Sociologie et sociétés Document généré le 30 sep. 2017 05:59 Sociologie et soci

Sociologie et sociétés Document généré le 30 sep. 2017 05:59 Sociologie et sociétés Classes sociales, pratiques culturelles et styles de vie : Le modèle de la distinction est-il (vraiment) obsolète ? Philippe Coulangeon Goûts, pratiques culturelles et inégalités sociales : branchés et exclus Volume 36, numéro 1, Printemps 2004 URI : id.erudit.org/iderudit/009582ar DOI : 10.7202/009582ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l’Université de Montréal ISSN 0038-030X (imprimé) 1492-1375 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Philippe Coulangeon "Classes sociales, pratiques culturelles et styles de vie : Le modèle de la distinction est-il (vraiment) obsolète ?." Sociologie et sociétés 361 (2004): 59–85. DOI : 10.7202/009582ar Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2004 L a sociologie des pratiques culturelles est dominée en France, depuis le milieu des années 1970, par le modèle de l’homologie structurale de l’espace des positions sociales et de l’espace des styles de vie théorisé par Pierre Bourdieu. Ce modèle doit, en France, une grande partie de son succès à la validation empirique que lui ont apportée les enquêtes successives sur les pratiques culturelles des Français1. À trente ans d’inter- valle entre la première enquête de 1973 et la dernière enquête de 1997, les pratiques cul- turelles n’ont en effet, semble-t-il, rien perdu de leur pouvoir de classement, et les mêmes tendances sont observées avec constance dans d’autres sociétés européennes (Ganzeboom, 1989) ainsi qu’en Amérique du Nord (Di Maggio et Useem, 1978 ; Robinson, 1993). Globalement, la consommation des biens et services culturels conti- nue de refléter les caractéristiques de la stratification sociale, et le bilan de la démocra- tisation de la culture apparaît assez limité (Donnat, 1999). La sociologie du goût demeure quant à elle fortement imprégnée du concept de légitimité culturelle qui, formulé abruptement, constitue l’aspect du modèle défendu par l’auteur de La distinction qui colle au plus près à la définition marxiste des classes philippe coulangeon Centre de sociologie du travail et des arts, ehess 105, bd Raspail 75006 Paris, France Courriel : coulange@ehess.fr 59 Classes sociales, pratiques culturelles et styles de vie Le modèle de la distinction est-il (vraiment) obsolète? 1. Il s’agit des enquêtes sur les pratiques culturelles des Français réalisées par le Département des études et de la prospective du ministère de la Culture en 1973,1981,1988 et 1997.Elles font suite à la série d’enquêtes com- mandées par le service des études du ministère de la Culture dans les années 1960, et qui fourniront la matière principale de L’amour de l’art (Bourdieu et Darbel, 1966) puis de La distinction (Bourdieu, 1979). sociales : le goût dominant est le goût des classes dominantes. Autrement dit, les goûts et les pratiques culturelles des classes populaires sont dominés par la conscience de leur illégitimité et sont définis en creux par une rhétorique de l’écart à la norme de la cul- ture dominante qui a fortement marqué, en France, la définition du cadre des politiques publiques de la culture basé sur un objectif de démocratisation conçu comme une volonté de popularisation des chefs-d’œuvre de l’art savant, historiquement incarnée par la double figure tutélaire de Jean Vilar et d’André Malraux, et dont l’aporie n’est nulle part aussi bien résumée que dans l’oxymore de «l’élitisme pour tous» de Maïakovski. Pourtant, cette conception de la stratification sociale des styles de vie se heurte à quelques évidences empiriques qui imposent en premier lieu de rompre avec cette vision d’une culture dominante unifiée par la vénération des œuvres de la culture savante. Il semble en effet aujourd’hui que le style de vie des classes supérieures se caractérise moins par la légitimité culturelle des préférences et des habitudes que par l’éclectisme des goûts et des pratiques. Inversement, l’éclatement du champ de la pro- duction culturelle renforce l’autonomie des pratiques populaires, qui ne sont plus nécessairement vécues sur le mode de l’indignité culturelle. Les enjeux sociaux et poli- tiques de cette double transformation, qui suggère un abaissement des frontières sym- boliques entre les groupes sociaux et un affaiblissement du poids de la légitimité culturelle dans l’orientation des pratiques individuelles, se doublent d’une question de portée théorique : le modèle de la distinction correspond-il à un moment de l’his- toire contemporaine des sociétés occidentales — et singulièrement, de la société fran- çaise — ou conserve-t-il, par-delà les transformations observées, une portée universelle? Nous tentons, dans cet article, d’apporter des éléments de réponse à cette question, principalement, mais non exclusivement, à partir des enseignements qui peuvent être tirés des évolutions observées en France au cours des vingt dernières années. le modèle de la distinction revisité Les préférences esthétiques et les pratiques culturelles comptent, dans les sociétés occi- dentales contemporaines, parmi les attributs symboliques qui supplantent progressi- vement la propriété et la consommation ostentatoire des biens matériels dans les rituels d’identification réciproque de la vie sociale (Veblen, 1970 [1899]; Douglas et Isherwood, 1979), à mesure que le rôle du capital culturel vient concurrencer celui du capital éco- nomique dans l’établissement des échelles de statut (Di Maggio, 1987). La sociologie de Pierre Bourdieu donne à l’association entre l’orientation des préférences et des pra- tiques et les variables de statut et d’origine sociale la dimension d’une théorie des cul- tures de classe implicitement fondée sur une hypothèse fonctionnaliste de légitimité culturelle, qui est cependant perturbée par les développements récents de la recherche empirique sur les styles de vie. Héritage et légitimité culturelle Le modèle théorique exposé dans La distinction (Bourdieu, 1979) revêt une double dimension. Dans sa première dimension, il soutient l’idée que les goûts et les pratiques 60 sociologie et sociétés • vol. xxxvi.1 culturelles, et, plus largement, l’ensemble des éléments caractéristiques du style de vie de l’acteur, sont le produit de son habitus, c’est-à-dire de l’ensemble des dispositions, des schèmes de perception et d’action incorporés au cours de la socialisation primaire et qui reflètent les caractéristiques sociales de son environnement d’origine (Bourdieu, 1980). De ce point de vue, le concept d’habitus renouvelle très profondément la théorie des classes sociales, qui ne se définissent plus seulement par la position occupée dans les rap- ports de production, mais par le partage et la transmission d’un certain nombre de traits culturels qui conditionnent les comportements individuels et contribuent à l’édi- fication de frontières symboliques entre les groupes sociaux en renforçant leur cohésion interne. Dans la mesure où il repose en grande partie sur des mécanismes d’impré- gnation informels et inconscients, analogues aux processus à l’œuvre dans l’acquisi- tion du langage (Bernstein, 1975), l’effet de l’habitus ne relève pas à proprement parler d’un processus d’apprentissage. Il s’appuie sur la transmission d’une forme spécifique de capital — le capital culturel —, beaucoup plus que sur son accumulation. De ce point de vue, la sociologie de l’habitus n’est pas un avatar de la théorie du capital humain (Becker, 1983), et l’éducation ne saurait remplir a posteriori une fonction véritablement analogue à celle de l’accumulation du capital économique, dans la mesure où la distri- bution des chances de succès scolaire dépend beaucoup plus exclusivement de l’héritage que la formation des patrimoines financiers. En ce sens, comme le souligne Michèle Lamont (Lamont, 1995 [1992]), la reproduction intergénérationnelle des classes sociales est assurée de manière beaucoup plus efficace par la transmission du capital culturel que par celle du capital économique. Les lois de la distinction diffèrent également de celles de l’ostentation (Veblen, 1970 [1899]). Chez Veblen, la dépense ostentatoire est une ressource que l’acteur mani- pule dans le but d’afficher son rang, et l’appartenance à la classe des loisirs s’appuie essentiellement sur la détention d’un capital économique. Dans le modèle de Bourdieu, l’individu est socialement classé par l’orientation de ses pratiques, qui manifestent les caractéristiques de son habitus, et par là même, de son statut social, mais il n’est pas à proprement parler l’acteur de cette manifestation. Autrement dit, alors que la classe de loisirs n’est pas inaccessible aux «parvenus» (et aux philistins), la transmission du capital culturel crée, dès la prime enfance, selon Bourdieu, des écarts de dotation d’au- tant plus difficiles à compenser qu’ils sont moins immédiatement visibles et elle dote ainsi les groupes sociaux de frontières symboliques beaucoup plus hermétiques. La seconde dimension du modèle de la distinction renvoie au concept de légitimité culturelle. L’espace des positions occupées dans la structure sociale et l’espace des pré- férences esthétiques sont,selon cette approche,liés l’un à l’autre par un principe d’homo- logie structurale : l’identité sociale du sujet de goût tient au moins autant à l’adhésion positive aux préférences de son milieu, pour laquelle il est en quelque sorte programmé par ses dispositions, qu’au dégoût exprimé pour les préférences attribuées aux autres groupes sociaux, auquel uploads/Societe et culture/ classes-sociales-pratiques-culturelles-et-styles-de-vie.pdf

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