L’IDEN TITÉ, LE CONTEM PORAIN ET LES DAN SEURS Isabelle GINOT Article inédit en

L’IDEN TITÉ, LE CONTEM PORAIN ET LES DAN SEURS Isabelle GINOT Article inédit en français. 2004 Paru en italien sous le titre « L’identità, il contemporaneo e i danzatori », I discorsi della danza, a cura di Suzanne Franco e Marina Nordera, Utet Libreria, Torino, 2005. Paru en anglais sous le titre « Identity, the contemporain and the dancer », in Dance discourses. Keywords in dance re­ search, edited by S. Franco and M. Norde­ ra, Routledge, New York/London, 2007. 1 L’IDENTITÉ, LE CONTEMPO­ RAIN ET LES DANSEURS Isabelle GINOT Article inédit en français. 2004 Paru en italien sous le titre « L’identità, il contemporaneo e i danzatori », I discorsi della danza, a cura di Suzanne Franco e Marina Nordera, Utet Libreria, Torino, 2005. Paru en anglais sous le titre « Identity, the contemporain and the dancer », in Dance discourses. Keywords in dance research, edi­ ted by S. Franco and M. Nordera, Routledge, New York/London, 2007. Introduction : Identité et études en danse : état des lieux, histoire, effets... La composition singulière de cette troisième section reflète, très certainement, les singularités de son sujet et de son terrain : le mot clé, « identités », cristallise les efforts théoriques de plusieurs décennies de sciences humaines dont Andrée Grau a tracé le portrait dans son introduction : de l’anthropologie au culturalisme dans ses différents états, les sciences humaines des dernières décennies ont certainement apporté, dans le champ de la danse, une vision nouvelle des frontières habituelles entre danse savante et populaire, danse scénique et danse sociale, danses occidentales et non occidentales. Désormais, il semble impossible de penser « la danse » autrement que comme une pratique humaine et sociale, d’ignorer les liens entre ses formes spectaculaires et ses pratiques quotidiennes ; encore plus, d’ignorer qu’elle est sou­ mise, comme toutes les pratiques humaines, aux rapports de pressions du politique, et qu’elle est un lieu d’exercice du pouvoir. Cependant, comme en témoigne cette partie dont l’introduction est consacrée à la perspective anthro­ pologique, et les études de cas focalisées sur des œuvres de la danse contemporaine dite d’avant-garde, nombre de frontières théoriques continuent à opérer, dans les pratiques chorégraphiques comme dans les 2 l’identité, le contemporain et les danseurs - université de paris 8 saint-denis - département danse - Isabelle Ginot - 2004 recherches théoriques. Par exemple, l’analyse de questions « identitaires » reliées à la danse contempo­ raine oriente les trois articles sur des études de spectacles et des représentations des identités (masculin/ féminin, Noir-atlantique/européen-américain...) dans les pièces choisies ; mais qu’en est-il de la danse contemporaine comme milieu social et lieu de production identitaire, par exemple à partir des pratiques de formation et d’entraînement du danseur ? Un travail mené par Hubert Godard et Isabelle Launay, à partir d’enquêtes auprès de danseurs contemporains sur les souvenirs de leurs formations, a montré comment une question centrale de la formation s’organise autour de l’identité : parvenir, ou non, à « devenir danseur », se conformer aux images fictives ou réelles de cet « être danseur » et à son identité perçue à la fois comme répressive et désirable. Mais aussi, et à partir de quelles ruses, composer avec ces normes pour se préserver, ou s’inventer, son identité singulière de danseur : tels sont les nœuds mis au jour par cette enquête1, qui paradoxalement ne doit rien à une recherche sur le concept d’identité, mais plutôt à une démarche ethno­ logique prenant les danseurs contemporains français comme terrain. Ce qu’il m’intéressera de réfléchir dans les pages qui suivent, c’est la façon dont le couple identité/ danse contemporaine condense un certain nombre de difficultés théoriques propres à la recherche en danse en général, au-delà, ou plutôt à travers, les variations méthodologiques et le choix des objets. Cette ré­ flexion, je la mènerai à partir du problème de l’analyse des œuvres chorégraphiques contemporaines, dont j’espère montrer en quoi elle a partie liée avec la question identitaire. Le « terrain » de la période contemporaine pose en apparence des problèmes différents des périodes historiques plus ou moins reculées : dans une recherche historique en danse la question des sources est toujours problématique, tandis que les œuvres chorégraphiques contemporaines sont certainement mieux, et de plus en plus, documentées. Pourtant, la question du rapport entre document « analogue » (film ou vidéo) et œuvre elle-même demeure rarement problématisée. Par ailleurs, la théorisation est (peut-être ?) rendue plus difficile par le rapport nécessairement vivant que le chercheur entretient avec son objet et son contexte. Il semble plus difficile d’isoler et compartimenter, par exemple, les cadres de références, de séparer le contexte culturel, politique, théorique, l’expérience de spectateur, etc. Pourtant, les questions posées à propos de la danse contemporaine et des rapports entre théorie et expérience, me semblent les mêmes quelle que soit la période observée ; c’est la façon dont s’organise la relation entre le chercheur et son objet qui change. Les trois études L’histoire des théories identitaires se présente comme une succession d’analyses des rapports dominants / dominés, depuis le féminisme jusqu’aux théories post-coloniales en passant par le genre ou le cultura­ lisme ; à quoi on pourrait ajouter, pour le cadre français et le travail mené notamment par l’équipe à la­ quelle j’appartiens2, le rapport danseur/discoureur, et les rapports disciplinaires entre praticiens du geste et maîtres du discours – rapport qui a été analysé en premier lieu par les féministes, à partir des normes d’assignations de la femme au corps et à la sensation, et de l’homme à la maîtrise du discours. Je m’autorise à les englober sous le terme générique de culturalisme, bien que celui-ci stricto-sensu couvre une seule 1Pour un compte-rendu et une analyse de ce projet, voir Isabelle Launay, « Le don du geste », Protée, vol. 29, n°2, Université du Québec à Chicoutimi, automne 2001. 2Equipe du département Danse de l’Université Paris VIII. 3 l’identité, le contemporain et les danseurs - université de paris 8 saint-denis - département danse - Isabelle Ginot - 2004 des périodes et des courants concernés, parce qu’elles sont différentes variations successives d’un même modèle, dérivé du féminisme : si l’objet varie, ces théories successives ont pour trait principal de considérer que « l’identité » est une construction culturelle, et non naturelle, fruit de rapports de pouvoir qu’il s’agit d’analyser et déconstruire. Bien entendu, l’ensemble de ces courants théoriques a un enjeu évidemment politique et idéologique. Enfin, rappelons encore que cet ensemble théorique ne s’est pas, loin de là, can­ tonné à la danse contemporaine, et que maintes études se sont intéressées à l’histoire de la danse du point de vue féministe, ou de genre3, ou encore des identités ethniques, etc. Les trois études de cas qui précèdent reflètent bien l’exercice culturaliste appliqué à la danse contempo­ raine : il s’agit de se saisir d’un point de vue théorique sur l’identité, et de voir comment celui-ci opère dans la danse. Autrement dit, à partir de tel ou tel cadre de référence en matière d’identité, observer comment « la danse » reproduit, réinvente, reflète ou contredit les productions identitaires et les relations inter- identitaires tels qu’elles ont pu être décrites ailleurs. Ramsay Burt, Thomas DeFrantz et Hélène Marquié s’appuient chacun sur un corpus théorique (respectivement Lacan/Merleau-Ponty, Gilroy, et le féminisme matérialiste) pour analyser une ou deux pièces. Outre le choix des objets, une différence essentielle concer­ nerait ce que je nommerai la posture : les deux premiers utilisent la pièce chorégraphique pour démontrer, ou illustrer, le corpus théorique qu’ils ont choisi ; à l’inverse la troisième se sert de son cadre théorique pour critiquer la pièce et en démontrer les contradictions. Quel que soit le motif du même et de l’autre de l’analyse identitaire (homme / femme, blanc / noir, homo / hétéro, occidental / non-occidental, danseur / spectateur...), ces trois analyses rejoignent les deux grands pôles de définition de l’identité qui organise l’ensemble de son champ théorique et qu’Andrée Grau a rappelés dans son introduction. Je qualifierai le premier de géographique : l’identité organise des territoires, fixe des appartenances (à une communauté) et se signale par des marques de reconnaissance d’un certain « même » : c’est l’identité comme appartenance culturelle, nationale, ethnique, etc. Sur le plan théorique, elle est construite à partir de modèles principalement sémiotiques et se fixe sur le signe. Elle donne la primauté aux signes principalement visibles et discursifs de l’identité et définit une communauté à partir d’un ensemble de signes communs (la couleur de la peau, la morphologie, le territoire occupé, les signes d’appartenance religieuse...) et considère les variations singulières comme secondaires par rapport à l’appartenance principale. Par exemple, DeFrantz introduit la Giselle de David Byrd en opposant d’emblée l’interprète de Giselle, « a ferousciously accomplished African woman, the lone black woman », au reste de la compagnie. Hélène Marquié quant à elle s’intéresse à une pièce explicitement située dans une question territoriale par son chorégraphe, Alain Buffard : « Le partage ou l’effacement des frontières, entre autres entre le féminin et le masculin, est un aspect récurrent de mon travail4. » uploads/Societe et culture/ i-ginot-l-x27-identite-le-contemporain-et-les-danseurs.pdf

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