861 RDSS Septembre - Octobre 2021 - F - Le besoin d’affection ou de spiritualit

861 RDSS Septembre - Octobre 2021 - F - Le besoin d’affection ou de spiritualité en santé comme visiter une personne malade en établissement de santé ou une personne, âgée ou handicapée, hébergée en établissement médico-social 1 1 pour lui porter témoignage de cette affection ou lui apporter un réconfort spirituel sont- ils un droit des « usagers » de santé ? Question ravivée par la crise sanitaire et certaines critiques émises - à en croire beaucoup de témoignages - d’une forme de manque d’humanité. L’ affection (sentiments d’amour, mais aussi d’amitié ou de compassion pour l’être humain) est une occurrence absente au code de la santé publique (CSP) 2 2 et au code de l’action sociale et des familles (CASF) 3 3 . Le droit positif aurait-il le cœur sec ? ( 1 ) Patient ou résident dans la suite de l’étude. ( 2 ) Contrairement au sens médical de « maladie ». ( 3 ) Sauf mentions au CASF, art. L. 112-3 et L. 112-4, sans rapport ici. Mots clés | MALADE – Patient – Etablissement de santé – Résident – Etablissement médico-social – Droit de visite – Aumônerie – Accompagnement – Devoir humanitaire – Fraternité Le droit de la santé fait-il place à l’affection amicale ou spirituelle, comme le droit de visiter une personne malade en établissement de santé ou une personne hébergée en établissement médico-social ? Les aumôneries sont reconnues depuis 1905, l’accompagnement associatif bénévole depuis 2002. Le « droit » de visite des malades ou résidents ressort plutôt d’une « police » des visites remontant à 1899. La pauvreté normative de ce droit au « bien-être affectif et spirituel » est patente, comme la crise sanitaire l’a révélée. Une reconnaissance justifiée ne fera pas l’économie de la loi. Son fondement est à rechercher dans le principe constitutionnel de fraternité comme dans l’expression d’un devoir humanitaire dont le médecin serait le garant. Christophe Eoche-Duval Conseiller d’État Bien-être affectif et spirituel en droit de la santé La santé publique Droits des malades DROIT DE LA SANTÉ 862 La santé publique DROIT DE LA SANTÉ Septembre - Octobre 2021 RDSS - F - La spiritualité n’apparait pas mieux prise en compte par ces deux codes 4 4 . Les besoins d’ordre spirituel 5 5 d’un patient ne sont pourtant pas à éluder. Les anglo- saxons ont étudié les rapports entre maladies et « détresses spirituelles » 6 6 . Ce besoin n’est pas nié, par principe, par d’autres codes ou lois sous notre Répu- blique laïque. Ainsi, le Code de procédure pénale reconnaît aux personnes détenues une « vie spirituelle », consacrant un droit à « l’assistance spirituelle » 7 7 . Les personnels de la défense et militaires de la gendarmerie nationale jouissent du droit à un « soutien religieux » 8 8 . Pourquoi cette différence ? Affection, spiritualité, visites rompant l’isolement ne seraient-ils pas facteurs psycholo- giques de retour à bonne santé ? Le « visiteur », appartenant au cercle familial, amical ou missionné (aumôniers, bénévoles associatifs), est souvent pour la personne recluse en établissements « fermés » (centres hospitaliers, maisons de retraite…) le seul médiateur entre elle et l’expression de son besoin affectif ou spirituel. Le professionnalisme et l’abné- gation des personnels de santé ne rem- placeront jamais l’affection d’un proche, ni non plus l’écoute bienveillante d’un conseiller spirituel. Le droit de visite des personnes prises en charge en établisse- ment de santé ou médico-social apparait relativement discret au CSP et même absent du CASF. Cette nouvelle lacune tranche avec le niveau normatif reconnu à d’autres droits de visite : conventions internationales ou loi. Citons le droit de visite aux personnes privées de liberté, blessées et malades dans le cadre de situations de conflits armés, octroyé aux représentants du CICR par les grandes Conventions de Genève (1949), ou l’af- firmation d’un droit de visite dont béné- ficient toute personne détenue 9 9 . Ces paradoxes de traitements normatifs iné- gaux interrogent. Voyons comment le droit de la santé appréhende un droit à la prise en compte du besoin affectif ou spirituel et à son médiateur, le « visiteur », qu’on appel- lera mise en œuvre de la dimension de « bien-être », et comment ce droit à un bien-être, affectif ou spirituel, est oppo- sable en secteur de la santé, particu- lièrement à l’aune de la crise sanitaire. Face aux lacunes et difficultés d’appli- cation rencontrées, on se demandera s’il ne faut pas ériger ce droit à un bien-être affectif ou spirituel en devoir humani- taire sous responsabilité médicale. I - Existe-t-il un droit à un bien-être affectif ou spirituel en droit de la santé ? Le « bien-être » humain (défini comme la disposition agréable au corps non séparé de l’esprit) semble, contraire- ment au « bien-être animal » 10 10 , moins présent en droit positif, sans être tota- lement absent du CSP 11 11 ou du CASF 12 12 . ( 4 ) V. CSP, art. L. 3211-3 (personne atteinte de troubles mentaux) et CSP, art. R. 1112-46. ( 5 ) Notion plus large que le besoin religieux. ( 6 ) V. A.B. Astrow, C.M. Puchalski et D.P. Sulmasy, Religion, Spirituality, and Health Care : Social, Ethical, and Practical Considerations, The American Journal of Medicine, vol. 110, March 2001, p. 283-287. ( 7 ) C. pr. pén., art. R. 57-9-7 et D. 439-3. ( 8 ) D. n o 2008-1524 du 30 déc. 2008 relatif aux aumôniers militaires, art. 2. ( 9 ) L. pénit. n o 2009-1436 du 24 nov. 2009, art. 35 ; M. Bruggeman, Visites familiales en prison : du nécessaire équi- libre entre la défense de l’ordre et le droit au respect de la vie familiale, Dr. fam. 2012. 18. ( 10 ) 48 résultats pour le « bien-être animal » : v. Légifrance. ( 11 ) Par ex. CSP, art. R. 3224-10, citant le « bien-être mental » parmi les objectifs du « projet territorial de santé mentale » ; assez proche, art. L. 1431-2 : « développement de la bientraitance ». ( 12 ) Par ex. CASF, art. L. 322-4, citant le « bien-être des personnes hébergées ». 863 RDSS Septembre - Octobre 2021 - F - La santé publique DROIT DE LA SANTÉ Ce n’est pourtant pas une incongruité médicale. Dès 1946, pour l’OMS, « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de mala- die ou d’infirmité » 13 13 . De son côté, l’OIT en a compris, dès 1970, la nécessité pour certains travailleurs reclus, tels les gens de mer 14 14 . Le fait d’être reclus (ici le navire, mais c’est vrai pour l’hôpital, la maison de retraite…) accentue les risques liés à la solitude, sociale mais aussi affective, conviviale, spirituelle… Pourtant, aucun texte international rela- tif aux « droits » des patients n’a décliné après 1946 les besoins affectifs et spi- rituels des patients ou leur droit à des visites 15 15 . En soft law , l’OMS reconnait néanmoins aux autorités religieuses « un soutien pastoral et spirituel lors de situations d’urgence sanitaire » 16 16 . Tout en appelant à une plus grande consé- cration internationale, tournons-nous vers le droit national qui prend trois modalités, et examinons les conditions d’effectivité. A - Les trois modalités de prise en compte des besoins affectifs, spirituels et de visites en secteur de santé en droit national La dimension affective ou spirituelle des besoins d’un patient ou résident est traitée dans notre droit de la santé sous trois modalités, peu coordonnées entre elles. 1 - Un droit, ancien mais lacunaire, à l’assistance d’une aumônerie L ’alinéa 1 er de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 fonde l’exigence de services d’aumônerie, consacrant une existence pluriséculaire : « pourront tou- tefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’au- mônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établisse- ments publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ». Sur ce seul fondement, ténu et jamais repris au CSP, mais solennel et certainement supra-législatif, est bâti depuis 1905 le droit à recourir aux services d’aumône- ries de cinq cultes. Encore est-il limité aux établissements publics, de santé ou médico-sociaux 17 17 . 2 - Un droit, plus récent, à l’assistance d’un accompa- gnement associatif La loi n o 2002-303 du 4 mars 2002 a introduit un nouvel acteur. Selon l’ar- ticle L. 1112-5 du CSP, les établis- sements « facilitent l’intervention des associations de bénévoles qui peuvent apporter un soutien à toute personne accueillie dans l’établissement, à sa demande ou avec son accord ». La même loi a introduit un acteur associa- tif « spécialisé » dans l’accompagne- ment de la fin de vie, période particuliè- ( 13 ) Constitution de l’OMS, Conférence internationale de la Santé, New York, 1946. ( 14 ) Recommandation sur le bien-être des gens de mer, 1970 ; Convention n o 163 sur le bien-être des uploads/Sante/ rdss05-10droit-de-la-sante-eoche-duval.pdf

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  • Publié le Jul 29, 2021
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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