PRATIQUES ET MÉTIERS 105 TM 33 SEPTEMBRE 2014 — RÉFÉRENCES EN SANTÉ AU TRAVAIL

PRATIQUES ET MÉTIERS 105 TM 33 SEPTEMBRE 2014 — RÉFÉRENCES EN SANTÉ AU TRAVAIL — N° 139 L'évaluation subjective est un outil précieux, précis et reproductible pour mesurer la charge de travail. Elle peut être utilisée seule (échelles d'auto-évaluation, questionnaires…) ou en parallèle aux nombreuses métrologies objectives. Après une courte présentation de l'évaluation subjective à l'aide des échelles de Borg (RPE et CR10), des exemples d'études menées en laboratoire et en situation de travail sont présentés pour argumenter leurs utilisations et leurs apports dans un bilan des conditions de travail. en résumé MOTS CLÉS Charge physique / conditions de travail / évaluation des risques Évaluation subjective de la charge de travail Utilisation des échelles de Borg La charge physique de tra- vail reste encore importante dans de nombreuses professions et les pathologies qui en découlent sont variées car elles touchent des fonc- tions diverses : locomotrices, car- diorespiratoires, endocriniennes et de régulation thermique [1 à 4]. Des indicateurs objectifs physiolo- giques, tels que la fréquence car- diaque (FC), la tension artérielle (TA), la dépense énergétique (M) ou la ventilation pulmonaire (VE), entre autres, sont utilisés pour évaluer la charge de travail phy- sique globale [5 à 13]. Les enregis- trements électromyographiques (EMG) de l'activité musculaire sont des indicateurs de charge de travail musculaire local [5, 14 à 16]. Hors la FC, ces mesures objectives restent d'utilisation complexe, demandent des moyens techniques impor- tants et n'évaluent pas certaines astreintes difficiles à mesurer. En regard de ces difficultés, de nombreuses études ont montré l'efficacité des indicateurs subjec- tifs [2, 17 à 20] comme outil com- plémentaire aux méthodes objec- tives, particulièrement pertinent pour évaluer la charge de travail et les risques qui en découlent. Cette problématique est d'actualité car le nombre de pathologies de l'appareil locomoteur est en progression constante et ces at- teintes sont source de handicap (encadré 1). Outre l'évaluation AUTEUR : J.P. Meyer, département Homme au travail, INRS En 15 ans, de 1995 à 2010, le nombre de maladies professionnelles (MP) reconnues au titre des tableaux des affections touchant l’appareil locomoteur (tableaux du régime général n° 57, n° 69, n° 79, n° 97 et n° 98) a été multiplié par 8, passant de 5 200 à 43 300 cas. La très grande majorité des 650 000 accidents du travail annuels touche principalement l'appareil locomoteur. Leur nombre n'a pas ou peu évolué au cours des dix dernières années, après avoir fortement baissé au cours des 40 années précédentes. La durée moyenne des arrêts a augmenté de 42 à 57 jours entre 1995 et 2010. Entre 1985 et 2005, l'augmentation des durées d'arrêt concernait les salariés de plus de 45 ans ; entre 2007 et 2010, elle a été plus marquée chez les plus jeunes (30 à 45 ans). > ÉVOLUTIONS DES PATHOLOGIES DE L’ APPAREIL LOCOMOTEUR ENTRE 1995 ET 2010 [21] ,Encadré 1 N° 139 — RÉFÉRENCES EN SANTÉ AU TRAVAIL — SEPTEMBRE 2014 106 PRATIQUES ET MÉTIERS Évaluation subjective de la charge de travail Utilisation des échelles de Borg des contraintes, les échelles sub- jectives permettent de quantifier la perception que peuvent en avoir les salariés dans leur ensemble et les difficultés éventuelles perçues par certain d'entre eux. L'analyse conjointe des données objectives et subjectives renforce l’efficacité de l’évaluation des risques [22]. De nombreuses échelles de quan- tification subjectives existent. Les échelles de Borg ont fait l'objet d'un développement conceptuel appro- fondi et ont été utilisées dans des champs variés où leurs réponses ont toujours été validées par des données objectives [10, 23, 24]. Elles sont de ce fait les plus utilisées à l'heure actuelle et sont recomman- dées pour la surveillance médico- professionnelle du risque lombaire pour les travailleurs exposés à des manutentions manuelles [25]. Deux types d'échelles ont été déve- loppés par Borg : l'échelle d'évalua- tion de l'effort perçu ou RPE (Rating of Perceived Exertion) et l'échelle CR10 (Category Ratio 10). Leur déve- loppement et leurs utilisations ont fait l'objet de nombreuses publi- cations [10, 17, 19, 23, 26 à 28]. Une rapide recherche bibliométrique montre l'évolution dans le temps des publications qui utilisent les échelles de Borg et qui les citent dans le titre (figure 1). Cette illus- tration traduit l'intérêt croissant pour ces échelles qui permettent de quantifier une perception et ainsi de l’analyser. Une lecture plus détaillée des publications met en évidence leur large spectre d'utili- sation qui va d'enquêtes de santé publique [29, 30] à l'évaluation de la pénibilité d'une posture [31] en passant par la réadaptation du sujet cardiaque [32] ou le suivi de l'entraînement sportif [33]. Dans le champ des risques professionnels de très nombreuses simulations en laboratoire ont utilisé l'évaluation subjective d'une astreinte. Moins de 20 publications ont été identi- fiées, faisant référence à des situa- tions réelles avec des salariés [15, 34 à 37]. L’objectif de cet article est de mon- trer les apports, les qualités et les limites des échelles d’évaluation subjective au travers d’exemples recueillis au laboratoire et en situa- tion de travail. GÉNÉRALITÉS SUR LES ÉCHELLES D’ÉVALUATION SUBJECTIVE Les démarches pour évaluer des contraintes autres que physiques (inconfort postural, charge men- tale, gênes au travail…) ne sont pas développées dans cet article, bien que leur mise en pratique soit d'un grand intérêt en situation de travail. Elles imposent les mêmes règles, détaillées plus loin, que l'évaluation de la charge physique de travail. CONCEPTS DE BASE DES ÉCHELLES DE BORG Les connaissances théoriques sur l'effort perçu comportent 2 dé- marches : l'une de quantification d'une grandeur (méthode subjec- tive) et l'autre, à l’inverse, de choix d'une grandeur qui correspond à un niveau de perception (méthode psychophysique). L'évaluation sub- jective permet de quantifier un sti- mulus par une métrique prédéfinie dont le choix (échelle simple ou questionnaire long) détermine la méthode et les difficultés de l'éva- luation mais aussi sa richesse. La perception englobe plusieurs fac- teurs parmi lesquels la satisfaction au travail, l'origine socioculturelle, le niveau économique, les capaci- tés, l'environnement, le choix du mode opératoire, les horaires… [10, 11, 23, 37 à 41]. Dans les faits, l'éva- luation subjective analyse plus que le simple effort musculaire. En définissant précisément le para- mètre à étudier et en expliquant au salarié pourquoi et comment on utilise une telle échelle et la nature des résultats, beaucoup d'éléments « parasites » disparaissent. Borg propose deux échelles (fi- gure 2) : RPE et CR10. Fig. 1 : Nombre moyen d'articles publiés annuellement utilisant et citant les échelles de Borg dans le titre et recensés dans Pubmed (interrogation de la base en novembre 2013). SEPTEMBRE 2014 — RÉFÉRENCES EN SANTÉ AU TRAVAIL — N° 139 107 ÉCHELLE RPE L'évaluation subjective quantifie l'astreinte perçue, en particulier celle de la charge physique de tra- vail et de son évolution en fonction de sa durée ou de son environne- ment [4, 7, 19, 24, 33]. Borg a présen- té l'échelle RPE (figure 2a) basée sur l'observation qu'au cours d'un exer- cice allant du repos à l'effort maxi- mum, la FC moyenne d'un groupe de sujets jeunes et actifs varie de 60 à 200 bpm [18] et suit une rela- tion avec le RPE de la forme : Équation 1 FC = 10 x RPE L'équation 1 a été validée par de nombreux auteurs dans diverses activités physiques [27, 31, 34, 43 à 51] et, dans une moindre mesure, dans des activités reproduisant des activités professionnelles [1, 9, 48]. En 1982, Borg [17] reconnaît que si cette équation est applicable à des populations, son utilisation au niveau individuel doit rester pru- dente. En effet, les variations de la FC sont multifactorielles (type d'ac- tivité, âge, genre, environnement physique, état d'anxiété, heure…). Ainsi, à l'extrême, un RPE de 13 par exemple peut correspondre à une FC de 100 ou 160 selon les individus interrogés [44, 52]. Les scores au RPE étant liés à la FC et à la consomma- tion d’oxygène (VO2), cette échelle est plutôt utilisée comme indica- teur de charge physique générale [27, 34, 45, 46,48, 51]. ÉCHELLE CR10 La perception d'un effort n'évolue pas de façon linéaire avec l'inten- sité de celui-ci mais adopte une fonction croissante de type expo- nentiel [53]. Ainsi, une perception satisfait à une fonction puissance de la forme : R = a + c.Sn où R est l'intensité de la perception (réponse), a, une constante dite « perception de base » et S, l'intensité du stimulus. En général, l'exposant n de S est égal à 1,6 [53]. C'est sur cette base que l'échelle CR10 a été propo- sée [18]. Sa forme a évolué en 1982 (figure 2b) jusqu'à la forme actuelle (figure 2c) [23]. Le CR10 est utilisé plu- tôt pour des perceptions localisées à un groupe musculaire ou à une par- tie du corps. L'intensité d'une force (F) suit une relation de la forme : Équation 2 Force = CR10 x 10 Dans cette relation, la force est exprimée en pourcentage de la force maximale volontaire (FMV) exercée dans la même posture [4, 14, 31, 49, 54]. Par exemple, un effort jugé 3 au CR10 correspond à uploads/Sante/ech-de-borg-article-pdf.pdf

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  • Publié le Jul 10, 2022
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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