LA CULTURE : UN BILAN SOCIOLOGIQUE Olivier Desouches Réseau Canopé | « Idées éc

LA CULTURE : UN BILAN SOCIOLOGIQUE Olivier Desouches Réseau Canopé | « Idées économiques et sociales » 2014/1 N° 175 | pages 53 à 60 ISSN 2257-5111 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2014-1-page-53.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Réseau Canopé. © Réseau Canopé. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Cette homologie structurale est née prosaïquement de la superposition de deux feuilles de papier calque : l’une représen- tant l’espace social en France entre 1963 et 1972 et l’autre, esquissant des goûts à partir d’enquêtes sur les pratiques culturelles entre 1963 et 1977. Ce livre de sociologie, le plus cité au monde, continue d’ali- menter les discussions et a donné lieu à un colloque international tenu à Paris, « Trente ans après La Distinc- tion », et à l’édition [2] des plus marquantes de ses cent-trente communications. Avant de revenir sur la thèse argumentée de Bour- dieu, il nous faut explorer les différents sens du terme de culture et analyser ses liens avec la société. Une définition polysémique à vocation universelle L’opposition entre nature et culture, telle qu’elle est posée par la tradition philosophique et popularisée par le film de François Truffaut L’Enfant sauvage – qui ne devient réellement humain qu’une fois alphabétisé –, fonde le clivage entre sciences de la nature et celles de la culture. Un démenti est pourtant venu de l’en- quête de terrain menée par Philippe Descola 1 auprès d’Amérindiens Jivaros d’Équateur : l’animisme et le totémisme sont des religions où les individus croient que les non-humains ont la même âme et des valeurs identiques aux humains. La réduction de la tête déca- pitée de son adversaire tout en prenant soin de bien emprisonner son esprit vengeur relève-t-elle de pratiques culturelles ou de la nature ? Suivant la métaphore d’une terre, cultivé s’op- pose à inculte. Au sens courant et dès le XVIIIe siècle, culture est synonyme d’éducation de l’esprit et donc de formation, ce qui plaidera en faveur de sa capitalisa- tion. Dès lors, la culture caractérise l’ensemble des manières de faire et de penser propres à une collecti- vité [3]. Elle peut prendre le sens allemand de Kultur ou celui, plus français, de civilisation. À la suite d’Émile Durkheim, la tradition française privilégie le terme de civilisation comme expression des représentations collectives, relevant de la conscience collective définie comme « l’ensemble des croyances et des senti- ments communs à la moyenne des membres d’une société 2 ». À l’époque, elle désigne l’ensemble des productions qui distinguent le civilisé du sauvage, du barbare et de l’animal et réduit le terme de culture à celui d’humanisme. Dans la perspective allemande, Kultur s’oppose à civilisation tout comme les œuvres de l’esprit s’opposent aux bonnes manières ou aux civilités. La Kultur mesure alors les progrès d’une collectivité et « souligne les différences nationales et les particularités des groupes 3 ». Dès 1952, Alfred Kroeber et Clyde Kluckhohn recensaient pas moins de cent soixante-trois défi- nitions différentes de la culture ; pour sa part, Jean- Claude Passeron considère que la culture est le « plus protéiforme des concepts sociologiques 4 ». Dès lors, il convient de s’interroger sur le contenu même des représentations que chacun d’entre nous a de la culture. Réduire la culture savante à celle des œuvres académiques n’échappe pas aux préjugés ethnocen- trés critiqués par Claude Lévi-Strauss, qui a plaidé avec succès la substitution des arts premiers aux arts La culture : un bilan sociologique Dans l’optique de préparer au concours d’entrée aux IEP de province le thème de la culture, il est décisif de savoir en tirer une problématique. Or, interroger la culture impose d’abord d’en décrire sa nature et ses formes, de comprendre ensuite les écueils éventuels des analyses en termes de culture populaire et de masse, d’expliquer enfin les éventuelles déterminations sociales des pratiques culturelles. Olivier Desouches, chercheur associé au Centre de recherches sur l’action politique en Europe (IEP de Rennes, École des hautes études en santé publique, université de Rennes 1, CNRS), formateur à l’École supérieure du professorat et de l’éducation de Bretagne 1 Descola P ., Par-delà culture et nature, Paris, Gallimard, 2005 2 Durkheim É., De la division du travail social, Paris, Alcan, 1895, p. 46. 3 Elias N., La civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1994 (1973), p. 14. 4 Passeron J.-C., « Consommation et réception de la culture. La démocratisation des publics », in Donnat O., Tolila P . (dir.), Le(s) public(s) de la culture, Paris, Presses de Sciences Po, 2003. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 207.161.83.10 - 30/07/2020 00:49 - © Réseau Canopé Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 207.161.83.10 - 30/07/2020 00:49 - © Réseau Canopé 54 SES PLURIELLES I idées économiques et sociales I n° 175 I mars 2014 la gratuité le premier dimanche de chaque mois et toute l’année pour les jeunes et les enseignants, n’a pas réduit l’écart déjà constaté en 1979 existant entre les codes nécessités par l’œuvre et leur réception par les publics les plus défavorisés [5]. Faire preuve de relativisme culturel, c’est-à-dire considérer que tout fait culturel a un sens par rapport à la culture à laquelle il appartient, et donc par exten- sion que toute pratique culturelle se vaut, aboutit à des conclusions opposées à l’ethnocentrisme, mais tout aussi contestables. Ainsi, des mutilations sexuelles comme l’infibulation ou l’excision chez les jeunes filles sont interdites par le droit international. Il se fonde sur l’universalisme des droits de l’homme et du citoyen, et notamment sur la convention relative des droits de l’enfant entrée en vigueur en 1990, sur celle de 1981 concernant l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes et sur la déclara- tion de 1995 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Cela justifie pleinement l’interdiction de telles pratiques en France, tout comme le mariage polygamique par son Code civil. Car la valeur de chaque culture se définit donc en fonction du respect de la dignité et des droits universels des hommes comme des femmes. Le triple écueil des analyses des cultures populaires Comment étudier la culture populaire définie comme sous-culture propre au groupe social précis des classes populaires sans verser dans le double écueil du populisme ou du misérabilisme (selon la formule de Claude Grignon et Jean-Claude Passeron) ni sans l’amalgamer à la culture de masse ? Le populisme caractérise des créations cultu- relles démagogiques visant avant tout le profit en primitifs. L’ethnocentrisme est condamnable, car il est impossible en droit pour une culture particulière de se prétendre porteuse de valeurs universelles. De même, la culture dominante implique une hiérarchie de légitimité et donc de consécration sociale, que traduit bien l’expression de « haute culture » (highbrow) utilisée par l’historien améri- cain de la culture Lawrence Levine. Comme l’at- teste la création du Boston Symphony Orchestra financé par son public – qui est aussi son mécène (Paul Di Maggio) –, elle recoupe très largement la culture des classes dominantes. L’habitus, système de dispositions durables acquis dès l’enfance au cours du processus de socialisation, permet à ces catégo- ries supérieures d’imposer et de légitimer leurs goûts au reste de la population qu’elles dominent. Avec la démocratisation et la massification de l’ensei- gnement, l’école donne le la en matière de culture légitime : avec d’autres institutions (comme par exemple l’Académie française en matière d’usage de la langue), elle dispose du pouvoir de valoriser des œuvres par la critique savante, de classer et de trier en rejetant. C’est particulièrement le cas pour les arts de la scène tels qu’un concert de musique clas- sique, le théâtre classique ou l’opéra : si ce dernier réunit dans son public une grande majorité de classes dominantes, il n’en demeure pas moins que très peu de bourgeois fréquentent l’opéra. Cette culture légi- time n’est pratiquée que par une minorité des classes supérieures. Seuls 3 % des cadres et professions intel- lectuelles supérieures déclarent la musique d’opéra comme genre préféré ; 9 % d’entre eux écoutent le plus souvent de la musique d’opéra et 4 % utilisent la radio pour essentiellement écouter de la musique classique [4]. De même, la démocratisation uploads/Societe et culture/ idee-175-0053.pdf

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