Moi, jeune médecin généraliste, je ne m’installerai pas Madame la ministre, Je
Moi, jeune médecin généraliste, je ne m’installerai pas Madame la ministre, Je suis un jeune médecin généraliste, remplaçant depuis 2 ans, et récemment thésé. En toute logique c’est le moment pour moi de m’installer, et pourtant je ne le ferai pas. Je suis lassé d’entendre de pseudo-experts parler en mon nom, alors qu’ils ne reflètent pas ma pensée. Voici donc ma voix, écho de milliers de jeunes généralistes qui fuient l’installation chaque année (90% des internes de médecine générale ne s’installent pas au sortir de l’internat). Je prends la plume pour vous exposer clairement les raisons du mal-être des généralistes, résultat de l’aveuglement des gouvernements successifs qui ont précipité la France dans une crise sanitaire sévère. Je veux croire que l’arrivée du nouveau gouvernement dont vous faites partie, et qui prône le renouveau du monde politique, améliorera enfin la situation des médecins, et donc des patients et de l’accès aux soins. -Tout d’abord, l’humiliation tarifaire dont ma spécialité fait l’objet. 25 euros (au plus bas de l’échelle européenne ; moyenne du tarif chez un médecin généraliste en Europe=45 euros, c’est-à- dire le tarif qui devrait être le nôtre en toute légitimité aujourd’hui, si il avait simplement suivi l’inflation) pour soigner, écouter, prendre soin, soulager, sauver des vies, être au contact quotidien de la douleur, de la mort, de la souffrance, être l’élément clé du système de soins français, avec toutes les responsabilités et compétences que cela implique, c’est inacceptable. Situation d’ailleurs triplement humiliante ; en effet, non seulement il est anormal qu’à BAC+9, deux concours hyper sélectifs, 6 ans d’exploitation dans les hôpitaux français entre l’externat et l’internat (où l’Etat économise d’ailleurs 80000 euros par généraliste formé), le sacrifice de toute vie personnelle durant toutes ces années bien souvent au détriment de ma propre santé, mes honoraires soient aussi faibles. Mais aussi, compte tenu de mon statut de spécialiste, que je perçoive un revenu plusieurs fois inférieur à celui d’un cardiologue, d’un ophtalmo, d’un radiologue (…); cette discrimination tarifaire me donne le sentiment d’être un médecin de seconde classe, et participe grandement à la morosité ambiante. Et enfin, subir la désinformation éhontée qui tente de manipuler l’opinion publique en essayant de lui faire croire «qu’en réalité, ma consultation est à 35 euros, si on prend en compte ROSP/Majorations/forfaits…», alors que ça ne correspond en rien à la réalité, c’est très stigmatisant. Revalorisez nettement ma consultation de médecin généraliste. (Les moyens existent sans que les patients ni l’Etat aient à en subir le moindre coût; les mutuelles font des milliards de bénéfices tous les ans…) -Ensuite, le matraquage fiscal dont je fais l’objet. Cela rejoint le point précédant; en effet, je suis à la fois le moins bien rémunéré, mais aussi le plus taxé d’Europe. 65% de mon chiffre d’affaire disparait chaque mois, entre les impôts, cotisations, contributions, charges, taxes, URSSAF, CARMF etc… il y en tellement qu’on ne sait même plus quel nom leur donner. Par conséquent, sur 25 euros brut, il m’en reste environ 10 net! Je n’accepte pas de travailler les 2/3 du mois pour la gloire. Allégez cette fiscalité écrasante. -De plus, le harcèlement administratif que je subis n’est pas tolérable. Chaque semaine, je dois travailler de nombreuses heures, bénévolement, pour faire un travail qui revient, par définition, à l’administration ! Je ne suis ni formé ni d’accord pour effectuer ce travail chronophage, qui ne m’incombe pas. Et je ne peux même pas déléguer cela à une secrétaire, je n’ai pas les moyens d’en embaucher une. Résoudre ce point est fondamental, pour rendre des heures de soins au médecin, et donc à la population. En outre, l’infantilisation et le « flicage » des ARS et de la Sécurité Sociale sont devenus insupportables. Je ne suis pas leur employé. Il y a longtemps, et par humanisme, les médecins ont accepté « la convention » afin que tous les français puissent se soigner. Je refuse que ce système aujourd’hui me brime, me sanctionne, me « tienne en laisse » avec la ROSP, me paye une fois sur 2 sur les « tiers-payants » en fonction de son bon vouloir, me fasse perdre ma liberté de décision en m’obligeant à prescrire certains produits plutôt que d’autres, parfois même contre mon gré, et contre l’intérêt du patient selon mon expertise. Je suis médecin, je connais les recommandations, je sais guérir, je suis le Soin ; je n’accepterai jamais de me faire dicter ma pratique par des bureaucrates étrangers à la médecine, guidés uniquement par des objectifs comptables. Eradiquez cette surcharge administrative, et replacez les médecins au centre de la santé et de ses décisions. -Enfin, L’image de mon métier a été gravement dégradée. Je ne peux plus accepter le «doc- bashing », les légendes urbaines, souvent entendues de la part d’une frange de la population de plus en plus procédurière et vindicative, soutenue dans le dénigrement par les gouvernements successifs qui nous ont discrédités afin de mieux faire passer leurs réformes (le dernier exemple en date étant le Tiers-Payant-Généralisé, pur produit dogmatique et idéologique, qui finira d’achever les quelques médecins généralistes courageux qui sont encore sur le terrain). -Non, il n’y a rien d’indécent à dénoncer le mal-être de ma profession. Ce n’est pas parce que je suis médecin que je n’en ai pas le droit. Au même titre que tous les autres citoyens français, je peux exposer ma souffrance, et espérer une qualité de vie en corrélation avec mes attentes. Le tabou du médecin invincible, qui ne tombe jamais malade et n’a pas le droit de se plaindre, a fait son temps. -Non, le serment d’Hippocrate ne sous-entend pas que faire Médecine est un sacerdoce, et que je doive sacrifier ma vie sur l’autel de la médecine et des patients ; ma santé, ma vie, mes attentes, sont tout aussi importantes et légitimes que celles de ces derniers. -Non, l’Etat ne m’a pas payé mes études, en tout cas pas plus qu’aux collégiens, lycéens, ou tout autres étudiants universitaires. J’ai payé mon inscription à la Faculté chaque année, payé tous mes livres et fournitures, et je le rappelle, travaillé 6 ans en quasi bénévolat dans les hôpitaux français, où, si on m’a versé 1 euros, je l’ai remboursé 1000 fois. J’ai même dû, comme beaucoup de mes collègues, avoir un «petit job » à côté, pour alléger la honte de toujours être à la charge de mes parents a 25 ans! Je ne dois donc aucun « service à la Nation », je ne suis redevable envers personne. -Non je ne suis pas un « nanti ». Je travaille plus de 60h par semaine, je fais des gardes de nuit et de week-end, je n’ai pas de congés payés, j’ai 90 jours de carence (donc aucun revenus si je tombe malade, ce qui rend ma situation très précaire), je conduis la même « citadine » depuis 15 ans, je n’ai pas pris de vacances depuis 1 an et demi, je n’ai pas le temps de prendre soin de ma femme ni de voir grandir mes enfants... -Non je ne suis pas responsable des déserts médicaux. Le responsable, c’est l’Etat ! Vous désirez que j’y aille ? Alors que l’Etat commence d’abord par réinvestir ces localités lui-même! Qui accepterait d’aller dans un endroit où il n’y a plus de services publics, pas de travail pour son conjoint, pas de commerces ou de facilités, pas d’école pour ses enfants etc? Les habitants et maires de ces territoires sacrifiés par l’Etat sont les victimes de multiples politiques territoriales désastreuses, dont moi, médecin, je ne suis pas coupable. Alors non, je n’irai pas dans ces déserts, malgré les MSP, qui resteront désespérément vides, et les incitations financières ridicules. Entendre d’ailleurs de la part des politiques que « tout est fait pour rendre les déserts attractifs » est non seulement un mensonge aux populations de ces localités abandonnées, mais également une insulte envers les médecins. La médisance s’est aujourd’hui bien trop souvent substituée à la reconnaissance, au simple merci. Je suis médecin, je prends soin des gens, de leurs vies. Je fais, à mon sens, le plus beau et le plus indispensable métier du monde, et je veux pouvoir le faire dans la dignité. Je n’ai pas choisi cette voie pour subir le discrédit, mais pour être épanoui, soigner et guérir. Redonnez nous la fierté d’exercer notre métier. -Pour conclure, je vous ai entendu dire, Madame le Ministre, « que vous penserez d’abord aux patients». C’est louable, mais malheureusement, au sortir de 5 ans de mépris par Madame Touraine, c’est un mauvais message pour la profession. Les soignants, et les généralistes en particulier, sont à bout de souffle. 1 sur 2 est en burn out, ils se suicident 2.5 fois plus que la population générale. Beaucoup « déplaquent » ou partent en retraite anticipée, sans aucun successeur. Certains se tournent (souvent à contre cœur) vers le salariat, recherchant au moins le confort des 35h et des avantages sociaux. D’autres s’expatrient à la recherche d’une meilleure reconnaissance de leur métier et de leurs compétences. Le risque uploads/Sante/ moi-jeune-generaliste-je-ne-m-x27-installerai-pas.pdf
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- Publié le Jan 21, 2021
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
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