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École Doctorale Langage, Temps, Société École Doctorale Langage, Temps, Société École Doctorale Langage, Temps, Société LA SOCIÉTÉ TOTALITAIRE DANS LE RÉCIT D’ANTICIPATION DYSTOPIQUE, DE LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XXe SIÈCLE, ET SA REPRÉSENTATION AU CINÉMA THÈSE Pour obtenir le grade de Docteur de l’Université Nancy 2 Doctorat nouveau régime Disciplines : Littérature Comparée et Sciences de l’Information et de la Communication Présentée et soutenue publiquement par François RODRIGUEZ NOGUEIRA Sous la direction des Professeurs Françoise SUSINI-ANASTOPOULOS et Éric SCHMULEVITCH 2 3 REMERCIEMENTS Que soient remerciés les Professeurs Françoise Susini-Anastopoulos et Éric Schmulevitch qui, par leur patience et pour le temps qu’ils ont accordé à mon travail, m’ont permis de mener cette thèse à son terme. 4 5 INTRODUCTION 6 7 1895 est l’année de la publication d’un roman considéré dans de nombreux ouvrages spécialisés comme étant le premier roman de science-fiction : La Machine à explorer le temps d’Herbert-George Wells (1866–1946). Le récit de l’écrivain britannique illustre une théorie qui va se propager dans la littérature de science-fiction : la société moderne porterait en elle les germes d’une autodestruction quasi inévitable. L’œuvre laisse transparaître un réalisme social hérité de Dickens et de Zola, ce qui le conduira à militer en faveur du socialisme (il rencontra Lénine en Russie en 1920 et Staline en 1934). Dès lors, la science-fiction ne va plus se développer comme une simple réflexion sur les machines du progrès qui accompagnent les rêves de sociétés nouvelles et utopiques du XIXe siècle. L’idée d’un XXe siècle n’étant pas à la hauteur de ce qui apparaissait comme la marche vers la réalisation de ce rêve de progrès, va profondément modifier les consciences. L’application des théories marxistes en Russie, puis l’essor des fascismes en Italie et en Allemagne vont entraîner une lecture beaucoup plus pessimiste de l’application de ces utopies. Ce regard porte sur le XXe siècle était notamment celui d’Herbert Marcuse : « Un progrès accru semble devoir être lié à une perte accrue de liberté. Les camps de concentration, les exterminations massives, les guerres mondiales, les bombes atomiques ne sont pas un « retour à la barbarie » mais l’application incontrôlée des progrès de la science, de la technologie et de la domination moderne. La soumission et la destruction les plus effectives de l’homme par l’homme se produisent à l’apogée de la civilisation, alors que les conquêtes matérielles et intellectuelles de l’humanité sembleraient permettre la création d’un monde vraiment libre. »1 Cette désillusion va se traduire par un changement de point de vue sur la possibilité d’une société idéale, et notamment sur rôle de la science dans cette entreprise. L’on parlera alors de dystopie. Parfois utilisée comme synonyme d’anti-utopie, la dystopie est assimilable à une fiction politique pessimiste, elle est donc communément considérée comme le contraire de l’utopie. L’homme ne sera plus l’inventeur d’une société parfaite, mais plutôt d’un système d’oppression absolu, fondé sur un État omnipotent, organisé scientifiquement par un régime qui élimine rapidement toute opposition. Ce courant dystopique (également appelé contre-utopie), occupe un espace particulier dans la littérature de science-fiction. La principale caractéristique de ces récits d’anticipation dystopique est de se projeter dans un futur d’un réalisme saisissant, 1 Cité par Théodore Roszak, Vers une contre-culture. Réflexions sur la société technocratique et l’opposition de la jeunesse, Paris, Stock, 1970, p. 126. 8 la société imaginaire de la contre-utopie s’opposant à l’apologie du monde parfait, décrit dans la tradition de l’utopie, et dénonçant les travers de la société imaginée. Cependant, la différence entre utopie et contre-utopie n’est pas seulement due au contenu du récit, de nombreux récits utopiques ont une fâcheuse tendance à créer des sociétés inhumaines. Si ces deux types de récit divergent sur la forme littéraire, c’est principalement à cause de l’intention de l’auteur : la création d’un monde tel qu’il devrait être dans une utopie se résume bien souvent à la construction de sociétés inhumaines, alors que les contre-utopistes, ou dystopistes, dénoncent l’illusion d’une société idéale qu’ils décrivent comme un enfer pour l’homme. Réaction au désenchantement causé par l’échec des grandes idéologies du XXe siècle et dénonciation des dérapages de la science, la dystopie sociale prend le relais de la contre- utopie anti-totalitaire. Elle traduit le désarroi et les interrogations d’une société empêtrée dans ses problèmes structurels. Métaphore de la psyché des grandes terreurs de notre temps, elle peint des futurs noirs, carcéraux, rationalisés, déshumanisés, dans l’intention de tirer des sonnettes d’alarme. Les meilleurs représentants du courant dystopique sont, à ce jour, Aldous Huxley (1894- 1963) avec Le Meilleur des mondes (1932), roman qui traite de la pratique de l’eugénisme et du contrôle des émotions et des désirs, George Orwell (1903-1950) qui aborde dans 1984 (1948) la manipulation du langage et du contrôle des consciences afférent: « La guerre, c’est la paix, la liberté, c’est l’esclavage, l’ignorance, c’est la force. »1. Ray Bradbury, avec Fahrenheit 451 (1953), dévoile une société dans laquelle les livres et leurs lecteurs sont persécutés et où les pompiers ont pour mission de brûler ces vestiges de la culture humaine. Mais le premier grand écrivain dystopiste inspiré par Wells est le Russe Evguéni Zamiatine (1884–1937). Il s’intéressa de près à l’œuvre de Wells, suffisamment pour lui consacrer deux articles2. Zamiatine va nous donner la première peinture d’une société dictatoriale où règne la « pensée unique » : Nous autres. En effet, il conçoit pour la première fois une dictature fondée sur la science. Au XXVIe siècle, date à laquelle se déroule le récit, l’État Unique, dirigé par le Bienfaiteur, veille à ce que tous les citoyens obéissent à des lois fondées sur les mathématiques (nouveau dogme), la collectivité et l’artificialité. Dans cette société, tout est contrôlé, tous les moyens sont bons pour pouvoir espionner chaque citoyen, il n’y a presque plus de vie personnelle. C’est un monde aseptisé où l’homme n’est plus qu’un numéro (stupéfiante anticipation de la réalité concentrationnaire !), et où toute individualité est 1 George Orwell, 1984, Folio, Paris, Gallimard, 1950, p. 15. 2 Ces deux articles sont reproduits dans Le Métier littéraire, recueil de portraits, études et manifestes suivi de Cours sur la technique de la prose littéraire, publié en 1990 (Éditions L’Âge d’Homme). 9 niée. Cette dystopie n’aborde plus le progrès dans une perspective scientiste ou purement technologique, car Zamiatine condamne la science, et dénonce sa confiscation idéologique. Dès lors, la dystopie traite le “progrès“ sous l’angle éthique d’une morale sociale, mais elle est avant tout une œuvre de propagande anti-totalitaire. Écrit en 1920, les traductions anglaise et tchèque de Nous autres sont parues en 1924 et 1927 sans son consentement. Traduit en français en 1929, ce roman est resté inconnu, car censuré dans l’ex-URSS, même si nous trouvons quelques fois la référence sur l’influence de ce roman sur un projet d’Eisenstein, The Glass House. Pourtant, qu’Eisenstein ait voulu en tirer un film, entre 1927 et 1930, est du domaine de la spéculation sans fondements : « L’ignorance des travaux des spécialistes sur Zamiatine réduit ce chapitre à une spéculation sur l’influence de son roman Nous sur le projet d’Eisenstein The Glass House (pp. 217-220), bien que cette proximité n’ait jamais pu être étayée sur le moindre fait ou document en dehors d’une vague ressemblance. »1 Orwell n’a cessé de souligner l’importance du roman de Zamiatine, et a salué en lui son inspirateur. Ce qui fait la particularité de Zamiatine, c’est qu’il a anticipé dans Nous autres le régime de Staline. Tout semble avoir été prévu dans ce texte quasi prophétique, notamment la culture officielle : « Tous ceux qui s’en sentent capables sont tenus de composer des traités, des odes, des poèmes pour célébrer les beautés et la grandeur de l’État unique. »2. Cependant, l’écriture de cette utopie d’inspiration anti-communiste, et surtout sa publication à l’étranger, vont susciter une réaction de la part de l’État. À partir de 1929, année du grand tournant, Zamiatine va être l’objet de constantes persécutions. C’est ainsi qu’en 1931, sur le conseil de Gorki, il demanda à Staline l’autorisation de s’expatrier, et il est le dernier écrivain à avoir obtenu cette autorisation. Voici les premières lignes de la lettre qu’il envoya à Staline en juin 1931 : « L’auteur de cette lettre, un homme condamné à la peine capitale, s’adresse à vous avec la requête de commuer cette peine. Vous connaissez probablement mon nom. Pour moi, en tant qu’écrivain, être privé de la possibilité d’écrire équivaut à une 1 Rachit Ianguirov, « Natalia Noussinova, Quand nous reviendrons en Russie… Le cinéma russe de l’étranger. 1918-1939 », 1895, n°43, Varia, 2004, [En ligne], mis en ligne le 15 janvier 2008. URL : http://1895.revues.org/document1672.html. 2 Evguéni Zamiatine, Nous autres, Paris, Gallimard, 1971, p. 15. 10 condamnation à mort. Les choses ont atteint un point où il m’est devenu impossible d’exercer ma profession, car l’activité de création est impensable si l’on est obligé de travailler dans une atmosphère de persécution systématique qui s’aggrave chaque année. »1 Dans cette lettre adressée à Staline, Zamiatine refuse la mainmise de l’État sur son écriture, il défend le statut de l’écrivain et de l’art en général. uploads/Societe et culture/ 2009-nan-21030.pdf
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- Publié le Sep 01, 2022
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