1 Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques. Revue de la lit
1 Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques. Revue de la littérature. Partie 2 C. SUEUR(*), A. BENEZECH(**), D. DENIAU(***), B. LEBEAU(****), C. ZISKIND(*****) Résumé Après avoir traité de la place de l'usage thérapeutique des substances hallucinogènes dans les sociétés traditionnelles et de leur rôle dans les pratiques initiatiques et chamaniques, La seconde partie de ce dossier aborde la question de l'usage thérapeutique pour les substances suivantes: cannabis, LSD, kétamine, MDMA-Ecstasy, mescaline, ibogaï ne, GHB. Pour chacune d'entre elle l'histoire montre une expérimentation et une pratique importante de l'usage thérapeutique, interdite dans un second temps dans les sociétés occidentales avec l'apparition des nouveaux modes de consommation à partir des années 1960. Pour cet article engagé une hypothèse mériterait d'être poursuivie dans l'approche culturelle, sociale et politique du problème des drogues: "n'y a t'il pas une erreur fondamentale à diaboliser les hallucinogènes (et le cannabis) et à empêcher tout usage socialement intégré, source d'hétéro-contrôle intégrateur, en particulier l'usage thérapeutique et l'usage festif ?". Débat particulièrement d'actualité en ce qui concerne l'usage thérapeutique de ces substances en soins palliatifs ou contre la douleur. Une revue de la littérature très complète et des travaux en cours est réalisée. Elle permet de constater la reprise d'essais thérapeutiques dans différents pays, par exemple: Raphael Mechoulam pour le cannabis (Israel), MAPS et Hefter Research Institute pour le LSD (USA), Krupitsky pour la kétamine (Russie), Grob pour le MDMA (USA), Grob, Lotsof (USA) et Mabit (Pérou) pour l'ibogaï ne. Cet article présente 145 notes bibliographiques. 1. Usages thérapeutiques du cannabis La marijuana (cannabis sativa) contient plus de 400 composants chimiques. Le plus psychoactif de ces composants est le delta 9 tétrahydrocannabinol, isolé par Raphaël Méchoulam en 19651, mais plus de 60 autres cannabinoïdes ont été identifiés parmi les fumées de combustion de la marijuana. Depuis les années 20, les tenants de la prohibition de la marijuana ont constamment exagéré les dangers de cette plante. Actuellement, l'ensemble de la communauté scientifique s'entend pour penser que la marijuana est une drogue relativement peu dangereuse, et ses propriétés thérapeutiques, longtemps oubliées, reviennent sur le devant de l'actualité; ces propriétés thérapeutiques intéressent autant le champ de la médecine somaticienne, que celui de la psychiatrie 2. Equipe Médecins du Monde, 62 bis avenue Parmentier 75011 Paris (*) Psychiatre (**) Chercheur (***) Documentaliste (****) Médecin (*****) Psychiatre 1 DUGARIN J., NOMINE P. : Toxicomanie : historique et classification, Confrontations Psychiatriques, 1987, 20, (28), 9-61 MECHOULAM R. : Le cannabis, La Recherche, 1976, 7, 73, 1018-1026. ALLAIN P. : Hallucinogènes et société. Cannabis et peyotl, Paris, Payot, 1973. 2 ZIMMER L., MORGAN J. P. : Exposing marijuana myths : a review of the scientific evidence, New York, The Lindesmith Center, 1995. HERER J. : L'empereur est nu (1992), Paris, Editions du Lézard, 1993. MICHKA : Le cannabis est-il une drogue?, Genève, Ed. Georg, 1993. HADENGUE T., VERLOMME H., MICHKA : Le livre du cannabis, Genève, Georg, Ed., 1998. GALLAND J. P. : Fumée clandestine. Il était une fois le cannabis, Paris, Editions du Lézard, 1992. 2 Le cannabis est un hallucinogène, au sens où il peut produire à forte dose des effets psychodysleptiques, modifications des perceptions, du cours et du contenu de la pensée, du comportement, des relations et de l’humeur (tout comme l’alcool, mais globalement, avec une dimension de confusion moindre). Ses effets diminuent habituellement d’intensité lors d’une consommation régulière, ce qui peut également être lié à une capacité « adaptative » du sujet consommateur. Le taux de delta 9 THC de la marijuana est généralement compris entre 0,3 et 4 % suivant les climats (10 mg par cigarette en moyenne), mais des plants développés en serre, et sélectionnés, peuvent atteindre des taux de plus de 20 % (sinsemilla, skunkweed, netherweed…), ce qui constitue 60 à 150 mg par joint en moyenne, et parfois jusqu'à 300 mg pour les espèces les plus riches en THC. La résine de cannabis (le haschich), quant à elle, contient entre 10 et 20 % de THC suivant sa provenance, et l'huile de cannabis de 15 à 30 % de THC (et quelquefois jusqu'à plus de 65%)3. Le delta 8 THC a un potentiel psychoactif similaire, mais est présent en quantité moindre. Le cannabinol et cannabidiol sont les deux autres cannabinoïdes principaux de la marijuana. Des recherches neurobiologiques récentes ont mis en évidence la présence d’un produit cannabinoïde endogène chez l’homme, l’anandamide. « L'histoire des utilisations thérapeutiques du cannabis est aussi vieille que l'humanité4. Mais son histoire moderne est très singulière. On peut la faire commencer autour des années 1840, lorsqu'un jeune médecin irlandais travaillant à Calcutta, O'Shaughnessy, le redécouvrit et « commença à en prescrire à ses patients atteints de la rage, de rhumatismes, d'épilepsie ou de tétanos »5. A partir de là, le monde médical se passionna pour cette plante au point que « de 1842 au tournant de ce siècle, le cannabis représentait la moitié de la totalité des ventes de médicaments »6. Pourtant, dès la fin du XIX° siècle, son usage médical commençait à décliner. Il faut noter que cette désaffection est antérieure à la vague de prohibition du cannabis qui va se développer dans tous les pays occidentaux à partir du début de notre siècle. » « Comprendre les raisons de cette désaffection, c'est entrer de plein pied dans la définition « moderne » du médicament. A partir du début du XIX° siècle, les progrès de la chimie allaient permettre d'isoler les principes actifs de nombreuses plantes, « plus efficaces, mieux dosables et plus constants dans leurs effets que les simples extraits utilisés jusqu'alors »7." « Dès 1805, l'Allemand Sertürner isolait l'un des alcaloïdes de l'opium, la morphine. La révolution des alcaloïdes commençait. Tout au long du siècle, les découvertes s'accumulent : et "Cannabis, le débat censuré", Maintenant, 1994, 10. 3 ASHTON C. H. : Adverse effects of cannabis and cannabinoïds, British Journal of Aanesthesia, 1999, 83, 4, 637-649. GURLEY R. J., ARANOW R., KATZ M : Medicinal marijuana : a comprehensive review, Journal of Psychoactive Drugs, 1998, 30, (2), 137-148. GELLMAN M., CIANCUTTI C. J. : Marijuana : données actuelles, Psychotropes, 1983, I, 1, 107-114. O’BRIEN K. et coll. : Le cannabis : ses effets sur la santé (+ biblio), Psychotropes, 1983, I, 1, 115- 127. RICHARD D., SENON J. P. : Le cannabis, revue bibliographique générale, Toxibase, Revue Documentaire, 1995, 1, 1-25. RICHARD D., SENON J. P. : Le cannabis, Paris, P.U.F., coll. « Que sais-je? », 1996. ROSENTHAL E., GIERINGER D. & MIKURIYA T. : Du cannabis pour se soigner. Guide pratique. Paris, Ed. du Lézard, 1998, 222 p. SCHWARTZ R. : Marijuana : an overview, Pediatric Clinics of North America, 1987, 34, (2), 305- 317. SMITH D. E. : Review of the American Medical Association Council on Scientific Affairs report on medical marijuana, Journal of Psychoactive Drugs, 1998, 30, (2), 127-136. SNYDER S. S. : La marijuana, Paris, Seuil, 1973. VOTH E. A., SCWARTZ R. H. : Medicinal applications of delta-9-tetrahydrocannabinol and marijuana, Annals of Internal Medicine, 1997, 126, 791-798. 4 LEBEAU B. : Préface à l'édition française de "Marihuana Medical Handbook, a guide to therapeutic use", E. Rosenthal, D. Gieringer & T. Mikuriya, Paris, Editions du Lézard, 1999. 5 GRINSPOON L., BAKALAR J. : Cannabis, la médecine interdite, Paris, Editions du Lézard, 1993, p.22. 6 HERER J. : L'empereur est nu (1992), Paris, Editions du Lézard, 1993, p.67. 7 DOUSSET J. C. : Histoire des médicaments des origines à nos jours, Paris, Payot, 1985, p.228. 3 la codéine est isolée en 1832, la papavérine en 1848 - toujours à partir de l'opium. mais ce sont aussi la quinine extraite du quinquina, la colchicine de la colchique, la caféine, la théobromine, la nicotine. En 1859, Niemann isole la cocaïne des feuilles d'erythroxylon coca. En 1885, Nagaï extrait l'éphédrine de l'ephedra vulgaris. Tous ces principes actifs constituent des motifs chimiques qu'il est tentant de bricoler pour obtenir des produits semi-synthétiques. A peine modifiée, l'éphédrine donnera naissance à un produit infiniment plus puissant qu'elle, l'amphétamine. (…). » « Or le cannabis ne participe pas de cette révolution. Il en est même profondément exclu. Et pour cause. Tout d'abord, on ne parvenait pas à isoler ses principes actifs. La raison en est qu'il ne s'agissait ni d'alcaloïdes, ni même de glucosides, mais de motifs moléculaires bien plus complexes (les terpènes). (…) » « On connaît donc aujourd’hui une soixantaine de cannabinoïdes présentant des potentialités thérapeutiques. Ensuite, si les produits du cannabis ont une grande affinité pour les graisses, une grande lipophilie – raison pour laquelle on les trouve longtemps dans l’organisme – ils ne sont pas, en revanche, solubles dans l’eau. Immense inconvénient quant le fin du fin pour un médicament vraiment moderne est d’être injecté. Enfin, « la puissance des préparations à base de cannabis, elle aussi, était variable selon les cas, et les réactions individuelles au cannabis ingéré par voie orale semblaient inégales et imprévisibles »8. Bref, le cannabis relevait de l’herboristerie du passé. Puis sa prohibition et les campagnes hystériques contre sa dangerosité semblèrent signer définitivement sa condamnation. Non uploads/Sante/les-substances-hallucinogenes-et-leurs-usage-therapeutique-2de2-pdf.pdf
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- Publié le Mai 21, 2021
- Catégorie Health / Santé
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