(Document prêt pour publication) MALADIES, REMEDES ET LANGUES EN AFRIQUE CENTRA

(Document prêt pour publication) MALADIES, REMEDES ET LANGUES EN AFRIQUE CENTRALE Ouvrage collectif préparé sous la direction de Lolke J. Van der Veen 3 INTRODUCTION GENERALE CHAPITRE I L’AFRIQUE NOIRE FACE A LA MALADIE Lolke J. Van der Veen Lorsque la maladie, ou plus généralement le mal-être, frappe l’homme noir africain moderne, ce dernier se trouve en quelque sorte confronté à un dilemme. Globalement, deux médecines, cohabitant plus ou moins pacifiquement mais dont les approches sont fondamentalement différentes, lui proposent leur savoir-faire afin de soulager sa souffrance ou, si possible, la faire cesser : l’une locale et généralement traditionnelle1, et l’autre occidentale, donc venant d’ailleurs et importée, moderne, s’appuyant sur une recherche scientifique de haut niveau et des tests cliniques caractérisés par une très grande rigueur. Or, quel(s) itinéraire(s) thérapeutiques le malade noir africain emprunte-t-il ? A quelle médecine s’adresse-t-il pour se faire soigner, lui ou sa progéniture, pour quelle(s) raison(s) et dans quelles circonstances ? Les deux (ou multiples) approches sont-elles ressenties et considérées comme concurrentielles par lui et son entourage ? Et par quels noms locaux désigne-t-il les troubles pathologiques et les remèdes traditionnellement utilisés ? Que peut nous apprendre la phraséologie ainsi que la classification lexicale des noms de maladies et des remèdes sur le regard qu’il porte sur la maladie et les voies menant à la guérison ? Les questions sont maintes. L’étude des médecines traditionnelles est incontestablement très à la mode. De nombreuses publications de nature très diverse, scientifiques et autres, témoignent d’un intérêt grandissant pour la phytothérapie et d’autres approches thérapeutiques alter- natives2, et pour ce que ces approches peuvent apporter à l’homme. En Europe, de plus en plus de regards se tournent vers les médecines traditionnelles, quelque soit l'origine géographique et / ou culturelle de ces dernières, dans l’espoir de trouver en elles ce que l’on affirme ne pas avoir trouvé dans la médecine moderne occidentale. Le domaine des médecines traditionnelles, caractérisées par un mélange d’empi- risme et de croyances magico-religieuses, est un domaine qui suscite des réactions souvent extrêmes. Sur certains ces médecines exercent une véritable fascination et leur adhésion à celles-ci peut prendre des dimensions non rationnelles. Ces personnes 1. La suite de cet ouvrage montrera que l’usage du pluriel serait plus approprié ici. 2. L’inventaire (non exhaustif !) proposé par LAPLANTINE et RABEYRON (1987 : 12-17) donne une idée de l’énorme diversité de ces approches. L’Afrique noire face à la maladie 6 prônent généralement un retour à la Nature, celle-ci connotant pour elles la pureté, l’innocence, le paradis perdu, etc. Ce retour à la Nature idéalisée1 et à des médecines jugées plus naturelles et primitives est souvent doublé d’une sorte de quête de spiritualité2. Malheureusement ces inconditionnels de la Nature ont tendance à oublier, voire même à récuser les acquis et les mérites de la médecine moderne, comme si tout était noir ou blanc. A l’opposé, l’on trouve ceux qui, en farouches défenseurs du rationalisme, dans un esprit purement cartésien, rejettent catégoriquement toute recherche allant dans ce sens et refusent de qualifier ces approches alternatives de médecine. Elles n’auraient rien à nous apprendre du point de vue médical. Un tel rejet ne peut être qu’idéologique et est pour le moins regrettable, d’autant plus que la médecine scientifique, bien que caractérisée par une expérimentation extrêmement rigoureuse et par une évolution très rapide des con-naissances, se trouve actuellement dans une impasse dont elle risque d’avoir du mal à sortir. Il ne tient pas compte non plus du fait que la médecine moderne occidentale est elle-même issue d’une médecine traditionnelle, européenne en l’occurrence, même si elle a beaucoup évolué du point de vue méthodologique. Il est clair que l’on ne peut étudier sérieusement les médecines traditionnelles si l’on se laisse enfermer dans de tels a priori. Les connaissances qu’elles ont accumulées au fil des siècles méritent d’être examinées de près. Les enjeux des recherches menées dans ce domaine sont considérables, d’où leur intérêt. Ils sont de divers ordres : industriel, scientifique, idéologique, etc. L’enjeu industriel est essentiellement celui de l’industrie pharmaceutique. Bien que les recherches pharmaceutiques soient fastidieuses et coûteuses, leur intérêt est évident. De nombreuses plantes médicinales restent à étudier sous cet angle (ou à découvrir), et des principes actifs à mettre en évidence et à exploiter à des fins thérapeutiques ou autres. Il en va de l’avenir de l’humanité3, qui se voit confrontée à l’heure actuelle à des pathologies que la médecine moderne ne sait combattre de manière efficace. Pour ce qui est de la science, les enjeux sont multiples. Plusieurs de ses domaines peuvent également tirer profit des investigations en médecine traditionnelle. Mentionnons la biologie moléculaire, la théorie médicale et les sciences humaines. 1. Les défenseurs de cette position tendent à oublier les aspects menaçants et les soubresauts de la nature. 2. Cf. LAPLANTINE et RABEYRON (1987 : 29-34). 3. D’après un article publié dans la revue Sciences et Avenir, moins de 2% des 90.000 plantes recensées sous les tropiques ont été étudiées du point de vue pharmacologique jusqu’à ce jour. (PIRO P., “La pharmacologie à l’école des sorciers”, Sciences et Avenir, Hors Série n° 90, pp. 26-31). L’Afrique noire face à la maladie 7 L’étude de l’interaction esprit - matière peut par exemple faire avancer la théorie médicale ; l’étude du regard de l’homme sur son corps et sur ses troubles pathologiques, du rôle des croyances magico-religieuses dans la guérison, du rôle du groupe et du thérapeute dans l’itinéraire thérapeutique, des paroles échangées entre thérapeute et malade, etc., alimentera les diverses sciences humaines. Et l’on n’oubliera pas les enjeux idéologiques. Pourquoi les cultures autres que celles issues de l’Occident n’auraient-elles pas également leur mot à dire sur la médecine et son avenir ? Ce que l’on peut toutefois regretter, c’est que les résultats des travaux de recherche et en particulier les découvertes de l’industrie pharmaceutique ne profitent que rarement à la population des pays où ces recherches sont effectuées ; ceci étant d’autant plus regrettable que ces derniers sont généralement situés dans des régions déjà peu favorisées. Ne serait-il pas plus que souhaitable qu’une réflexion sérieuse d’ordre déontologique soit entamée au niveau international concernant les possibilités de développement d’industries pharmacologiques et pharmaceutiques locales dans ces pays ? CHAPITRE II LE PROJET SCIENTIFIQUE Lolke J. Van der Veen A L’ORIGINE DU PROJET : UN CONSTAT ALARMANT Notre équipe de recherche, travaillant au sein de l’Unité Mixte de Recherche “Dynamique du Langage”1, a décidé de se pencher sur les questions importantes évoquées dans le chapitre précédent et sur bien d’autres encore, toutes liées à la la perception de la maladie et des soins thérapeutiques, ainsi qu’à la dénomination des troubles pathologiques et leur catégorisation locale. L’Afrique noire étant un territoire très vaste, l’équipe de “Dynamique du Langage” a voulu concentrer ses recherches sur une zone plus restreinte relativement bien connue pour elle, à savoir l’Afrique Centrale. De nombreuses enquêtes linguistiques menées par nos chercheurs dans cette région du continent africain avaient déjà permis de constituer au cours de dix dernières années une importante base de données phonologiques, morphologiques et lexicales, pouvant maintenant servir de point de départ aux recherches envisagées. En outre, il se trouvait qu’au sein de notre U.M.R. travaillaient plusieurs doctorants noirs africains originaires de pays tels que le Gabon et le Congo. Ces derniers ont bien voulu participer à notre projet. Celui-ci a été réalisé dans le cadre du Programme Pluriannuel en Sciences Humaines2. Comme nous disposions, grâce aux travaux de recherche de Naima Louali, de données de même nature sur les Touaregs du Niger, pays situé bien entendu en dehors de la région retenue, nous avons cru bon de les intégrer dans nos recherches et de les présenter dans cet ouvrage afin de permettre au lecteur une comparaison entre le monde “bantou” et et le monde touareg dans le domaine étudié. Quels ont alors été nos objectifs ? Pour répondre à cette question précisons d’abord pourquoi nous avons voulu étudier les médecines traditionnelles de cette région d’Afrique sous un angle ethnolinguistique. A l’origine de nos recherches, un constat précis que voici : actuellement, la plupart des médecins et infirmiers occidentaux travaillant en Afrique Centrale dans la 1. U.M.R. 5596 (C.N.R.S. et Université Lumière-Lyon 2). 2. P.P.S.H. 110. Présentation du projet scientifique 10 perspective de la médecine scientifique occidentale ignorent tout ou pratiquement tout1 : - de la terminologie de la maladie dans la langue de leurs patients (potentiels)2 ; - de la perception3 et de la catégorisation locales des différentes affections pathologiques ; - de la manière dont les malades analysent les causes de ces troubles, et par conséquent la manière dont ils vont juger l’adéquation entre maladie et remède occidental ; - des très nombreux remèdes locaux, de leur préparation, leur utilisation, leur efficacité et surtout des noms de plantes présumées médicinales dans les langues locales ; - des raisons qui poussent le malade à s'adresser à la médecine traditionnelle plutôt qu’à la médecine occidentale. Cette situation occasionne bien évidemment une importante perte de temps, d’énergie et d’argent, et rend trop souvent inefficace le travail du uploads/Sante/ van-der-veen-m-s-collectif.pdf

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  • Publié le Aoû 12, 2022
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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