Marges Revue d’art contemporain 06 | 2007 Art et etnographie Art et ethnographi

Marges Revue d’art contemporain 06 | 2007 Art et etnographie Art et ethnographie Art and Ethnography Claire Fagnart Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/marges/829 DOI : 10.4000/marges.829 ISSN : 2416-8742 Éditeur Presses universitaires de Vincennes Édition imprimée Date de publication : 15 octobre 2007 Pagination : 8-16 ISBN : 978-2-84292-250-4 ISSN : 1767-7114 Référence électronique Claire Fagnart, « Art et ethnographie », Marges [En ligne], 06 | 2007, mis en ligne le 15 octobre 2008, consulté le 02 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/marges/829 ; DOI : 10.4000/ marges.829 © Presses universitaires de Vincennes 10 Dans son article « L’artiste comme ethnographe1 1 », Hal Foster aborde la question des relations entre art et ethnographie2 2. L’auteur s’interroge sur les limites et la validité de ces échanges. Il pose aussi la question de la portée critique de cet « art ethnographique » qu’il considère comme un paradigme de l’art « de gauche ». En guise d’introduction à cette journée d’études, j’essayerai de préciser les facteurs qui ont favorisé le développement des liens entre art et ethnographie. Parallèlement, j’évoquerai les interrogations de Hal Foster quant au potentiel critique de ces formes d’art. Enfin, pour terminer, je reposerai à ma manière la question de l’auteur. Les liens entre l’art et l’ethnographie se sont plus particulièrement tissés à partir et autour d’une crise conjointe de l’anthropologie et de l’art. Nous examinerons pour commencer en quoi la crise de l’anthropologie a joué un rôle dans le développement de l’« art ethnographique ». Nous aborderons cette question à partir de deux entrées, l’une thématique, l’autre méthodologique3 3. Nous verrons ensuite en quoi la crise de l’art a pu favoriser le développement d’un « art ethnographique ». 1 1 Hal Foster, « L’artiste comme ethnographe ou la “fin de l’histoire” signifie-t-elle le retour de l’anthropologie ? », dans Face à l’histoire, Paris, Centre Georges Pompidou, 1996, p. 498- 505. 2 2 De l’ethnographie à l’ethnologie puis à l’anthropologie, il semble y avoir une intensification du caractère théorique de la recherche. L’ethnographe constitue, à partir d’enquêtes de terrain, un fond documentaire ; l’ethnologue analyse et interprète ces documents, l’anthropologue théorise une conception générale Art et ethnographie 11 C Cr ri is se e d de e l l’ ’a an nt th hr ro op po ol lo og gi ie e A Ap pp pr ro oc ch he e t th hé ém ma at ti iq qu ue e Marc Augé définit ainsi l’anthropologie : « La recherche anthropologique traite au présent de la question de l’autre. La question de l’autre n’est pas un thème qu’elle rencontre à l’occasion. Il est son unique objet intellectuel4 4. ». L’altérité constitue donc un objet commun à l’anthropologie et à l’art ethnographique5 5. L’anthropologie ne cherche pas tant à représenter l’autre comme individu qu’en tant qu’il s’inscrit lui-même dans une culture. À partir des années 1960, l’art a commencé à avoir la culture comme objet – l’artiste peut proposer une lecture de l’espace social (Joseph Beuys), de l’espace du musée, des discours institutionnels (Hans Haacke, Shapolsky et al. Manhattan Real Estate Holdings, a Real-Time Social System as of May 1, 1971, 1971 : dénonciation des magnats de l’immobilier, N.-Y., 1969-1973] – et parallèlement les artistes se sont interrogés sur la manière dont leur culture pouvait déterminer leur rapport aux autres. C’est la colonisation qui a engagé la question de l’autre. L’autre est alors perçu comme exotique, c’est-à-dire comme appartenant à un autre temps – selon une conception téléologique primitive de l’anthropologie6 6 – et/ou à d’autres lieux (Afrique, Océanie). Il est donc radicalement différent. Cette différence est mise en tension avec l’hypothèse d’une commune humanité : celle d’un seul mode de fonctionnement de l’esprit humain, l’anthropologie traditionnelle situant alors l’autre exotique à un moment différent de son histoire, selon le modèle historiciste qui prévaut au 19e siècle. Il faut opposer à cette anthropologie traditionnelle, l’anthropologie culturelle américaine actuelle qui est relativiste. C’est celle des Cultural Studies. Elle postule que toute culture est un tout organique, un système cohérent irréductible. Selon ce modèle relativiste, développé par Boas et Sahlins, « l’autre » est intégralement expliqué par sa culture (outils + formes esthétiques + structure sociale + classifications de la pensée…). Son fonctionnement de l’esprit (de la pensée) est par conséquent radicalement spécifique. L’anthropologie ne tente plus alors d’énoncer un modèle d’humanité commune7 7. La décolonisation et le développement des moyens de transport et de communication a engagé un bouleversement de l’altérité elle- même. Nos rapports à l’espace et à la culture s’en sont trouvés absolument modifiés de sorte que « la mort de l’exotisme est la de l’homme, en relation avec sa culture. Les frontières entre ces trois champs d’étude sont donc aisées à traverser (un même individu peut être tour à tour ethnographe, ethnologue et anthropologue). L’expression « art ethnographique » s’applique à des pratiques artistiques de type documentaire plutôt qu’à des pratiques artistiques de type expressif. 3 3 La question de la méthode concerne les modalités de déroulement des enquêtes de terrain – observation ou participation – et, à la suite de l’enquête, la constitution d’un texte à visée scientifique rendant compte des données collectées lors de l’enquête ou l’écriture d’un texte « subjectif ». 4 4 Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992, p. 28. 5 5 Et l’on pourrait affirmer que cette question est également celle de la philosophie. Mais, alors que l’anthropologie aborde cette question en relation avec le contexte culturel, ce n’est pas le cas de la philosophie. (Cf. Marie Gaille- Nikodimov, « Comment réduire l’altérité ? L’anthropologie et la philosophie face à l’idée de contexte culturel », dans Critique n° 680-681, « Frontières de l’anthropologie », 12 caractéristique essentielle de notre actualité8 8 ». L’anthropologie est devenue non exotique. De l’étude des peuples lointains, elle est passée à l’étude de milieux lointains, comme par exemple la paysannerie. Aujourd’hui, l’ethnologie ne se consacre plus à l’étude exclusive de petits groupes « ethniques » plus ou moins menacés de disparition. On enquête dans les prisons, les hôpitaux, les écoles, chez les SDF, les malades atteints du SIDA… L’autre aujourd’hui c’est le prolétaire, c’est l’immigré. L’altérité sociale et culturelle est devenue interne et non plus externe. Les grandes villes, espaces de mondialisation, sont devenues des lieux de rencontre de cultures. En ce sens, la fin de l’exotisme ouvre sur un champ d’exploration complexe qui est celui des identités plurielles et du pluralisme culturel9 9. Les frontières se sont déplacées : de territoriales, elles sont devenues économiques. Elles séparent ceux qui sont dans le système et ceux qui sont en-dehors, à l’intérieur d’un même espace géographique. Quand nous parlons d’art ethnographique, c’est bien de cet autre- là qu’il s’agit. Si cette nouvelle altérité peut, plus que l’autre exotique, faire l’objet d’une thématique artistique, cela peut sans doute s’expliquer par le fait très pragmatique qu’elle ne nécessite pas que l’artiste bénéficie d’un soutien financier pour pouvoir s’en approcher. D’autre part, on peut noter, à la suite de Hal Foster, que l’oppression raciale ou néo-colonialiste se superpose à l’oppression capitaliste de classe telle qu’on la désignait au début du 20e siècle et, qu’en ce sens, le paradigme de « l’artiste comme ethnographe » n’a pas vraiment valeur de nouveauté. L’autre culturel d’aujourd’hui n’est pas différent de l’autre social d’hier ; l’artiste comme ethnographe reprend à son compte la volonté critique qu’eut avant lui l’artiste producteur du constructivisme russe par exemple. Mais « l’artiste comme producteur » s’inscrivait dans une perspective utopique selon laquelle l’art aurait le pouvoir de changer la réalité. « L’artiste comme ethnographe » s’inscrit dans une perspective non utopique, réflexive et non transitive selon laquelle il n’y a pas de lien direct entre art (esthétique) et réalisation politique. L’art ethnographique ne prétend pas à une transformation du monde. L’artiste est une courroie de transmission entre des milieux, des cultures différentes. Hal Foster se demande aussi s’il y a, dans cette thématique, idéalisation ou mythification de l’autre comme un « être authentique1 10 0 ». Malgré toutes ces remarques, nous retiendrons la dénomination « d’art ethnographique » pour désigner un art à visée documentaire et réflexive, consacré à l’autre considéré dans le cadre de sa culture, sans ambition utopique. janvier-février 2004). 6 6 Cette conception téléologique de l’anthropologie, qui repose sur une croyance dans le progrès, fut au 19e siècle celle de Comte, Tylor ou Frazer. 7 7 Au culturalisme américain, on peut aujourd’hui opposer le cognitivisme qui cherche à décrire ce que pensent les individus, plutôt que leurs manières d’agir. Le cognitivisme est donc une anthropologie de la pensée plutôt que des comportements. Il a la prétention d’élaborer un modèle théorique universel du fonctionnement de la pensée humaine. Il s’agit en ce sens d’une approche qui favorise un modèle universaliste et rejoint pour cette raison l’anthropologie traditionnelle du 19e siècle. 8 8 Marc Augé, Le Sens des autres, Paris, Fayard, 1994, p. 10. 9 9 On constate que cette situation, qui devrait théoriquement pouvoir favoriser un enrichissement des identités et uploads/Societe et culture/ hall-foster-l-x27-artiste-comme-ethnologue.pdf

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