementaux tels que le stress ou les erreurs alimentaires. Au cours de la dernière décennie, les recherches en Nutrition dans ce domaine se sont accélérées, et plusieurs composés bioactifs, présents dans nos aliments, ont été décrits comme facteurs de prévention des dysfonctions mitochondriales et de leurs conséquences. Dans cette revue, après avoir brièvement rappelé le rôle essentiel de la mitochondrie dans la vie cellulaire et la production d’énergie, nous présenterons les études récentes qui ont permis de mettre en évidence l’intérêt de plusieurs composés nutritionnels pour le maintien et l’optimisation de la fonction mitochondriale. Introduction : Mitochondries et énergie Localisation et structure Les mitochondries sont présentes dans chacune de nos cellules, qui contiennent en moyenne 1500 mitochondries (Figure 1). Elles sont impliquées dans toutes les fonctions de l’organisme, dont le fonctionnement cardiaque, neuronal, la contraction musculaire, la détoxification hépatique, l’intégrité cutanée…On en dénombre ainsi 1000 à 1600 dans un hépatocyte, mais il y en a, par exemple, trois fois plus dans un ovocyte. Ce sont des organites ovales qui contiennent l’ensemble de la chaîne respiratoire, les enzymes du cycle de Krebs et celles de l’oxydation des acides gras ainsi que leur propre ADN. Entourées de deux membranes, interne repliée en crêtes et externe qui sont séparées par l’espace inter membranaire, elles entretiennent des relations fonctionnelles et échangent avec le cytosol, le réticulum endoplasmique, le cytosquelette et le noyau. La matrice mitochondriale, délimitée par la membrane interne, est le siège des réactions d’oxydations métaboliques, alors que la phosphorylation oxydative s’effectue dans la membrane interne dont les plis fournissent de nombreux sites de phosphorylation. La chaîne respiratoire et la production d’énergie Les mitochondries fabriquent l’ATP, réserve universelle d’énergie, à partir de l’oxydation des nutriments au cours de la phosphorylation oxydative dans la chaîne respiratoire (Figure 2). La phosphorylation oxydative est simple dans son concept, mais complexe dans son mécanisme. La chaîne respiratoire est constituée, dans la membrane interne de la mitochondrie, d’une série de complexes protéiques qui vont assurer le transport du pouvoir réducteur issu de l’oxydation des nutriments (glycolyse et cycle de Krebs, beta oxydation des acides gras). Les électrons qui proviennent des réactions d’oxydation sont transportés par des transporteurs redox (NAD, FAD, succinate) et transférés aux complexes de la chaîne respiratoire en direction de l’oxygène pour le réduire en eau. Au cours du trajet, les électrons abandonnent leur énergie à travers la membrane interne de la mitochondrie. Ce gradient de proton s’écoule de l’espace inter membranaire vers la matrice mitochondriale par un canal de la membrane interne, et permet la formation d’ATP à partir d’ADP en présence de l’ATP synthase. Comprendre la fonction mitochondriale 4 Figure 2 : Fonctionnement de la chaîne respiratoire Figure 1 : Fonction de la mitochondrie dans la cellule Les autres fonctions importantes de la mitochondrie Nos mitochondries participent également - à la thermogénèse (l’énergie est libérée sous forme de chaleur et non d’énergie). - à la synthèse du cholestérol et aux métabolismes hormonaux qui en dépendent (synthèse de testostérone, œstrogènes, DHEA, cortisol). - à la régulation de l’apoptose via le relargage dans le cytoplasme du cytochrome C, de la protéine BCL2 et l’activation des caspases. - à la régulation calcique (la capacité de rétention calcique permet la mesure de la perméabilité du pore de transition mitochondrial). La mitochondrie, source et cible des radicaux libres de l’oxygène Les mitochondries sont des sources physiologiques d’espèces radicalaires générées par la réduction monovalente de l’oxygène (Figure 3). Deux sites de production sont identifiés dans la chaîne respiratoire au niveau du complexe I et au niveau du complexe III (Dikalov, 2011). Au cours du vieillissement, cette production augmente, et si elle n’est pas contrôlée, conduit à des dommages oxydatifs mitochondriaux qui vont altérer le fonctionnement de la mitochondrie. La vulnérabilité des mitochondries au stress oxydant, et les dysfonctionnements mitochondriaux, augmentent significativement avec l’âge, et vont aggraver les risques de maladies neurodégénératives, de fibromyalgies, de diabètes et de cancers. Les ADN mitochondriaux, les protéines des complexes, les lipides des crêtes, sont des cibles de stress oxydant. Ainsi, la faible activité du complexe I dans la maladie de Parkinson serait due à un dommage oxydatif. La perte des fonctions mitochondriales au cours de la sénescence s’accompagne de changements morphologiques tels que raréfaction du nombre des mitochondries, raccourcissement des crêtes, perte de densité, et altérations du fonctionnement des complexes (Shigenaga et al., 1994). Dysfonctionnement mitochondrial et pathologies associées L’altération de la mitochondrie s’accompagne d’une baisse de l’activité des complexes de la chaîne respiratoire et de celle de l’activité des enzymes mitochondriales antioxydantes. Le ralentissement des métabolismes, et la baisse du rendement énergétique qu’elle induit, associés à une augmentation du stress oxydant et de l’inflammation, vont augmenter l’incidence de pathologies telles que le syndrome de fatigue chronique, les fibromyalgies et, au cours du vieillissement, la sarcopénie, les maladies neurodégénératives, les cancers, l’athérosclérose et les maladies cardiovasculaires. 5 Figure 3 : Mitochondrie et radicaux libres 6 La nutrition peut améliorer le fonctionnement mitochondrial selon plusieurs mécanismes : - en stimulant les métabolismes intra mitochondriaux et la production d’ATP (Acétylcarnitine, Magnésium, Vitamines B, Taurine). - en renforçant les défenses antioxydantes (Sélénium, Vitamine E, Vitamine C, Manganèse). - en protégeant les complexes de la chaîne respiratoire et les structures mitochondriales (Resvératrol, Coenzyme Q10, Acide lipoïque, Glutathion et N-acétylcystéine). Les activateurs de la production d’énergie Le magnésium : Le magnésium sert de cofacteur à toutes les réactions auxquelles l’ATP participe. Les apports moyens en magnésium sont en France inférieurs aux apports recommandés pour 70 % des hommes et 75 % des femmes (Etude SUVIMAX). Les effets biologiques (stress oxydant, inflammation) et énergétiques (baisse de production et d’utilisation de l’ATP) des déficits d’apport en magnésium, aggravés par l’âge et le surpoids, entraînent un ralentissement du fonctionnement de la mitochondrie, qui engendre baisse d’énergie et fatigabilité. Les vitamines du groupe B : Les vitamines B sont les cofacteurs des réactions métaboliques intra mitochondriales qui produisent de l’énergie. Les déficits en vitamines B sont fréquents dans la population. Ils sont dus à des apports bas dans les régimes occidentaux, et sont aggravés, chez le sujet vieillissant par l’altération des récepteurs entérocytaires des vitamines B9 et B12, et une baisse de l’absorption intestinale (médications anti acides et l’atrophie gastrique). La taurine : Aminoacide semi-essentiel, non incorporé dans les protéines, la taurine (NH2-CH2-CH2-SO3H) est un dérivé sulfoné de la cystéine. Présente dans la mitochondrie, la taurine pourrait agir via plusieurs mécanismes (Hansen et al, 2010; Jong et al, 2011) en : - stimulant le transport mitochondrial des électrons, - protégeant la mitochondrie d’un excès de production d’ions superoxyde, - activant l’acylCoA déshydrogénase et l’oxydation des acides gras, - régulant les flux calciques et diminuant les dommages mitochondriaux induits par le glutamate. Chez l’homme, la supplémentation en taurine augmente la force musculaire, diminue le temps de récupération, et réduit le stress oxydant pendant un exercice prolongé (Goodman et al, 2009). Chez des patients cardiaques, à capacité physique réduite, dans une étude randomisée en double aveugle, la supplémentation a significativement amélioré les tests de tolérance à l’effort (Beyranvand et al, 2011). Les dangers potentiels liés à la consommation de taurine, présente dans des boissons énergétiques prisées par les adolescents, sont décrits pour des apports supérieurs à 3 g/j, associés à la consommation d’alcool (Bigard X, 2010 ; Shao et Hathcock, 2008). L’acétylcarnitine : L’acétylcarnitine intervient dans l’entrée des acides gras dans la mitochondrie, et permet ainsi leur oxydation. Elle augmente également la respiration cellulaire, et accroît uploads/Sante/ lettre-iepp-n16-mitochondrie-v2-01-2016.pdf

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  • Publié le Sep 22, 2022
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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