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LE DROIT MUSULMAN ET SON APPLICATION PAR LES AUTORITÉS CHRETIENNES Conférence faite à la Société des Etudes Coloniales et Maritimes le 28 Janvier 1892 Par Son Exe. SAVVAS PACHA Ancien Ministre des Affaires Étrangères de l'Empire Ottoman A LA SOCIÉTÉ DES ÉTUDES COLONIALES ET MARITIMES PARIS Au SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ : 18, RUE DAUNOU LE DROIT MUSULMAN ET ,<,;.. SON APPLICATION / •'"."- ;?-'.\ /.>:'/'-.-t -.-,'\^-.\ \ -:- \-t L j J :"! \ PAR LES \ \ y 7 AUf OOE^TÎÉS CHRÉTIENNES Conférence faite à la Société des Etudes Coloniales et Maritimes le 28 Janvier 1892 Par Son Exe. SAVVAS PACHA Ancien Ministre, des Affaires Étrangères de l'Empire Ottoman A LA SOCIÉTÉ DES ÉTUDES COLONIALES ET MARITIMES PARIS (j OUI-- L v /J3 Au SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ : 18, RUE DAUNOU LE DROIT MUSULMAN Et son application par les autorités chrétiennes CONFÉRENCE FAITE A LA SOCIÉTÉ DES ÉTUDES COLONIALES ET MARITIMES LE 28 JANVIER 1892 par Son Exe. SAVVAS PACHA Ancien Ministre des Affaires Étrangères de l'Empire ottoman. Messieurs, Un sentiment de fausse honte ne m'empêchera pas d'avouer que, malgré les neiges qui couvrent ma tête, je me sens fort intimidé au moment de prendre la parole devant vous, dans la langue de Paul-Louis Courier. Ma sainte mère, qui savait votre langue comme une française, me l'a enseignée dans mon enfance. A l'âge de huit ans, je la parlais plus facilement qu'aujourd:hui. Depuis lors je l'étu- dié sans cesse; mais on ne peut jamais dire qu'on sait le français. Cette langue si difficile à cause de ses charmes mêmes, de ses perfections, de son incomparable clarté, est la première des langues vivantes. Nous autres Orientaux, nous l'ai- mons autant que nos propres langues, et, si nous ne parvenons pas à la manier aussi aisément, nous l'employons du moins aussi volontiers que celles que nous avons apprises au berceau. # * * Le sujet, sur lequel vous m'avez fait l'honneur de m'admettre à parler dans cette assemblée, est déterminé d'uue manière précise. Je crois cependant utile, nécessaire même, de rattacher l'examen de l'homme musulman, et du système par lequel on peut le gouverner sans difficulté, à certaines vérités d'un ordre supérieur, à des considérations sur l'homme même : elles sont toutes tirées de la science française. Je m'attarderai donc un peu sur le chemin, mais j'espère que vous vous mon- trerez indulgents. J'aurais été, aux yeux de ma conscience, coupable d'ingrati- tude, si, ayant l'honneur d'adresser la parole pour la première fois à une réunion française si choisie, je n'en profitais pour rendre hommage aux lumières de votre patrie et à la mémoire de ses illustres savants, dont les études ont eu une si grande action sur le progrès du monde. Depuis un certain temps, on s'efforce de faire accroire à mes jeunes compa- triotes que les Muses ont déserté le sol delà Gaule et que la science française est en décadence. J'ai toujours combattu cette erreur aussi intentionnelle que funeste. Je veux élever une fois de plus la voix contre toute insinuation de cette nature. LE DROIT MUSULMAN Fatuité de vieillard, Messieurs, j'ai la présomption de croire que ma parole est écoutée dans mon pays et que mes compatriotes n'ont pas cessé de m'accorder toute leur confiance. La science française n'a rien à envier à celle des autres nations. Toutes les branches du savoir humain sont cultivées en France, et l'on peut dire que tous les travaux récents, qui ne sont pas les produits directs du génie français, se réclament plus ou moins cependant des études françaises. La cellule est la fille de l'histologie française ; la microbiologie est issue des travaux dont les parasitaires ont été l'objet en France au commencement de ce siècle; et j'ajoute, pour sortir de cet ordre de connaissances, que les inventions surprenantes, qui de nos jours ont changé la face du globe, dérivent toutes des recherches qui, il y a deux cents ans, conduisirent un Français, un savant modeste, à deviner la puissance de la vapeur. Dans toutes les parties de la science, les savants français sont pour l'humanité contemporaine ce que les Grecs ont été pour l'antiquité. Il y a plus : toute grande découverte dont le premier germe n'est pas français doit sa genèse à l'antiquité grecque. L'homme de science, à la mort duquel la Constituante prenait le deuil pour trois mois, l'illustre Franklin, était l'élève d'un Grec, de Thaïes de Milet. Mais, revenons à l'homme social. Dans l'antiquité, Hippocrate, Platon, Aristote, de nos jours un illustre français qui vient de nous quitter, M. de Quatrefages, ont admirablement étudié l'homme et les facultés de son esprit, auxquelles sont dus la formation et le progrès de toute société. Deux de vos éminents compatriotes, MM. Pasteur et Levasseur, ont résumé, en quelques mots, sur la tombe de feu M. de Quatrefages, la science anthropologique grecque et française. Le premier a dit : « D'après Quatrefages Innomme a des facultés morales et religieuses qui le distinguent nettement de l'animal et le soumettent à des lois supérieures ». Le second a ajouté que « Quatrefages s'appliquait à mettre en lumière les rapports qui existent entre la nature et l'homme, entre le sol et le climat d'une contrée et le caractère de la civilisation de ses habitants ». C'est là, Messieurs, le complément, la codification pour ainsi dire, de la théorie anthropologique d'Hippocrate. Ce grand aîné du naturaliste cévenol faisait connaître, il y a vingt-deux siècles, l'action des lieux, des eaux et des airs sur l'homme. Que de points de contact, Messieurs, entre la science grecque et la science française! C'est encore un grec moderne, le régénérateur des lettres grecques, Adamantius Coraïs, né à Chio, le grand écrivain que la France nous fit l'insigne honneur d'adopter, qui traduisit le premier, en français, dans les premières années de notre siècle, l'ouvrage philosophique par excellence d'Hippocrate. Les travaux de Coraïs ont été couronnés par la première République française. De tout temps, Messieurs, la France a été le seul pays où l'étranger ait trouvé une patrie. Elle traite les étrangers comme ses enfants, elle les honore, elle les récompense, même pour les services qu'ils rendent à leur propre pays. * * * Abordons maintenant notre sujet. Dans l'examen que je vais essayer de faire de l'homme musulman et des insti< tutions qu'il a fondées, je fefai de mon mieux pour ne point m'écarter des prin- cipes anthropologiques posés par Hippocrate et développés par Quatrefages. Les LE DROIT MUSULMAN lois dont j'ai à vous entretenir sont, comme celles de toutes les sociétés humaines, les manifestations sociales des facultés morales et religieuses de l'homme. Il s'agit dans l'espèce, de l'homme sémite, soumis à l'action des lieux, des eaux et des airs des contrées où l'Islamisme a fait son apparition, et de celles sur lesquelles il a étendu, dès le commencement de son existence, sa domination politique et spiri- tualle, l'Arabie, la Syrie et le nord de l'Afrique. Le droit musulman fait partie intégrante de la religion mahométane. Il rentre dans la catégorie des connaissances révélées. Les applications de la science du droit aux actions de l'homme peuvent être divisées en deux branches, suivant qu'elles visent la famille ou la société. Je me propose de vous exposer, avec quelque détail, ce que les institutions propres à chacun de ces deux ordres présentent, à mon avis, de particulièrement intéres- sant dans le monde islamique. Il en résultera, je l'espère, un aperçu clair de l'or- ganisation du corps social de l'Islam, une image fidèle des consciences, façonnées par la loi de Mahomet. Avant de commencer cet exposé, il est indispensable pourtant que je vous fasse connaître comment l'Islamisme doit être étudié, afin que l'examen de l'action de ses enseignements sur l'intellect humain puisse conduire à des appréciations justes sur la constitution sociale des peuples qui les ont suivis. Il faut éviter soi- gneusement ici les écueils contre lesquels on se heurte, toutes les fois qn'on fait d'un événement aussi considérable que l'est la naissance d'une religion quel- conque, un accessoire de doctrines, un accident dans un système philosophique. Deux de nos contemporains, également éminents comme historiens et comme philosophes, ont étudié presque en même temps l'Islamisme. L'un est le grand jurisconsulte belge, Félix Laurent, qui vient de mourir. Dans sa monumentale Histoire de l'humanité, il exalte l'Islamisme. L'autre est un illustre français, M. Renan. Souhaitons-lui de longs jours pour la gloire de son pays ! A la diffé- rence de Laurent, il déprécie l'Islamisme. Je le dis tout de suite. Ces deux écrivains n'étaient libres ni l'un ni l'autre dans leurs jugements. Ils ne pouvaient l'être. L'Islamisme forme dans le système philosophique de chacun d'eux un accident. Laurent est le chef de l'école dite de l'immanence. Selon lui, Dieu est immanent dans l'histoire ; tout événement histo- rique résulte de l'action permanente de la divinité sur la société humaine. Cette action produit, comme de raison, des effets toujours meilleurs et de plus en plus parfaits. L'Islamisme est donc forcément un progrès. Laurent dut le déclarer pour rester d'accord avec les principes fondamentaux uploads/Societe et culture/ pacha-savvas-1892-droit-musulman-et-son-application.pdf

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