7 Des noms et des …noms Anthroponymie et état civil en Algérie Farid BENRAMDANE

7 Des noms et des …noms Anthroponymie et état civil en Algérie Farid BENRAMDANE* Ouerdia YERMECHE** Nebia DADOUA HADRIA *** Présentation L'anthroponymie, formée de "anthropos" "homme" et de "nymie" "nom", fait partie avec la toponymie (de « topos » : lieux) de la science des noms propres appelée "onomastique", du grec "onoma" qui veut dire "nom propre" : "science des noms propres". Parler de l’anthroponymie en Algérie, des patronymes ou noms de familles surtout, n’est pas chose aisée, tant et autant la proximité identitaire est dense, forte et solide pour certains, tant et autant, elle est gluante, maladive, traumatisante pour d’autres. En tous les cas, il n’est pas exagéré de dire que le système patronymique algérien ne reflète pas le caractère ancestral d’une filiation établie depuis des millénaires. C’est à la fois cette étrangeté, cette invraisemblance que ce paradoxe, celui à la fois d’un usage nominatif contemporain qui ne rend pas compte d’un patrimoine forgé par la praxis historique contenu dans les catégories nominatives et dénominatives traditionnelles, tels que les toponymes, les ethnonymes (noms de tribus), les hagionymes (noms à caractère sacré et symbolique : Lalla, Mqam, Sidi, Redjem...), les anthroponymes, etc. et la continuation, jusqu’à ce jour, par l’Etat national des paradigmes de refondation de la personnalité algérienne durant l’ère coloniale (Loi de l’état civil de 1882). Dans les réflexions des auteurs du présent ouvrage, les qualificatifs usités attestent des dysfonctionnements de cette configuration nominative et dénominative cristallisée institutionnellement dans et par l’état civil : « une fracture du nom », « le syndrome identitaire nominal », « récupération de l’identité ancestrale », etc. En effet, de nombreuses interrogations traversent l'anthroponymie algérienne : comment sont formés les noms de familles (ou patronymes) en Algérie? Quelles sont leurs variations dans le temps et dans l'espace? Quels sont les paradigmes de fondation de l'état civil d'Algérie (loi de 1882)? Existe-t-il un état civil algérien? Si oui, quelles sont ses ruptures par rapport à celui de 1882? Quelles sont les règles sociales et culturelles, les modes d'attribution, de * Enseignant, Université de Mostaganem, Chef de Projet PNR, CRASC Oran. ** Enseignante ENS Alger, Chercheur-associée - CRASC Oran *** Chercheur, CRASC Oran Farid BENRAMDANE, Ouerdia YERMECHE et Nebia DADOUA HADRIA 8 ériens3. transmission et de variation des prénoms en Algérie? Quels sont les couches linguistiques et les domaines sémantiques dominants dans le système patronymique et prénominal algérien? Quelles sont les raisons récurrentes dans les demandes de changement patronymiques formulées par les citoyens? La problématique posée, il va de soi, dépasse le cadre de l'état civil, perçu en Algérie, comme un simple organe administratif. Elle le dépasse dans la mesure où il s'agira de mettre en relief les différents types de dysfonctionnements, structurels et conjoncturels, les dérèglements intériorisés ou pas, et le restitue, en même temps, dans sa noble mission de dépositaire légitime et/ ou légitimant de la filiation, de la continuité spatio-temporelle de l'identité, et pour reprendre l'expression de Lacheraf, du " caractère affectif de la transmission identitaire" (Des noms et des lieux, 1998). L’approche qui consiste à traiter les questions d’état civil comme de simples problèmes administratifs, qualifiés de "techniques", liés souvent aux pratiques de transcription et/ou de translittération, française ou francisée, arabe ou arabisée, berbère ou berbérisée des patronymes et prénoms algériens (il suffit de passer quelques minutes dans un service de l'état civil pour se rendre compte de l'ampleur des plaintes ayant trait à l'écriture des noms) sous-estime l’importance du passif et des présupposés historiques et idéologiques de l’entreprise de dé/re/structuration de l’identité algérienne dans son volet onomastique, de manière générale1. Ces aspects techniques2 justifient également l'urgence d'une telle réflexion, tant il est vrai que les usages graphiques constituent une source de problèmes pratiques inhérents à la gestion de documents d'identité personnels, de pièces administratives : héritage, banque, justice... En somme, toute une problématique de la normalisation de l’écriture des systèmes anthroponymique et toponymique alg Au demeurant, on s’est limité, dans la présente réflexion, dans une première partie, à décrire, analyser les mécanismes d'altération à caractère phonétique, morphologique et lexico - sémantique du système patronymique algérien en exhumant des textes officiels de la période coloniale, ceux qui continuent d’organiser et de structurer le système nominatif algérien. Dans une seconde partie, les usages prénominaux ont été abordés dans une approche comparatiste régional et diachronique historique. L’imposition de ce système de nomination à deux composantes, patronyme et prénom, quand bien même ayant introduit une certaine modernité dans le système anthroponymique local, - une catégorie de « la rationalité coloniale » pour reprendre l’expression de Saddek Benkada,- a tout de même bouleversé les habitudes nominatives des Algériens dans le sens où il les a complètement ou 1 Lire La toponymie, numéro spécial. Revue de l’INCT, Alger, 2000 2 Les textes publiés dans cet ouvrage ont gardé les procédés de transcription et/ ou translittération choisis par leurs auteurs. 3 Depuis quelques années, le CNIG (Comité national pour l’information géographique) et le CRASC ont organisé une série de rencontres sur la normalisation de l’écriture de la toponymie algérienne. Des noms et des noms…. 9 partiellement dissociés et désunis des logiques filationnelles traditionnelles. Une simple comparaison avec nos voisins maghrébins du mode d’imposition de l’état civil par la même puissance coloniale montrera l’ampleur du caractère dépréciatif, de l’humiliation historique infligée à une population. Aussi, les noms des généraux (Clauzel, Cavaignac), noms liés à la colonisation de l’Algérie, sont fortement impliqués dans l’établissement de l’état civil. Il va sans dire que capital foncier et capital symbolique ont été gérés de manière concomitante : la sécurité des « transactions » immobilières, l’apaisement progressif des tribus « turbulentes », l’assujettissement à une organisation sociale et rigide comme celle des Français, l’attribution par défaut de patronymes aux indigènes algériens, l’établissement de sanctions financières aux insoumis, inscription sélective de patronymes membres d’une même famille en attribuant un nom à celui-ci, le refusant à celui-là… Tous les procédés du « parcage » nominatif à caractère alphabétique1, de la « mise en réserve » symbolique, de «l’indienisation » onomastique ont été mis en œuvre. Il s’agit, pour reprendre intégralement les propos développés au sein du Sénat français de l’époque, « de la mise en carte de l’humanité ». Reprenons, à ce propos, quelques extraits des débats lors de la discussion au Sénat du projet de loi sur l’état civil des indigènes en Algérie: - « Il (Le Général Arnaudeau, véritable adversaire déclaré de la loi) critique l’idée de donner à chaque indigène un nom patronymique, nom dont l’intéressé ne se souviendra même pas. La carte d’identité deviendra illisible au bout de quelques jours ou bien sera égarée ». - « A quoi donc servira cette mise en carte des indigène ? (rires sur plusieurs bancs)…Le mot est exact : c’est la mise en carte de l’humanité, hommes, femmes et enfants. Outre qu’elle ne sera pas de leur goût, elle n’offrira pas de garanties sérieuses, elle en présentera même beaucoup moins que la filiation actuelle… Les pénalités encourues, les formalités incomprises feront perdre la tête au plus imperturbable des bédouins. Certainement, cette sempiternelle carte à produire à tout propos engendrera des cas d’aliénation mentale… » (16 Février 1882) Un procès redénominatif, tel que formulé par Ouerdia Yermeche, a été mis en place. Un demi siècle, - de 1832 à 1882 -, une série de dispositions juridiques a refaçonné le paysage anthroponymie traditionnel local : lois, instructions, circulaires (1834, 1837, 1848, 1854, 1868, 1873, 1875, 1876, 1882). Plus explicite et tranchant, l’état civil, pour le Gouverneur Sabatier « (était) et (devait) être une œuvre de dénationalisation. L’intérêt de celui-ci était de préparer la fusion et de franciser plus résolument les patronymes indigènes pour favoriser les mariages mixtes »2. Cette francisation a « travaillé » sur les deux facettes du signe linguistique : le 1 Lire LACHERAF (M), Des noms et des lieux. Mémoire d’une Algérie oubliée. Casbah Editions. Alger, 1999. 2 Cité par AGERON (CH), 1968, Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), T.1, Ed. OPU, Alger, p. 187 Farid BENRAMDANE, Ouerdia YERMECHE et Nebia DADOUA HADRIA 10 signifié et le signifiant1. Cet état civil, comme cela a été orchestré, a opéré une rupture dans la continuité identitaire de l’Algérien et a opéré « une fracture du nom » et par là- même une fracture dans l’identité algérienne que l’on traîne toujours. L’Algérien vit encore aujourd’hui « le syndrome identitaire nominal » du fait qu’il y a eu détournement du système nominatif traditionnel. Un certain malaise anthroponymique s’est installé, preuve en est la remise à la mode de prénoms anciens et l’attribution de noms nouveaux (orientaux et occidentaux) ou encore le retour aux noms berbères anciens, pour une « récupération de l’identité ancestrale ». Un jour, réconciliera-t-on, pour son bien – être individuel et collectif, l’Algérien avec son nom propre. Nous pourrons admettre par hypothèse que la perception des faits de langue, de culture et d’identité se construit à l’intérieur d’un espace de référenciation et de renvois identificatoires ainsi que de communication qui est propre à un individu ou groupe d’individus. Système irréductible, la tradition uploads/Societe et culture/ des-noms-et-des-noms-anthroponymie-et-et.pdf

  • 28
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager