PRÉSENTATION CULTURE DES ÉLÈVES, CULTURE DE L’ÉCOLE : QUELLES RELATIONS ? Aniss

PRÉSENTATION CULTURE DES ÉLÈVES, CULTURE DE L’ÉCOLE : QUELLES RELATIONS ? Anissa BELHADJIN Université de Cergy-Pontoise INSPÉ de Versailles Laboratoire ÉMA (ÉA 4507) Marie-France BISHOP Université de Cergy-Pontoise INSPÉ de Versailles Laboratoire ÉMA (ÉA 4507) Culture et école La question de la définition de la culture au sens large parait consub- stantielle de l’école. Pour J.-C. Forquin, « incontestablement, il existe entre éducation et culture une relation intime, organique. [...] Reconnaissons cependant la part d’arbitraire qu’implique un tel emploi du mot “cultureˮ et la nécessité d’une clarification lexicale » (1996 : 8-9). En sociologie, la question de la culture a été déjà largement arpentée. A. Mattelart et E. Neveu notent ainsi que : La notion de culture est de celles qui ont suscité en sciences sociales les travaux les plus abondants, les plus contradictoires aussi. Le terme peut tantôt désigner un panthéon de grandes œuvres « légitimes », tantôt prendre un sens plus anthropologique, pour englober les manières de vivre, sentir et penser propres à un groupe social (Cuche 1996). La Joconde et la sociabilité qui se greffe sur l’assistance à un match de football illustreraient ces deux pôles. L’idée d’une culture « légitime » implique aussi une seconde opposition, cette fois entre les œuvres consacrées et celles de ce qu’on a nommé « culture de masse », produite par les « industries culturelles ». Proust contre Mary Higgins Clark, Chostakovitch contre les chansons de Michael Jackson. (2008 : 3) Employé en référence à des objets divers, ce terme de culture ne semble avoir de sens qu’en tant qu’il se trouve pris dans une opposition : ce serait alors davantage ce rapport dynamique plutôt que le champ qu’il recouvre qui permettrait de penser la question. Ainsi, parler de culture légitime implique nécessairement l’idée de culture illégitime. Nathalie Denizot, dans ce numéro, identifie également un clivage entre ce qui ressortirait à la culture scolaire qui, par définition, s’opposerait alors à la culture non scolaire : culture juvénile, ou culture familiale, ou culture populaire, dans rticle on line rticle on line ( ç j ) 9 p g ✐ ✐ ✐ ✐ Document téléchargé depuis www.cairn.info - CNRST Rabat - - 196.200.131.104 - 21/01/2020 22:16 - © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - CNRST Rabat - - 196.200.131.104 - 21/01/2020 22:16 - © Armand Colin Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? » une acception de fait dévalorisante pour la culture scolaire, qui est également la culture produite par l’école. À l’aune des bouleversements de la société française de la seconde moitié du XXe siècle, A. Barrère et F. Jacquet-Francillon constatent, eux, non des oppositions, mais des confrontations : la culture de l’école « est aujourd’hui confrontée à des formes culturelles qui ne lui sont ni favorables ni hostiles, mais tout simplement indifférentes. Elle est désormais en lutte, larvaire ou déclarée, contre des formes culturelles qui l’ignorent » (2008). Dans ce contexte très mouvant, où les questions changent en même temps que la société, ce numéro veut s’interroger sur la place occupée par la culture des jeunes dans le cours de français ; plus précisément, il s’agit de se demander comment la culture juvénile peut être sollicitée, intégrée, prise en compte, dans le cadre de la discipline. Un numéro de la Revue française de pédagogie (2008) s’interroge ainsi : « comment la culture des jeunes facilite- elle ou, au contraire, fait-elle obstacle aux acquisitions scolaires ? Quelles dispositions ou compétences sociocognitives construit-elle ? » Cette question, reprise de l’introduction de La Culture des élèves : enjeux et questions (Barrère et Jacquet-Francillon, ibid.), nous aimerions, dans ce numéro, la reprendre à notre compte tout en l’orientant d’un point de vue didactique. En effet, la question des relations entre la culture des jeunes et la discipline français est assez peu abordée, comme si c’était un allant de soi que de relation, il n’y en point. Est-ce alors à dire qu’une ligne de faille sépare les savoirs, connaissances, compétences apportés par l’école et ceux qui appartiennent spécifiquement à la culture juvénile, ou aux cultures juvéniles, selon que l’on considère qu’elle varie selon l’âge ou le milieu social ? Ou bien, au contraire, que les relations entre culture juvénile et culture scolaire sont si évidentes qu’il n’y a rien à en dire ? Culture juvénile et discipline français La lecture et l’étude des œuvres classiques ou patrimoniales sont aux fondements de la discipline français dans l’enseignement primaire ou secondaire, général ou professionnel. Il peut donc sembler difficile d’accorder une place, même minime, aux œuvres qui ne font pas partie de ce vaste corpus, fonds commun de la culture scolaire française (Forquin 1996 ; Jey 1996 ; Chervel 1998 ; Houdart-Mérot 1998 ; Bishop-Belhadjin 2015 ; Denizot 2018 ; Louichon 2015...). Mais de quelles œuvres parle-t-on alors ? Une étiquette générique, comme celle de paralittérature, n’est pas la meilleure pour regrouper ces œuvres qui peuvent ne pas ressortir à la fiction écrite. En effet, tout comme les romans de genre, les films, les séries, les BD, les mangas, les fanfictions, les blogs, les chansons, voire les jeux vidéos, peuvent en effet avoir pour point commun d’être étudiés en classe tout en étant à la marge du corpus littéraire classique ou patrimonial. C’est donc plutôt l’étiquette plus large de culture juvénile qui nous semble mieux convenir. 6 ( ç j ) 9 p g ✐ ✐ ✐ ✐ Document téléchargé depuis www.cairn.info - CNRST Rabat - - 196.200.131.104 - 21/01/2020 22:16 - © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - CNRST Rabat - - 196.200.131.104 - 21/01/2020 22:16 - © Armand Colin Culture des élèves, culture de l’école : quelles relations ? Abordée sous un angle didactique et non du point de vue sociologique ou culturel, la culture juvénile ne parait guère prise en compte en cours de français : soit ignorée, soit reléguée au rang de sous-culture, il n’est pas habituel de s’interroger sur ses usages ou son éventuel intérêt. Quant aux ouvrages didactiques, ils semblent s’intéresser au mieux aux « mauvais genres », écrits surtout. Regroupant des genres romanesques considérés comme illégitimes tels le polar, la science-fiction, la fantasy, voire le roman sentimental dans ses divers avatars, bit-lit, chick-lit, ou sick-lit, cette appellation de « mauvais genre » a pu connaitre une certaine fortune en didactique. Ainsi, en 1986, la revue Pratiques propose un numéro sur le thème des « paralittératures », suivi, en 1987, d’un autre sur les « mauvais genres ». Pour Y. Reuter, dans l’introduction, cette succession veut « montrer l’importance de ces textes non reconnus, introduire aux recherches théoriques qui les pre[nn]ent en compte, souligner leur intérêt pédagogique ». En 2007, lorsque parait chez Diptyque Les mauvais genres en classe de français. Retour sur la question, l’introduction de J.-M. Rosier semble faire écho à celle de Pratiques vingt ans plus tôt en soulignant le chemin parcouru et une préoccupation constante à l’école pour désormais intégrer ces écrits peu légitimes : « aujourd’hui, travailler en classe les mauvais genres ne relève pas d’une pratique innovante à l’exception des écrits d’internet absents naguère du capital scolaire exploitable [...]. L’histoire de la discipline montre en effet que l’école peut transformer bien des objets culturels en savoirs d’apprentissage et en montrer l’intérêt pédagogique. » La revue Le français aujourd’hui n’a, quant à elle, réfléchi aux mauvais genres dans un dossier que dans un numéro sur « Les risques du polar » (2002), sans se poser encore la question des cultures juvéniles et de leur place en didactique hormis un article de P. Bruno, paru dans la chronique « Culture Jeunes » en 2006. C’est d’autant plus notable que la liste des numéros parus depuis le début des années 1970 fait apparaitre une préoccupation constante de la revue d’inscrire l’enseignement du français dans le contexte mouvant d’une société en pleine évolution. Égrenons ainsi, presque au hasard : Propositions pour une rénovation de l’enseignement du français (1970) ; Le français dans le technique (1972) ; Les langues des français (1976) ; Fenêtres sur la presse (1979) ; Les enjeux sociaux de l’enseignement du français (1982) ; Le français au carrefour des disciplines (1986) ; et très récemment les deux numéros sur les écritures numériques (2017 et 2018). Aujourd’hui, la question des « mauvais genres », qui met l’accent sur la question du genre dans une acception trop axiologique, peut être élargie pour scruter « l’univers culturel » (Donnat 1994) des élèves, qui consacre l’importance, certes, des « mauvais » genres romanesques mais aussi de formes et de médias comme les genres graphiques, tels que la BD, le manga ; ou visuels, comme les films, les séries, voire les jeux vidéo ; la musique comme le slam ou le rap ; les diverses formes de l’expression numérique comme les blogs, les réseaux sociaux, les tutoriels... 7 ( ç j ) 9 p g ✐ ✐ ✐ ✐ Document téléchargé depuis www.cairn.info - CNRST Rabat - - 196.200.131.104 - 21/01/2020 22:16 - © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - uploads/Societe et culture/ le-franc-ais-aujourdhui-2019-4-n0-207-pdf.pdf

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