LETTRE OUVERTE à Madame Agnès BUZYN, Ministre des solidarités et de la santé. N
LETTRE OUVERTE à Madame Agnès BUZYN, Ministre des solidarités et de la santé. Non au déremboursement des médicaments symptomatiques de la maladie d’Alzheimer. Le 4 juin 2018 Madame la Ministre, C’est en tant que médecins spécialistes des maladies neuro-dégénératives, et notamment de la maladie d’Alzheimer, de la maladie de Parkinson et des maladies apparentées (telle que la maladie à corps de Lewy), que nous vous écrivons afin de vous exprimer notre désarroi devant votre décision de procéder au déremboursement des médicaments symptomatiques de la Maladie d’Alzheimer. Nous exprimons également notre colère eu égard à la présentation médiatique de cette décision qui remet en cause des années de travail et d’implication dans la prise en soin de ces maladies graves, ainsi que le bénéfice de plusieurs plans gouvernementaux successifs. Nous sommes en premier lieu choqués par l’argumentaire biaisé qui a conduit à cette décision. Notre communauté a toujours eu conscience d’une efficacité limitée, quoique significative, de ces médicaments, notion que nous nous sommes toujours fait un devoir de communiquer aux personnes malades et à leurs familles. Il faut rappeler toutefois que cette efficacité, comme pour toute molécule mise récemment sur le marché, a été démontrée par des études rigoureuses qui ont été validées selon les règles scientifiques en vigueur par les agences régulatrices (notamment l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament -ANSM en France, l’European Medicine Agency-EMEA en Europe et la Food and Drug Administration- FDA aux USA). Partout par le monde et depuis des années, les spécialistes ont intégré ces traitements à leur pratique et les considèrent comme pertinents, en association à un ensemble de mesures thérapeutiques non médicamenteuses. Ceci a permis une prescription de niveau mondial. Ce contexte rend difficilement compréhensible que l’argument majeur déployé pour sceller le sort de ces traitements a été l’allégation d’une nocivité et d’une dangerosité telles que leur rapport bénéfice risque ne pourrait plus être considéré comme favorable. C’est l’argument que vous avez personnellement développé à travers divers médias à forte audience. Affirmer que des médicaments prescrits depuis 20 ans à bon escient à des centaines de milliers de personnes malades sont dangereux devrait être fondé sur des preuves. Or, ni la littérature scientifique, ni les signaux de pharmacovigilance (tant nationaux qu’européens) n’apportent de preuve convergente de cette hypothétique dangerosité, lorsque ces médicaments sont utilisés dans le respect des contre-indications (par exemple cardiologiques) mentionnées dans le résumé des caractéristiques du produit. Notre expérience de prescripteurs de longue date confirme également une tolérance le plus souvent excellente. Nous avons été surpris et choqués par vos propos qui contrastent avec la modération et le sens des responsabilités qui ont caractérisé jusqu’à présent votre communication. En effet, si ces médicaments étaient réellement reconnus comme « nocifs et dangereux », ou si vous disposez à ce sujet d’informations précises qui ne seraient pas connues des professionnels et des patients, ce n’est pas un simple déremboursement qu’il convenait de mettre en œuvre, mais une procédure de retrait du marché, en missionner l’ANSM pour initier cette procédure, et pour la porter au niveau européen devant l’EMEA. Dans tous les cas, des propos alarmistes tenus par une autorité telle que la vôtre sont de nature à susciter une inquiétude infondée auprès des patients et de leurs familles, sans compter les retombées potentiellement négatives sur la qualité de la relation de confiance liant les patients et les familles à ceux, nombreux parmi nous, qui sommes des prescripteurs vigilants et critiques, de ce type de médication. Nous sommes aussi extrêmement surpris des propos tenus (ou rapportés dans les médias), par des collègues qui ont eu à juger de ce dossier au sein de la Commission de Transparence, propos qui ne peuvent que susciter beaucoup d’interrogations sur leur impartialité. Ainsi, l’un d’entre eux dont les positions « anti-médicament » étaient de notoriété publique, bien avant sa nomination à la Commission de Transparence, vient de publier un ouvrage suggérant que la maladie d’Alzheimer ne serait en fait pas une maladie, mais seulement une « construction sociale ». Les propos d’un autre, rapportés dans la presse, étaient que « Ces médicaments sont bien sûr inefficaces. Ils ont sûrement tué plus de patients qu’ils n’ont jamais aidé la mémoire d’autres ». De telles postures génèrent légitimement de très importantes réserves concernant l’indépendance de ces experts et les conditions dans lesquelles ce dossier a été instruit par la HAS en 2016. Ils contribuent aussi à jeter l’opprobre sur l’ensemble des spécialistes du domaine, dont la majorité tente d’apporter, par un travail honnête et sincère, un peu de soulagement et d’aide, si modeste soit-elle, aux patients et aux familles. Il convient de rappeler que tous les traitements que vous avez déremboursés sont disponibles sous forme de génériques et que l’intérêt de l’Industrie Pharmaceutique est désormais tourné vers le développement de nouveaux médicaments à potentiel curatif pour la maladie. Notre action vise simplement à maintenir un des maillons thérapeutiques disponibles pour le bénéfice de nos concitoyens atteints de la maladie d’Alzheimer et de certaines maladies apparentées, alors qu’il n’existe actuellement pas d’autres médicaments disposant de l’Autorisation de Mise sur le Marché, sésame obligatoire d’une prescription médicale encadrée. Nous sommes également inquiets des répercussions que cette décision et son annonce vont avoir sur l’adhésion des personnes malades et de leurs familles au parcours de soins, et surtout sur la précocité de leur entrée dans le dispositif. Selon la communication de votre Ministère, la mise en œuvre du déremboursement aurait été retardée jusqu’à la publication par la HAS en mai 2018 d’un Guide Parcours de Soins, qui constituerait le modèle d’une prise en charge idéale. Ce guide ne fait que rassembler toute une série de mesures et conseils pratiques que les Centres Mémoire et les équipes spécialisées ont élaborés et appliquent depuis des années. Il n’apportera donc aucune solution nouvelle qui permettrait de compenser le retrait des médicaments. Plusieurs des membres du groupe de travail qui ont collaboré à sa rédaction ont été très surpris du lien que vous avez publiquement évoqué entre leurs contributions - n’ayant en aucun cas nié l’efficacité de ces traitements ni préconisé un déremboursement - et la décision de déremboursement qui vient d’être prise. Vous affirmez que le déremboursement n’est pas justifié par un intérêt budgétaire et que l’argent dégagé par le recul des prescriptions contribuera à améliorer le sort des personnes malades. Nous pensons au contraire que votre décision va alourdir les dépenses directes des patients déjà non couvertes par la solidarité nationale. De nombreuses études ont montré que ces dépenses sont directement proportionnelles à la sévérité de la maladie et peuvent atteindre plusieurs centaines voire milliers d’euros par mois et par patient. Le retrait de traitements qui contribuaient à minimiser ou retarder ces dépenses aura donc un impact négatif. Sans compter la charge supplémentaire du coût des traitements pour ceux qui décideraient, malgré le déremboursement, de les poursuivre. Ces risques seront évidemment accrus pour nos concitoyens les plus démunis, ce qui n’est pas admissible. Comme vous savez, le National Institute for Health and Care Excellence (NICE), équivalent de la HAS au Royaume Uni, qui a la réputation d’une rigueur extrême dans la gestion de l’argent public, a conclu après avoir mené plusieurs grandes études académiques (et donc indépendantes des laboratoires) qu’il existe un rapport coût/bénéfice en faveur des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et de la mémantine, affirmation récemment renouvelée en mai 2016. Enfin, nous souhaitons attirer votre attention sur une retombée indirecte, mais très préoccupante de votre décision: il sera souvent bien plus difficile, voire impossible d’inclure des patients français dans des études internationales de médicaments novateurs (curateurs ou symptomatiques) de la maladie d’Alzheimer. Il est en effet fréquemment exigé que les patients participants reçoivent de façon régulière l’un des médicaments reconnus au plan international comme traitement de référence « standard of care » de la maladie, c’est à dire précisément ceux que vous venez de dérembourser. Outre la perte de chance pour nos patients de recevoir précocement un traitement pouvant être plus efficace, c’est la recherche clinique dans le domaine de la thérapeutique qui sera mise en péril dans notre pays, et ce à l’opposé de ce qui se construit ailleurs, en Europe et dans le Monde. Cette décision singulière du gouvernement français commence à faire l’objet d’un questionnement au niveau européen et même international, comme celui de l’Alzheimer Disease International, qui s’inquiète de la décision de la France de ne pas respecter un accès juste et équitable aux traitements anti-démentiels (« equitable and fair access to anti-dementia drugs ».) Le maintien d’une mesure qui ne respecte ni les enjeux de santé, ni la solidarité parmi nos citoyens, ne fait pas honneur à notre pays. Madame la Ministre, depuis un an et demi, plusieurs groupements professionnels et sociétés savantes de nos domaines ont réclamé que la procédure de révision des traitements symptomatiques de la Maladie d’Alzheimer réalisée par la HAS en 2016, et qui est avancée pour justifier la décision que vous venez de prendre en tant que Ministre de la Santé, soit annulée du fait de la partialité de l’instruction et des débats qui ont uploads/Sante/ lettre-ouverte-a-la-ministre-de-la-sante-pour-le-remboursement-des-medicaments-anti-alzheimer.pdf
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- Publié le Apv 03, 2022
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
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