1 La société française face aux défis du terrorisme Corrigé élaboré par Philipp
1 La société française face aux défis du terrorisme Corrigé élaboré par Philippe Mazet © ISP 2016 Introduction Les attentats terroristes qui ont frappé la ville de Paris à deux reprises ne furent pas les attentats les plus meurtriers commis en 2015 mais leur impact fut, pour diverses raisons liées principalement à la nature des attaques et au fait qu’elles eurent lieu dans la ville qui symbolise toujours les Lumières, particulièrement fort. Surtout, ces attentats ont révélé l’émergence d’une nouvelle vague de terrorisme transnational, alors même que la précédente commençait tout juste à s’estomper. Dans la mesure où le terrorisme joue sur la conscience collective, le sentiment d’impuissance qu’il a induit insuffle à ces événements un caractère particulièrement tragique. Le terrorisme désigne ainsi l’usage politique de la terreur et celui-ci est plus ancien qu’on ne le croit généralement. L’historien Flavius Josèphe atteste sa pratique dès le 1er siècle en Palestine avec l’émergence d’un groupuscule, les Sicarii, qui contesta la présence romaine. Cette première occurrence annoncera une succession de groupes antiques et médiévaux qui présentent des similarités : la dimension idéologique/religieuse qui gouverne pratiquement tous les mouvements terroristes ; un ciblage orienté vers des représentants du gouvernement et des civils ; un modus operandi quasiment immuable avec des techniques sommaires mais dont l’essence choque les esprits ; une stratégie fixée sur la dimension psychologique de l’affrontement ; une zone grise où s’entremêlent activités criminelles et politiques. La question des frappes terroristes dans la société française de 2015 avive cependant une interrogation de fond puisque celles-ci vont bien au-delà du simple registre criminogène en menaçant directement notre propre modèle de société. En effet, comment une société démocratique peut-elle concilier l’exigence de sécurité avec celle de la protection des libertés fondamentales qui définissent son socle de valeurs communes ? A travers les réponses trouvées, ne doit-on pas s’inquiéter du bon équilibre entre ces deux exigences, au risque de poser qu’une réponse adaptée illustre la capacité d’une société économique mature à garantir l’Etat de droit tout en luttant efficacement contre le terrorisme ? Si le terrorisme est désormais une nouvelle menace pour la société française aux effets ambivalents (I), son ampleur inédite oblige la société française à réaffirmer continument ses fondements (II). 2 I Le terrorisme est désormais une menace pour la société française aux effets ambivalents : I.A Un phénomène marqué par l’émergence du motif religieux qui a contribué momentanément au renforcement de la cohésion de la société française : Le terrorisme contemporain reste marqué par l’irruption du discours religieux. En effet, en 1979, alors que les groupuscules terroristes d’extrême gauche sont en bout de course, les jalons de la prochaine vague sont posés par la Révolution iranienne et l’invasion soviétique de l’Afghanistan. Le cas de l’Iran est quasiment unique dans la mesure où le gouvernement iranien exploite l’arme du terrorisme dans le cadre de sa politique étrangère, soit directement, soit par l’intermédiaire de groupes implantés à l’étranger comme le Hezbollah. Les Iraniens feront quelques émules, comme le colonel Kadhafi en Libye. La résistance afghane aux Soviétiques, à travers l’action des moudjahidin, est quant à elle à l’origine des principaux mouvements djihadistes de la période, à commencer par Al-Qaïda, dont la genèse est directement liée à ce conflit, et Daesh, qui s’est constitué à partir d’un noyau d’anciens membres d’Al-Qaïda. Al-Qaïda, une fois les Soviétiques refoulés, s’attacha à combattre les autres puissances occidentales. À partir de là, cette nouvelle vague prend corps, au moment même où la guerre froide se termine. La première caractéristique des mouvements djihadistes est l’omniprésence du discours religieux. Cet aspect est singulier dans l’histoire moderne du terrorisme. Il tient à deux facteurs : l’érosion de l’idéologie marxiste-léniniste comme moteur de changement ; le rejet de la modernisation et de l’Occident qu’accompagne le désir parmi certains mouvements musulmans extrémistes de reconstruire l’âge d’or du grand califat. Néanmoins, ce discours religieux militant s’apparente par de nombreux aspects au discours idéologique classique : il a une vocation universelle qui transcende le cadre des frontières nationales et offre une alternative en termes d’organisation de la société. Enfin, ce discours, comme le discours révolutionnaire classique, critique les impuretés de la société moderne, ainsi que ses injustices, et invoque le déterminisme historique qui doit provoquer la transition qu’assure une force supérieure (Allah/la lutte des classes) au nom de laquelle les combattants œuvrent avec acharnement. La justesse affichée de la cause invoquée justifie que les moyens les plus extrêmes soient employés pour la servir. Parmi ces moyens, l’usage de la terreur contre des cibles indiscriminées est considéré comme légitime. Le terrorisme prend désormais la place de l’ennemi d’hier qui était auparavant occupée par la figure de l’Allemand pendant près d’un siècle ou plus près de nous, par la menace soviétique lors de la Guerre froide. Cette nouvelle figure du terrorisme se révèle ainsi proche de celle de l’altérité radicale qu’évoque le poète grec Konstantin Khavafy dans son poème les Barbares, sauf qu’à l’inverse de cette fiction poétique lourde de sens, la barbarie existe comme les épisodes sanglants de l’année 2015 l’ont démontré. Dès lors, le terrorisme peut devenir un élément structurant une sorte d’union nationale face aux crimes perpétrés. « L’esprit du 11 janvier 2015 »fait ainsi explicitement référence à une nouvelle forme d’Union sacrée, reprenant à son actif comme son irréfutable légitimité, cette expression 3 utilisée lors du Premier conflit mondial, sous l’égide du Premier ministre George Clémenceau pour accroître l’effort de guerre et maintenir le moral de la population et des soldats français. Cette nouvelle forme de cohésion nationale, qui dépasse les soubresauts de la vie politique du quotidien, dépasse le cadre des frontières nationales. En effet, à l’instar de ce qu’évoquait GF Hegel dans les Principes de la philosophie du droit (§323), le terrorisme peut être assimilé à une guerre et, d’une certaine manière, renforcer la cohésion du peuple ou de la nation. Le concept de « Sittlichkeit », c’est à dire de « vie éthique », implique la capacité d’un peuple uni à se projeter pour mieux contrer l’adversité. Un peuple attaqué, certain de ses valeurs qu’il s’agit de défendre sans relâche fût-ce à l’extérieur du territoire national, est, selon Hegel, d’autant plus fort qu’il est certain de la rectitude de ce qu’il défend et de ce au nom de quoi il est attaqué. Dès lors, le renforcement de la cohésion nationale française s’exprime dans le soutien aux engagements des troupes dans les opérations sur les théâtres extérieurs situés au Mali, en Syrie et bientôt en Libye. Alors que le soutien de l’opinion française pour l’intervention en Afghanistan avait été plutôt modéré, il semble, qu’à l’inverse, les opérations Serval et Chammal ont été plébiscitées par celle-ci ; l’intervention malienne ayant même fait l’objet d’une pièce de théâtre de Berty Cadilhac. I.B Le terrorisme reste cependant un défi pour les valeurs de la société française : Les actes terroristes sont un défi pour toute société démocratique, comme la société française, car ils constituent une provocation, voire la négation pure et simple, des valeurs qui la fondent. Outre le fait qu’ils remettent en cause la notion de violence légitime qui échoit, dans une tradition héritée de Thomas Hobbes et son Léviathan et à Max Weber dans Economie et société, à l’Etat, les attentats constituent des actes de guerre perpétrés par des groupes non étatiques ou se réclamant de structures étatiques, comme l’Etat islamique, dont la reconnaissance internationale fait débat. Alors que notre société repose sur la confiance et le respect des valeurs de la pluralité démocratique, l’irruption de la violence anomique perpétrée par le terrorisme instille la peur et la haine. En effet, une telle peur agit à tous les niveaux de la société, y compris au niveau économique où elle est analysée par Yann Algan, dans son ouvrage La Fabrique de la défiance… et comment en sortir, comme une véritable taxe et entrave le développement des échanges. Pressé par ses pairs d’expliquer l’origine de la richesse des nations lorsqu’il reçut le prix Nobel d’économie en 1972, Kenneth Arrow surprit tout le monde en ne mentionnant aucun facteur économique traditionnel tel que le travail ou l’accumulation de capital physique et humain, mais uniquement la confiance. Ainsi, virtuellement, tout échange commercial contient une part de confiance, comme toute transaction qui s’inscrit dans la durée. On peut vraisemblablement soutenir qu’une grande part du retard de développement économique d’une société est due à l’absence de confiance réciproque entre ses citoyens. La confiance facilite grandement les échanges entre les hommes dans des sociétés modernes complexes où il est impossible de stipuler par contrat les moindres détails des engagements des parties. La capacité des entreprises à développer des méthodes de travail horizontales, qui donnent toute leur place à l’initiative individuelle est donc essentielle pour promouvoir la croissance. 4 Aujourd’hui, performance économique et performance sociale vont de pair. La coopération et la qualité de nos relations sociales sont en effet aussi essentielles à notre bien-être. Le contraire de la confiance n’est pas seulement la défiance mais l’angoisse et la terreur existentielle. Notre société moderne perçoit la majorité des risques comme uploads/Societe et culture/ enm-annales-cg-2016.pdf
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- Publié le Dec 12, 2022
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