La physique quantique, 100 ans de questions Thierry Masson Chargé de Recherche

La physique quantique, 100 ans de questions Thierry Masson Chargé de Recherche au CNRS 10 mars 2004 1.Qu’est-ce que la physique quantique ? La physique quantique est née en 1900 lorsque le physicien allemand Max Planck publie les résultats de ses recherches sur le rayonnement du corps noir. Dans cet article, il introduit une nouvelle constante fondamentale de la physique qu’il désigne par h, qu’on nomme aujourd’hui la constante de Planck. L’irruption d’une nouvelle constante fondamentale en physique est toujours le signe d’un grand changement, et dans ce cas, on peut parler de révolution. Toute la repré- sentation que les physiciens (et plus tard les chimistes) avaient alors de la nature allait se trouver complètement changée : nouveaux re- gards sur les phénomènes physiques, nouveaux outils mathématiques, et bien plus encore, nou- velle compréhension de la nature. 100 ans après ces premiers travaux, la physique quantique n’a pas encore livré tous ses secrets. L’un d’eux, ce- lui qui a le plus diffusé dans le grand public, concerne son interprétation. L’objet de cet ar- ticle est de rappeler ce qu’est aujourd’hui la phy- sique quantique, de montrer ce qu’elle a de sur- prenant, et d’essayer de faire un état des lieux des récents travaux sur son interprétation (dans une seconde partie). 1.1.Les limites de la physique clas- sique La physique classique a régné en maître de- puis que le physicien anglais Isaac Newton en a énoncé ses fondements. Trois siècles de dévelop- pements mathématiques en ont fait une théorie et un cadre quasi universel à la fin du XIXème siècle. À l’origine développée pour modéliser la gravitation (aussi bien sur Terre que dans le système solaire), elle s’est enrichie au XIXème siècle de l’apport de l’électromagnétisme. Cette physique (aujourd’hui encore valable !) est ca- pable d’expliquer le mouvement des planètes du système solaire, le mouvement d’objets chargés dans un champ électrique et/ou magnétique, le comportement des fluides les plus courants (eau, air, . . .). Les équations de Maxwell de l’électro- magnétisme (1855) ont unifiés le magnétisme et l’électricité. À la fin du XIXème siècle, les ondes électromagnétiques (dont la lumière fait par- tie) s’apprêtent à entrer de plein pied dans l’ère technologique, avec les bouleversements qu’on connaît aujourd’hui. La lumière est alors consi- dérée comme une onde. C’est le point de vue na- turel issu de la théorie de Maxwell. Grâce aux travaux de Maxwell et Boltzman sur la méca- nique statistique (étude du comportement col- lectif de nombreux objets identiques), qui utilise elle-même la mécanique classique, la thermody- namique (la science de l’industrie du XIXème siècle, qui a accompagné entre autres la nais- sance des machines à vapeur) repose désormais sur des fondations solides. La structure intime de la matière commence à être explorée, avec la découverte en 1897 par Thomson de l’électron. Une théorie complète de l’interaction de l’élec- tron et des ondes électromagnétiques est alors proposée par Lorentz. Par la suite, grâce à des expériences convaincantes (mouvement Brow- nien par exemple1), l’existence des atomes et des molécules est admise comme une réalité. Rutherford parvient même à explorer l’intérieur d’un atome en 1911, et en donne une image mo- derne. Alors, pourquoi la physique quantique ? La ré- ponse est simple : il restait à la fin du XIXème siècle quelques expériences inexplicables dans le cadre de la physique classique. Il faut noter qu’un de ces problèmes conduira à une autre révolution de la physique du début du XXème siècle, la relativité restreinte, puis à son exten- sion, la relativité générale, qui est une théorie 1Le mouvement Brownien est le mouvement erratique que décrit par exemple un grain de pollen dans l’eau à la suite des chocs qu’il subit de la part des molécules d’eau. 1 de la gravitation compatible avec la relativité restreinte : c’est là une autre histoire ! On peut résumer les échecs (qui nous intéressent présen- tement) de la physique classique à la fin du XIXème siècle à trois problèmes : 1. Le « rayonnement du corps noir. » Sous ce nom obscur se cache un problème issu tout droit de la thermodynamique. Il est bien connu qu’un objet dont on élève la température change de couleur (un mor- ceau de métal vire du noir au rouge, puis au blanc si on le chauffe). Le problème du rayonnement du « corps noir » est la modé- lisation idéalisée de cette expérience. Elle consiste à essayer de comprendre les carac- téristiques du rayonnement électromagné- tique qu’émet un tel corps « idéal » à une température donnée. Concrètement, un tel corps noir est bien approximé par ce qui se passe dans un four fermé. Expérimen- talement, il a été possible de mesurer la répartition de l’énergie électromagnétique dans un tel four en fonction de la longueur d’onde électromagnétique. Cette courbe ex- périmentale n’a jamais pu être reproduite par un modèle reposant sur la mécanique statistique de Maxwell-Boltzman. 2. L’effet « photoélectrique. » On peut éjec- ter des électrons d’une plaque de métal en le « bombardant » d’ondes électromagné- tiques (lumière ultra-violette). Le modèle classique prévoyait que la quantité d’élec- trons (et leur vitesse en sortant du mé- tal) soit uniquement reliée à l’intensité de l’onde électromagnétique. En effet, dans la théorie classique, l’énergie d’une onde élec- tromagnétique ne dépend que de cette in- tensité. Or, expérimentalement, on observe l’éjection d’électrons seulement si le rayon- nement électromagnétique a une longueur d’onde plus petite qu’une certaine valeur de seuil. De plus, si la longueur d’onde est plus petite que cette valeur de seuil, on peut ob- server l’éjection d’électrons quelle que soit l’intensité de ce rayonnement ! 3. Le « spectre atomique. » Les atomes (iso- lés) émettent ou absorbent la lumière (et les ondes électromagnétiques en général) seulement pour certaines longueurs d’ondes très particulières. Cet ensemble de valeurs, qu’on appelle le spectre de l’atome (ou « raies spectrales »), ne peut pas être ex- pliqué par la physique classique. On remarquera que ces trois situations font apparaitre à la fois la matière (le four, la plaque de métal, l’atome) et la lumière (ou plus gé- néralement les ondes électromagnétiques). C’est dans le cadre de cette interaction que la phy- sique quantique s’est révélée expérimentalement en premier. Un autre problème de grande am- pleur n’est pas évoqué ici, la radioactivité, dé- couverte en 1896. Cette énigme ne sera pas un guide pour la construction de la physique quan- tique. Elle ne sera pleinement expliquée que bien plus tard, en utilisant à la fois la physique quan- tique, la relativité restreinte et la théorie des particules élémentaires. 1.2.La genèse de la physique quan- tique Le problème du corps noir est le premier à être en partie expliqué en 1900 par Max Planck, dans l’article évoqué plus haut. Pour cela, il est contraint d’introduire une nouvelle constante physique, h, très petite dans les unités « cou- rantes » des physiciens. Cette petitesse explique en partie pourquoi cette constante n’avait pas été remarquée plus tôt. En utilisant h, Planck parvient à reproduire la courbe expérimentale de la distribution d’énergie électromagnétique du corps noir en fonction de la longueur d’onde. À l’origine, h est un paramètre ajusté à la main pour reproduire exactement cette courbe (dont la forme mathématique est donnée par avance par Planck, en utilisant des travaux anté- rieurs et des hypothèses nouvelles). Il faudra at- tendre quelques années encore pour comprendre la vraie signification de cette constante. Cette explication repose sur une hypothèse d’Albert Einstein émise en 1905, qui lui permet d’expliquer l’effet photoélectrique : la lumière (et toute onde électromagnétique) est consti- tuée de « grains » d’énergie. L’énergie d’un grain est inversement proportionnelle à la longueur d’onde électromagnétique, et proportionnelle à la constante h. Ce « quantum » d’énergie sera baptisé plus tard photon. Le mot « quantique » lui-même vient de cette hypothèse. Il faut bien comprendre ici l’apport d’Einstein par rapport à celui de Planck. Dans son explication du rayon- nement du corps noir, Planck suppose que les interactions du rayonnement et de la matière se font par quanta d’énergie. Einstein va plus loin : la lumière est constituée de quanta d’énergie ! Cette hypothèse d’Einstein sera vérifiée expéri- mentalement autrement en 1924 dans l’« effet 2 Compton, » dans lequel le photon interagit di- rectement avec un seul électron. L’explication de l’effet photoélectrique est alors simple compte tenu de cette hypothèse. Un électron n’est éjecté du métal que s’il reçoit assez d’énergie de l’onde électromagnétique. Or cette énergie n’est don- née que « grain » par « grain » (les photons), et dépend de la longueur d’onde. Donc il existe un seuil au delà duquel le photon est suffisamment énergétique. Quant à l’intensité (au sens clas- sique) de l’onde, elle est reliée à la quantité de photons. Même avec un seul photon (intensité très faible), il est possible d’éjecter un électron. À partir de 1913, Niels Bohr utilise ce principe de quantification de la lumière pour construire un modèle de l’atome, qui permet d’expliquer les principales propriétés des raies spectrales. Son modèle de uploads/Sante/ thierry-masson-la-physique-quantique-100-ans-de-questions.pdf

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  • Publié le Fev 16, 2022
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